les dossiers de l’ afis44
DOSSIER : GENETIQUE
sujet
: le clonage humain
rubrique : les positions rencontrées au sein de l’AFIS
document : article publié dans l’Humanité (B. Jordan 21 janvier
2003)
Bertrand JORDAN est biologiste moléculaire, directeur de
Recherches émérite au CNRS. Il est l’auteur de
plusieurs livres, dont
Bertrand JORDAN est
membre des comités scientifique et de parrainage de l’association française
pour l’information scientifique. |
Au-delà de l'anathème
La condamnation généralisée de la
tentative de clonage raélienne s'accompagne d'une intense emphase, et les
termes employés sont on ne peut plus catégoriques : le clonage reproductif
humain serait un crime contre l'humanité, et les raéliens des eugénistes
fascisants, des nazis pour tout dire. Et d'évoquer, pour mieux flétrir cet
essai (prétendu ?) de reproduction, les pires atrocités commises par le IIIe Reich...
Il me semble urgent, pour permettre une
discussion rationnelle et des actions efficaces, de garder un certain sens de
la mesure. Le
" mouvement " raélien est, certes, une secte, avec son gourou
travesti en spationaute, ses groupies, ses finances passablement opaques et ses
théories délirantes ; ce n'est sûrement pas le pire, - elle ne paraît pas
avoir recours au lavage de cerveau, ni asservir psychologiquement ses adeptes,
et certaines de ses positions soixante-huitardes, anticléricales et New Age
peuvent même paraître plutôt sympathiques. Raël est
moins un fou furieux qu'un habile roublard opportuniste qui a su assaisonner
d'une sauce scientiste des idées tendance, et enrober le tout dans un optimisme
propre à rassurer bien des esprits inquiets (quoique peu exigeants sur la
rigueur des raisonnements). Il s'est ainsi assuré une certaine stature
médiatique, une existence matérielle très confortable et une cour
d'admiratrices subjuguées par le charme du prophète. Bien sûr, ses "
théories " ne tiennent pas la route : comment imaginer que l'espèce
humaine a été créée grâce au clonage, il y a vingt-cinq mille ans, alors que
les fossiles nous montrent sa lente évolution jusqu'à l'apparition de l'homme
moderne cent mille ans plus tôt ? Comment croire que le clonage est la
voie vers la vie éternelle, que l'on va créer des clones qui grandiront à toute
vitesse grâce à la " croissance accélérée ", permettant ainsi "
que chaque personne sur un ordinateur personnel télécharge régulièrement un
back up de sa personnalité (mémoire et expérience) qui pourra être transféré
dans le support physique cloné " ? La lecture du dernier chef-d'ouvre du prophète, Oui au clonage humain, la vie
éternelle grâce à la science, est édifiante pour juger du creux de ses
arguments. Tout cela n'en fait pourtant pas un fasciste, même si son plaidoyer
en faveur d'une " géniocratie ", dans
laquelle les droits électoraux seraient liés au niveau du quotient
intellectuel, dévoile un aspect nettement moins plaisant du personnage.
Il était logique que cette secte
prétende travailler sur le clonage reproductif humain, dès lors que
l'apparition de Dolly avait montré que cette
opération était très probablement possible. Ce positionnement a été, au moins
dans un premier temps, purement virtuel et médiatique ; l'est-il
resté ?, ou l'entreprise Clonaid,
émanation des raéliens, est-elle devenue un véritable laboratoire tentant de
mettre en pratique ces affirmations ? Nous finirons bien par le
savoir ; en attendant, notons que les installations et les compétences
nécessaires ne sont pas hors de portée d'un groupe de ce genre, même si - à en
juger par l'expérience acquise sur l'animal - les dégâts à prévoir sont
considérables (mort d'embryons, fausses couches, naissance d'enfants présentant
des anomalies...). Que cette petite Éve clonée existe
ou non, il est de toute manière vraisemblable que l'une ou l'autre des équipes
marginales, qui tentent de mettre en ouvre le procédé, va arriver à ses fins et
produire un clone dûment authentifié - dont la bonne santé, hélas, sera loin
d'être assurée. Il est donc plus que temps de prendre position sur cette
éventualité, et pas seulement en poussant des cris d'orfraie : en mettant
en place une législation claire qui interdise explicitement le clonage
reproductif. Rappelons que, même en France, nous n'en sommes pas encore
là : la loi de bioéthique révisée doit encore passer au Sénat, puis
revenir au Parlement avant d'être adoptée. Rappelons aussi que, au niveau de
l'ONU, l'initiative franco-allemande pour un traité rapide proscrivant le
clonage reproductif (et lui seul) a été mise en échec par l'offensive menée par
les États-Unis, le Vatican et des nations sud-américaines pour prohiber du même
coup le clonage thérapeutique : comme l'accord sur ce deuxième point
n'existe pas, l'ensemble du processus a pris au moins un an de retard.
Je suis clairement opposé au clonage
reproductif, en
raison des risques énormes qui seraient pris pour la santé de l'enfant, mais
aussi de la violence qui lui serait faite, de la négation de sa liberté que
constituerait le fait d'avoir défini à l'avance l'ensemble de son patrimoine
génétique. Je rejoins totalement à cet égard la position récemment développée
dans ces colonnes par le philosophe Christian Godin. La justification avancée
par les partisans de ce procédé, permettre à des couples totalement stériles
(ou homosexuels) d'avoir une descendance qui leur soit génétiquement
apparentée, ne tient pas. Il n'y a pas de droit imprescriptible à la
procréation, et d'ailleurs il ne s'agit pas ici de procréation, de l'apparition
d'un enfant unique et largement imprévisible, mais de duplication. Il existe
d'autres réponses à la stérilité des couples (adoption, insémination
artificielle avec donneur, don d'embryon...), et la transgression que
constituerait le clonage est bien trop grave et trop lourde de conséquences
symboliques et pratiques pour accéder à de tels désirs parentaux, aussi
intenses soient-ils. Pour autant, peut-on qualifier un tel acte de crime contre
l'humanité ? Procède-t-il d'un désir forcené de nier l'autre, en
l'exterminant comme les nazis, ou en violant systématiquement femmes et filles
comme les " patriotes serbes " de Radovan Karadzic ? Je ne le
crois pas, et je ne crois pas non plus qu'en le qualifiant ainsi on se mette en
mesure de mieux lutter contre sa survenance. Interdisons le clonage
reproductif, le plus vite et le plus largement possible ; sans doute cela
n'empêchera-t-il pas toute transgression - mais il s'agira alors de la
violation d'une loi clairement énoncée, et non d'un acte perpétré dans un vide
juridique par des apprentis sorciers qui arguent de leurs bonnes intentions et
ont l'audace de baptiser leur besogne " clonage thérapeutique ",
parce que, disent-ils, ils soignent les problèmes de stérilité des couples...
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PARIS.