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DOSSIER : GENETIQUE

 

sujet          : le clonage humain

rubrique   : les positions rencontrées au sein de l’AFIS

document : article publié dans l’Humanité (B. Jordan 21 janvier 2003)

Bertrand JORDAN est biologiste moléculaire, directeur de Recherches émérite au CNRS.

 

Il est l’auteur de plusieurs livres, dont

*      Les Imposteurs de la génétique (Le Seuil science ouverte 2000),

*      le chant d’amour des concombres de mer (Le Seuil science ouverte 2002),

*      les marchands de clones (Le Seuil science ouverte 2003).

 

Bertrand JORDAN est membre des comités scientifique et de parrainage de l’association française pour l’information scientifique.

 

 Au-delà de l'anathème

La condamnation généralisée de la tentative de clonage raélienne s'accompagne d'une intense emphase, et les termes employés sont on ne peut plus catégoriques : le clonage reproductif humain serait un crime contre l'humanité, et les raéliens des eugénistes fascisants, des nazis pour tout dire. Et d'évoquer, pour mieux flétrir cet essai (prétendu ?) de reproduction, les pires atrocités commises par le IIIe Reich...

Il me semble urgent, pour permettre une discussion rationnelle et des actions efficaces, de garder un certain sens de la mesure. Le " mouvement " raélien est, certes, une secte, avec son gourou travesti en spationaute, ses groupies, ses finances passablement opaques et ses théories délirantes ; ce n'est sûrement pas le pire, - elle ne paraît pas avoir recours au lavage de cerveau, ni asservir psychologiquement ses adeptes, et certaines de ses positions soixante-huitardes, anticléricales et New Age peuvent même paraître plutôt sympathiques. Raël est moins un fou furieux qu'un habile roublard opportuniste qui a su assaisonner d'une sauce scientiste des idées tendance, et enrober le tout dans un optimisme propre à rassurer bien des esprits inquiets (quoique peu exigeants sur la rigueur des raisonnements). Il s'est ainsi assuré une certaine stature médiatique, une existence matérielle très confortable et une cour d'admiratrices subjuguées par le charme du prophète. Bien sûr, ses " théories " ne tiennent pas la route : comment imaginer que l'espèce humaine a été créée grâce au clonage, il y a vingt-cinq mille ans, alors que les fossiles nous montrent sa lente évolution jusqu'à l'apparition de l'homme moderne cent mille ans plus tôt ? Comment croire que le clonage est la voie vers la vie éternelle, que l'on va créer des clones qui grandiront à toute vitesse grâce à la " croissance accélérée ", permettant ainsi " que chaque personne sur un ordinateur personnel télécharge régulièrement un back up de sa personnalité (mémoire et expérience) qui pourra être transféré dans le support physique cloné " ? La lecture du dernier chef-d'ouvre du prophète, Oui au clonage humain, la vie éternelle grâce à la science, est édifiante pour juger du creux de ses arguments. Tout cela n'en fait pourtant pas un fasciste, même si son plaidoyer en faveur d'une " géniocratie ", dans laquelle les droits électoraux seraient liés au niveau du quotient intellectuel, dévoile un aspect nettement moins plaisant du personnage.

Il était logique que cette secte prétende travailler sur le clonage reproductif humain, dès lors que l'apparition de Dolly avait montré que cette opération était très probablement possible. Ce positionnement a été, au moins dans un premier temps, purement virtuel et médiatique ; l'est-il resté ?, ou l'entreprise Clonaid, émanation des raéliens, est-elle devenue un véritable laboratoire tentant de mettre en pratique ces affirmations ? Nous finirons bien par le savoir ; en attendant, notons que les installations et les compétences nécessaires ne sont pas hors de portée d'un groupe de ce genre, même si - à en juger par l'expérience acquise sur l'animal - les dégâts à prévoir sont considérables (mort d'embryons, fausses couches, naissance d'enfants présentant des anomalies...). Que cette petite Éve clonée existe ou non, il est de toute manière vraisemblable que l'une ou l'autre des équipes marginales, qui tentent de mettre en ouvre le procédé, va arriver à ses fins et produire un clone dûment authentifié - dont la bonne santé, hélas, sera loin d'être assurée. Il est donc plus que temps de prendre position sur cette éventualité, et pas seulement en poussant des cris d'orfraie : en mettant en place une législation claire qui interdise explicitement le clonage reproductif. Rappelons que, même en France, nous n'en sommes pas encore là : la loi de bioéthique révisée doit encore passer au Sénat, puis revenir au Parlement avant d'être adoptée. Rappelons aussi que, au niveau de l'ONU, l'initiative franco-allemande pour un traité rapide proscrivant le clonage reproductif (et lui seul) a été mise en échec par l'offensive menée par les États-Unis, le Vatican et des nations sud-américaines pour prohiber du même coup le clonage thérapeutique : comme l'accord sur ce deuxième point n'existe pas, l'ensemble du processus a pris au moins un an de retard.

Je suis clairement opposé au clonage reproductif, en raison des risques énormes qui seraient pris pour la santé de l'enfant, mais aussi de la violence qui lui serait faite, de la négation de sa liberté que constituerait le fait d'avoir défini à l'avance l'ensemble de son patrimoine génétique. Je rejoins totalement à cet égard la position récemment développée dans ces colonnes par le philosophe Christian Godin. La justification avancée par les partisans de ce procédé, permettre à des couples totalement stériles (ou homosexuels) d'avoir une descendance qui leur soit génétiquement apparentée, ne tient pas. Il n'y a pas de droit imprescriptible à la procréation, et d'ailleurs il ne s'agit pas ici de procréation, de l'apparition d'un enfant unique et largement imprévisible, mais de duplication. Il existe d'autres réponses à la stérilité des couples (adoption, insémination artificielle avec donneur, don d'embryon...), et la transgression que constituerait le clonage est bien trop grave et trop lourde de conséquences symboliques et pratiques pour accéder à de tels désirs parentaux, aussi intenses soient-ils. Pour autant, peut-on qualifier un tel acte de crime contre l'humanité ? Procède-t-il d'un désir forcené de nier l'autre, en l'exterminant comme les nazis, ou en violant systématiquement femmes et filles comme les " patriotes serbes " de Radovan Karadzic ? Je ne le crois pas, et je ne crois pas non plus qu'en le qualifiant ainsi on se mette en mesure de mieux lutter contre sa survenance. Interdisons le clonage reproductif, le plus vite et le plus largement possible ; sans doute cela n'empêchera-t-il pas toute transgression - mais il s'agira alors de la violation d'une loi clairement énoncée, et non d'un acte perpétré dans un vide juridique par des apprentis sorciers qui arguent de leurs bonnes intentions et ont l'audace de baptiser leur besogne " clonage thérapeutique ", parce que, disent-ils, ils soignent les problèmes de stérilité des couples...

 

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