les dossiers de l’ afis44
DOSSIER : GENETIQUE
sujet
: le clonage humain
rubrique : les positions rencontrées au sein de l’AFIS
document : article publié dans Science et pseudo sciences (B.
Jordan)
Bertrand JORDAN est biologiste moléculaire, directeur de
Recherches émérite au CNRS. Il est l’auteur de
plusieurs livres, dont
Cet article reprend,
avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur, un précédent texte
intitulé "Attention, clones à l’horizon ! " publié dans Médecines Science
en 2001. En fin de l’article
original (écrit en 2000), une actualisation (écrite en 2001) avait été
proposée, prenant en particulier en compte les derniers développements des
actions de la secte raélienne. Bertrand JORDAN est
membre des comités scientifique et de parrainage de l’association française
pour l’information scientifique. |
Clones, marchands et . . . secte
Une requête apparemment absurde
Début 1993, un de mes
collègues proches reçut une curieuse lettre en provenance de Mar del Plata,
en Argentine : la correspondante lui demandait, tout simplement, s’il
connaissait un " Institut Génétique qui soit capable de réaliser un process complet de clonation
humaine, partant de cellules vives ". Il s’agissait en fait d’un couple
dont le fils venait de succomber à un sarcome d’Ewing et qui cherchait, en
quelque sorte, à le ressusciter ; la lettre avait dû être envoyée à tous les
laboratoires dont l’intitulé contenait le mot " génétique ". Notre
discussion sur cette demande fit ressortir une grande perplexité (que répondre
à une telle lettre ?), de la compassion vis-à-vis de ces parents endeuillés,
mais aussi un certain effarement devant le pouvoir qu’ils attribuaient à la
science… Ils n’avaient donc pas compris, pensions-nous, que le clonage,
possible pour les grenouilles ou les salamandres, était à jamais exclu pour
l’homme. La programmation épigénétique de l’ADN chez
les mammifères rendait le génome d’une cellule somatique définitivement incapable
de commander un processus d’embryogenèse – c’est du moins ce que nous pensions
avec l’immense majorité des biologistes. Le clonage humain était alors, il y a
à peine huit ans, un fantasme réservé aux auteurs de science-fiction, illustré
entre autres par Ira Levin et son excellent thriller
sur la création de dizaines de petits Hitler à partir de cellules du Führer
pieusement conservées par quelques nazis fanatiques (1) .
Les choses ont bien
changé. L’apparition de Dolly en 1997 a secoué les
certitudes de ceux qui, comme moi-même, considéraient que la questionne se
posait pas. Il est toujours dangereux d’évacuer un problème éthique en arguant
d’impossibilités techniques : une fois de plus, la réalité dépassait la
fiction. Mais après une ou deux années de discussions, d’anathèmes et de
débats, le thème du clonage reproductif humain a beaucoup perdu de son
actualité, du moins en Europe. Son interdiction explicite par la loi, en France
comme en quelques autres pays, a sans doute facilité cette relative désaffection.
Et le débat principal aujourd’hui est plutôt celui du clonage thérapeutique,
l’obtention de cellules souches à partir d’un embryon très précoce créé par
transfert de noyau afin de traiter l’adulte " donneur " de ce
matériel génétique. Ce débat est important, et pose des interrogations sur
différents plans ; mais pendant ce temps-là, me semble-t-il, le clonage
reproductif avance et ses résultats pourraient bien nous surprendre un jour
prochain… C’est du moins l’impression qui se dégage pour moi d’une observation
de la scène américaine. Mon but ici est de faire le point sur des
développements récents dans ce domaine : je ne reviendrai donc pas sur les
raisons éthiques qui s’opposent au clonage reproductif humain, exposées
d’excellente manière par de nombreux auteurs et notamment par Axel Kahn dès
l’annonce du clonage de Dolly (2) .
Je dirai juste qu’en ce qui me concerne, le motif de rejet le plus absolu est
la négation de l’autonomie de l’enfant, créé par des " parents "qui
auraient l’illusion d’avoir prédéterminé toutes ses caractéristiques.
Le clonage d’animaux de compagnie
On sait que le clonage
fait l’objet d’efforts soutenus chez les professionnels de l’élevage, afin d’obtenir
des troupeaux d’animaux identiques à un donneur très performant (le taureau
" Starbuck " au Canada), ou de multiplier
rapidement les exemplaires d’une brebis ou d’une chèvre transgéniques
produisant dans leur lait une molécule d’intérêt pharmaceutique. Une autre
motivation est l’espoir de sauver par clonage des espèces envoie de
disparition, ou même déjà disparues, à condition que subsistent des
échantillons de tissus conservés dans de bonnes conditions. Mentionnons des
travaux menés en Australie sur le wombat (un rongeur marsupial)et sur le tigre de Tasmanie, à Bangkok sur l’éléphant blanc
et, plus sérieusement (car certains projets relèvent plus du fantasme que de la
réalité), sur le gaur (Bos gaurus),
une espèce très menacée de bœuf sauvage. Dans ce dernier cas le travail a été
mené par une entreprise, Advanced Cell
Technology, dans l’état du Massachusetts
(Etats-Unis). Un clone a été effectivement produit en utilisant des ovocytes de
vache, des noyaux de cellules somatiques de gaur fournis par le zoo de San Diego (Californie) et une vache porteuse ; il est mort
d’une infection bactérienne quelques jours après sa naissance (3)
, mais les essais continuent. Certains laboratoires, à l’Université de Géorgie
(Etats-Unis) par exemple, annoncent avoir amélioré le procédé ; d’autres
insistent sur le nombre élevé d’anomalies constaté chez les animaux clonés, lié
sans doute à une " reprogrammation"
imparfaite du génome (nous y reviendrons). Ces problèmes n’ont pas empêché la
récente vente par enchères, à Cedar Rapids (Iowa,Etats-Unis), d’un veau cloné par l’entreprise Cyagra (Worcester, Etats-Unis) pour la somme de 100 000
dollars américains – alors que le clonage est en cours et que ce veau n’existe
pas encore ! Il y a tout de même, dans ce cas, une garantie de remboursement en
cas d’échec…On sait peut-être moins que le clonage de chiens ou de chats est
dès aujourd’hui un secteur commercial en expansion aux Etats-Unis. Plusieurs
compagnies y ont été fondées pour exploiter ce créneau apparemment lucratif : Genetic Savings& Clone
(Texas) (4) filiale commerciale du " Projet Missiplicity " (voir plus bas), Lazaron
(Bâton Rouge, Louisiane)(5) , Canine Cryobank (San MarcosCalifornie), perPetuate (Newington,
Connecticut)…
En fait de clonage, il
s’agit plutôt de promesses situées dans un futur encore indéfini, puisque
personne à ce jour ne semble avoir réussi à cloner un chien ou un chat. Ce
qu’offrent réellement ces entreprises à l’heure actuelle, c’est de stocker
l’ADN et les cellules de votre compagnon en vue d’un éventuel clonage. Le coût
n’est pas négligeable, et c’est sur ce service qu’est fondé le business model
de telles sociétés. Lazaron, par exemple, fournit
pour 700 dollars un kit de prélèvement ; après que ce dernier ait été effectué
par un vétérinaire (qui se fera payer 100 à 150 dollars), la société stockera
le fragment de tissu dans l’azote liquide pour 10 dollars par mois (mais l’on
paie d’avance pour plusieurs années…). L’objectif, le clonage, est omniprésent
dans les titres, les images et les textes (le site de Lazaron
est particulièrement riche et explique très bien les différentes étapes de la
procédure), mais indiqué comme " Not yet available "…Le seul programme apparemment solide et
sur lequel des informations soient disponibles est le déjà célèbre Missiplicity Project mené par le physiologiste Mark Westhusin à l’Université du Texas, grâce à un couple
anonyme(mais aisé) qui finance ce travail à hauteur de plus de deux millions de
dollars. L’objectif est de produire un nouvel exemplaire de la chienne du
couple, Missy, une bâtarde de Border Collie et de Husky de Sibérie, actuellement âgée de 14 ans.
Le projet est décrit dans un site Internet assez complet (5) , contenant de nombreuses informations et notamment un
code éthique précis, qui exclut toute incursion dans le clonage humain.
L’ensemble donne une incontestable impression de sérieux. La compagnie Genetic Savings &Clone est
une spinoff de ce projet, et a été fondée par Westhusin en réponse, dit-il, aux milliers d’appels de
propriétaires souhaitant faire cloner leur animal favori. D’autres projets
semblent plus fantaisistes, comme celui du Professeur Yang à l’Université du
Connecticut (Etats-Unis) qui se propose de créer puis cloner des chats ne
provoquant pas d’allergies…
La demande des
particuliers semble en tous cas très forte, fondée sur l’illusion de
ressusciter ainsi un animal considéré comme irremplaçable. Elle contribue à
" apprivoiser " l’idée du clonage : quoi de plus inoffensif que de
vouloir recréer un chat ou un chien adorés ? Elle fournit aussi une demande
solvable qui finance le perfectionnement des méthodes et peut ainsi contribuer
à rapprocher le clonage reproductif humain de la faisabilité technique.
Les cellules souches Les cellules souches sont
des cellules indifférenciées capables de se reproduire et de donner naissance
à des cellules différenciées(cellules du muscle ou
du foie, globules rouges, etc.). Il en existe quatre
types : • Les cellules
totipotentes qui constituent l’embryon aux quatre premiers jours de
son développement et qui peuvent engendrer un être humain dans son entier. • Les cellules souches
embryonnaires dites pluripotentes qui sont issues de la partie interne
de l’embryon au stade de quarante cellules. Elles peuvent engendrer près de
deux cents types de cellules. • Les cellules souches multipotentes qui sont à l’origine de plusieurs
type de cellules différenciées. Par exemple, les cellules souches de la
moelle osseuse sont à l’origine de toutes les cellules sanguines (globules
rouges et blancs, plaquettes, etc.). • Les cellules souches unipotentes ne peuvent former qu’une sorte de
cellules différenciées (cas de la peau, du cartilage, du muscle, etc.). |
Une tentative " sérieuse "
Le clonage reproductif humain
vient tout juste d’être interdit aux Etats-Unis, jusqu’ici seul l’emploi de
fonds publics à cet effet était exclu (6) .
C’est dans cette ambiance qui semblait permissive qu’est intervenue l’annonce
par Panos Zavos, professeur de physiologie de la reproduction
à l’Université du Kentucky et Severino Antinori, médecin italien connu pour avoir notamment
"réussi " des grossesses chez des femmes ménopausées, du projet de
cloner un être humain au cours des deux prochaines années (7) . Ils précisaient que leur but est de permettre à des
couples doublement infertiles d’avoir une descendance biologique, annonçaient
un coût initial de l’ordre de 50 000 dollars, et présentaient leur entreprise
comme un programme sérieux et" responsable " alors que, selon eux,
certains sont sans doute entrain de tenter la même chose " dans leur
garage ". En somme " Il existe une demande, et il vaut mieux que ce
soit nous (de vrais experts) qui y répondions plutôt que d’autres ".
Quelques écueils…
Voire… Indépendamment
des législations, la route vers le clone humain reste encore un parcours
d’obstacles, comme le montre l’expérience de Dolly et
des autres clones animaux. Après l’énucléation de l’ovule et l’introduction
d’un noyau provenant d’une cellule somatique, une sur quatre (au mieux) devient
un embryon commençant à se développer. Sur cent embryons implantés,
quatre-vingt-dix au moins périssent durant le développement. Et parmi les
animaux qui arrivent à terme, certains ne survivent que quelques heures ou
quelques jours, beaucoup d’autres sont très anormaux. Ce taux d’échec,
admissible dans un cadre de recherche sur l’animal, devient inacceptable s’il
s’agit de créer (ou plutôt de recréer) un être humain, indépendamment du
problème de principe que pose le clonage reproductif humain. S’y ajoute la
question des télomères (structures particulières présentes à l’extrémité des
chromosomes, et dont le raccourcissement serait un signe de vieillissement) et
donc de l’âge physiologique du clone, objet pour le moment de controverses (8) . Les résultats sont contradictoires
puisque dans certains cas les clones animaux semblent prématurément vieux
(télomères très courts) alors que dans d’autres ils restent anormalement
jeunes, d’après ce critère, durant toute leur croissance (9).
Bref, beaucoup d’incertitudes subsistent…On peut néanmoins observer que
l’intensité et le nombre des expérimentations en cours sur l’animal devraient
progressivement lever ces incertitudes. De plus, la physiologie reproductive
humaine est - pour cause - particulièrement bien connue, et les techniques
d’obtention d’ovules, leur traitement au laboratoire et leur réimplantation ont été perfectionnées au cours de plus de vingt années de
pratique de la fécondation in vitro. Mais Zanos et Antinori ne sont peut-être pas les prétendants les plus
sérieux à l’obtention du premier clone humain : celui-ci pourrait bien provenir
de travaux réalisés dans un autre cadre…
Les Raéliens ? Vous voulez rire ?
L’annonce par la secte
des Raéliens de son intention de cloner un être humain,
et la fondation à cet effet d’une filiale appelée Clonaid
(10) fait à première vue penser à un canular. Le prophète de
ce groupe, un certain Claude Vorilhon, journaliste
sportif de son état, aurait vu une soucoupe volante près de Clermont-Ferrand,
en 1973. Au cours d’une rencontre émaillée de détails croquignolesques
(comme les six androïdes femelles affectés à son bien-être…), les " Elohim
", créateurs de l’espèce humaine, lui auraient donné le nom de Raël et l’auraient chargé de construire une" ambassade
" destinée à les accueillir. Fatras que tout cela, exploitation des
espoirs et des peurs d’une fin de siècle technologique, fausse synthèse
aberrante entre science, idéologie et religion… Reste que les Raéliens revendiquent 55000 adhérents (en fait, probablement
la moitié), et qu’ils disposent de moyens notables. Chaque membre doit donner à
la secte 3%de son revenu, et les sommes recueillies pour la construction de
l’ambassade (il a été question de l’implanter en Israël, mais les négociations
avaient échoué avant les événements actuels) dépassent les sept millions de
dollars.
Le clonage est en plein
accord avec l’idéologie raélienne : cette secte 100% scientiste est très
favorable à toutes les utilisations du génie génétique, et envisage une
immortalité scientifique obtenue par le clonage d’un (jeune) adulte à partir
d’un individu âgé suivi du " transfert " de toutes les mémoires de
l’un à l’autre. Cette idéologie, les moyens financiers non négligeables dont
dispose le mouvement, mais aussi et surtout son caractère sectaire, sont en
l’occurrence de sérieux atouts.
Rencontre avec un couple
La matérialisation du
projet raélien est liée à la rencontre avec un couple américain qui a perdu un
enfant à 10 mois, à la suite d’une erreur médicale. Bien que jeunes (ils n’ont
pas atteint la quarantaine), les parents, qui ont déjà deux autres enfants,
tiennent absolument à recréer ce bébé afin qu’il poursuive sa vie prématurément
et injustement interrompue. Ils sont prêts à y consacrer des sommes importantes
(provenant notamment du procès qu’ils ont gagné contre l’hôpital), et ont pris
à cet effet contact avec les Raéliens en Juin 2000.
Quoique n’appartenant pas à la secte, ils ont abouti à un accord, et c’est leur
enfant que l’équipe raélienne tente actuellement de cloner.
La directrice
scientifique de Clonaid est une chimiste française,
Brigitte Boisselier, " Evêque Raélien ",
qui a longtemps travaillé pour l’Air Liquide. Elle a, selon ses dires,
rassemblé une équipe comprenant un généticien, un biochimiste et un obstétricien-gynécologue affilié à une clinique de
procréation médicalement assistée, et a entamé ses travaux depuis la fin de
l’année dernière – travaux qui peuvent bénéficier de l’environnement très
particulier que leur offre la secte.
Le clonage selon Raël
: l’arme absolue contre le terrorisme Dans un autre
contexte, ceci pourrait faire sourire… Voici la déclaration de Raël faite à la suite des attentats de New York. Le
clonage selon les Raëliens serait l’arme absolue
contre le terrorisme, permettrait même de capturer les terroristes et
offrirait la possibilité de ressusciter les disparus… " Il faut
accélérer le développement du clonage humain car cette technologie rendra les
attaques terroristes inefficaces dans le futur. En effet, cela se fera lorsque
la phase 3 du clonage sera atteinte, celle qui permettra de cloner
directement un individu adulte grâce à la Croissance Accélérée, puis à
télécharger (downloader ou uploader) les
informations qui dans le cerveau contiennent la personnalité, la mémoire et
l’expérience des gens. Ainsi lors d’un drame comme celui-ci, toutes les
victimes pourront être ramenées à la vie grâce au clonage, directement entant
qu’adultes, et leur personnalité sera téléchargée dans leur cerveau. Il
suffira qu’une banque génétique dans chaque pays contienne le code génétique
de chaque individu dès sa naissance (son "âme" comme disaient les
primitifs) et que chaque personne sur un ordinateur personnel télécharge
régulièrement un back up de sa personnalité,(mémoire
et expérience) qui pourra être transférée dans le support physique cloné. La
personne bénéficiant de cette technologie après un attentat aura juste la
dernière journée qui manquera à sa mémoire. Cette technologie permettra
également de cloner les terroristes et de pouvoir les juger pour leurs
crimes. Ainsi, aucune attaque suicide ne verra ses auteurs échapper à la
Justice par la mort. " |
Les atouts des Raéliens
Sur le plan technique,
les problèmes du clonage reproductif humain se situent pour l’essentiel en
amont et en aval. En amont : comment obtenir régulièrement les nombreux
ovocytes nécessaires pour des essais dont on sait qu’a priori un sur cent
seulement a des chances d’être une réussite ? La stimulation hormonale à subir,
et le prélèvement lui-même ne sont pas anodins tant du point de vue physique
que psychologique. Mais il se trouve apparemment parmi les adeptes de Raël des dizaines de jeunes femmes prêtes à se plier avec
enthousiasme à cette discipline. L’étape suivante, énucléation de l’œuf et
introduction d’un noyau prélevé sur des cellules somatiques convenablement
traitées, n’est probablement pas plus difficile à effectuer pour l’homme que
pour d’autres espèces. Pour la culture en laboratoire de l’embryon obtenu, puis
sa réimplantation dans l’utérus d’une mère porteuse, on dispose au contraire
d’un avantage évident sur le modèle animal, la déjà longue expérience de
fécondation in vitro qui a permis la naissance de milliers d’enfants conçus au
laboratoire…
Restent les risques de
mort au cours du développement, ou d’anomalies graves imposant une interruption
provoquée de la grossesse. Dans cette phase aval, l’idéologie sectaire assure
apparemment la disponibilité de nombreuses mères porteuses(dont
la propre fille de Brigitte Boisselier, âgée de 22 ans), prêtes à assumer les
aléas d’une telle grossesse (la mère biologique du clone n’étant pas mise à
contribution). Au total, et si l’on se fonde sur les chiffres connus dans
d’autres espèces, l’affaire semble jouable : de nombreux ovules produits par
quelques dizaines de donneuses, une centaine d’embryons implantés deux par deux
dans l’utérus d’une cinquantaine de mères porteuses pourraient,
statistiquement, aboutir à un clone " réussi "… L’on est bien sûr ici
en terre inconnue et des facteurs encore ignorés peuvent rendre le clonage d’un
être humain nettement plus difficile (ou, au contraire, bien plus facile) que
celui d’une vache ou d’une brebis ; mais la possibilité de succès semble
suffisamment réelle pour être prise au sérieux.
" Succès "
qui ne serait d’ailleurs pas acquis dès la naissance d’un enfant apparemment
normal : les problèmes de santé des clones animaux commencent à faire surface,
malgré la discrétion des entreprises du secteur, qui ont naturellement intérêt
à les minimiser. Coeur hypertrophié, poumons sous-dimensionnés,
tendance précoce à une obésité pathologique, voilà quelques-unes des anomalies
qui sont fréquemment évoquées. Lors de la production d’un clone, l’ADN, qui
devrait provenir d’un spermatozoïde et d’un ovule, est fourni par une cellule somatique,
cellule de peau par exemple. Or, même si cet ADN contient bien l’ensemble des
gènes en deux exemplaires, il existe entre le matériel génétique de ces
cellules et celui des cellules sexuelles de subtiles différences (méthylation de certains atomes, par exemple), qui
n’altèrent pas le message, la séquence, la suite des lettres mais jouent
néanmoins sur les modalités de fonctionnement des gènes. Ce sont justement ces
différences qui faisaient penser, il y a dix ans, que le clonage de mammifères
était impossible ; les techniques mises au point notamment pour Dolly permettent de contourner, mais apparemment pas de
maîtriser complètement, cette difficulté.
Si néanmoins un tel
enfant naissait, espérons-le sans troubles physiologiques à la naissance ou par
la suite, il constituerait sans doute le moins inacceptable des clones humains
: jumeau à retardement d’un enfant récemment disparu à un âge très précoce, il
ne serait pas placé dans la position psychologiquement impossible du clone
" copie " d’un adulte, écrasé sous le poids d’attentes
disproportionnées. Ses parents tenteraient sans doute de reprendre son
éducation comme s’il s’était agi d’une parenthèse dans la même vie. Cela
pourrait même réussir – mais l’on peut s’attendre à une pression médiatique énorme
sur cet enfant, de nature à ruiner toute chance de développement normal. Et
même si les parents (dont l’identité est actuellement dissimulée) tentaient de
l’y soustraire, on peut compter sur les Raéliens pour
agir en sens inverse… Les conséquences symboliques et idéologiques d’un tel
événement seraient en tous cas majeures.
Aux dernières
nouvelles, les Raéliens n’ont toujours pas renoncé,
malgré les difficultés scientifiques qui s’accumulent et le passage dans de
nombreuses nations de lois interdisant le clonage reproductif : en date du 29
juin dernier, Brigitte Boisselier affirmait que Clonaid
poursuivait ses travaux. Son site Internet 11 précise " La compagnie Valiant Venture qu’avait créé RAËL aux Bahamas pour
poursuivre le projet CLONAID n’existe plus. Elle a été annulée par le
gouvernement des Bahamas, suite aux pressions de la télévision française
demandant aux autorités des Bahamas s’ils allaient accepter que le clonage
humain se fasse dans leur pays… Le Dr Brigitte Boisselier, évêque Raëlien, et responsable du projet, a fondé aux USA une
autre compagnie qui poursuit le projet Clonaid et les
autres projets présentés ici et dispose désormais d’un laboratoire entièrement
équipé qui a commencé le travail. Le nom de cette compagnie est pour l’instant tenu
secret pour des raisons de sécurité évidentes, tout comme l’endroit ou se
trouve le laboratoire ". Notez d’ailleurs, si vous êtes intéressés,
que" RAËL est disponible pour des conférences publiques sur le clonage
humain pour un coût de 100 000 US$ " et aussi qu’il vient de publier un
nouveau livre Oui au clonage humain, la vie éternelle grâce à la science (10) ...
Un impact désastreux
Je frémis (et je ne
suis sûrement pas le seul) à l’idée qu’un jour la grande presse puisse annoncer
la naissance du premier clone humain et présenter cet événement comme un
éclatant succès de la secte raélienne – et, quelque part, comme une preuve de
ses théories délirantes et une incitation à leur accorder crédit. Certes, le
succès de l’opération est loin d’être acquis, les législations deviennent
dissuasives, et il est possible que même les Raéliens
se découragent ou que leur source de volontaires se tarisse. En tout état de
cause, il serait étonnant que le clonage devienne une opération de routine, les
risques médicaux, l’opposition d’une grande partie de l’opinion et, de plus en
plus, des législations ad hoc vont l’en empêcher. Le danger n’est donc pas, me
semble-t-il, l’apparition immédiate de volées de clones, mais la transgression
d’un interdit officiel et majoritairement partagé. Transgression qui montrerait
que, décidément, à partir du moment où une procédure devient techniquement
possible, elle est réalisée, quelles que soient la position des autorités
morales (du Pape à l’UNESCO en passant par le Président de la République…) et
les stipulations de la loi. Elle prouverait que nos tentatives de régulation
sont vaines et que nous ne sommes décidément pas capables d’encadrer les
applications de la génétique et de la "procréatique ". Que ce pied de
nez aux autorités provienne d’un groupe marginal à l’idéologie extravagante ne
ferait qu’aggraver le choc.
Que faire ?
Au cours des derniers
mois, de plus en plus d’Etats – et non des moindres – ont interdit le clonage
reproductif humain ; encore faut-il qu’ils se donnent rapidement les moyens de
faire effectivement appliquer cette interdiction. Faut-il simultanément essayer
de convaincre les Raéliens, les autres sectes du même
acabit tout comme quelques scientifiques en quête de publicité ou de profits,
de renoncer à leurs projets ? Les expériences du passé n’incitent pas à un
grand optimisme sur nos possibilités réelles d’empêcher de telles tentatives,
bien que le fait de donner une large publicité à cette perspective puisse avoir
un effet dissuasif (comme le montre l’extrait de Clonaid
cité plus haut). De plus, il est important d’atténuer dès à présent l’impact de
cet événement malheureusement possible : non, l’obtention d’un bébé cloné ne
serait pas une prouesse scientifique ! Au prix d’un grand gâchis, de
souffrances physiques et morales infligées à des jeunes femmes
instrumentalisées par une secte, d’un risque très important d’anomalies, ce
serait au contraire un pas en arrière dans la capacité de nos sociétés à
maîtriser les nouvelles technologies et à se donner le temps de la réflexion et
du débat – sans parler de l’avenir sans doute bien perturbé de l’enfant en
cause, involontaire superstar de médias dont la responsabilité n’est pas la
qualité première…
Raël
& Cie : petite mise à jour L’article précédent, écrit
fin 2000, a été publié par la revue Médecine/sciences en mars 2001 ; les
informations qu’il rapporte étaient à l’époque peu connues du grand public
français. A partir du printemps2001, la grande presse s’est saisie du sujet
et a publié de nombreux articles, notamment à l’occasion de débats sur
l’interdiction du clonage reproductif humain aux Etats-Unis. Que s’est-il passé en
fait dans ce domaine, en dehors de ce renouveau d’attention médiatique ? Je
m’intéresse ici uniquement au clonage reproductif ayant pour objectif
l’obtention d’un enfant génétiquement identique au donneur de l’ADN, pas au
clonage thérapeutique qui pose d’autres questions. Sur le plan scientifique,
rien de très nouveau pour le moment, sinon une prise de conscience plus aiguë
du très faible" rendement " du clonage. Il ne s’agit pas seulement
du fait que plusieurs centaines de tentatives restent nécessaires pour
obtenir un seul animal cloné, mais aussi, surtout de la " mauvaise
qualité " des individus obtenus : ils présentent presque toujours des
anomalies plus ou moins graves (problèmes cardiaques, pulmonaires, obésité,
vieillissement précoces) qui aboutissent souvent à une mort prématurée. Cela
découle apparemment d’une " reprogrammation
" incomplète de l’ADN. Les manipulations mises au point notamment lors
du clonage réussi de Dolly (culture des cellules
" donneuses " dans des conditions très particulières) permettent
d’effacer dans une large mesure les modifications(réversibles)
présentes dans l’ADN d’une cellule somatique. Ce dernier devient
alors capable de diriger le développement d’un embryon. " Dans une large
mesure ", suffisamment pour que quelques embryons arrivent jusqu’au bout
de leur développement… mais pas assez (en général) pour que l’organisme
résultant soit totalement normal. C’est sur ce plan que pourrait survenir une
avancée scientifique majeure, la mise au point d’une technique éliminant
totalement ces modifications et permettant donc un développement entièrement
normal de l’embryon : une telle avancée est certes concevable, mais
totalement imprévisible. Ces difficultés
étaient déjà connues il y a un an, mais les laboratoires et surtout les
entreprises impliquées dans le clonage d’animaux avaient une tendance bien
naturelle à les minimiser. Elles apparaissent aujourd’hui beaucoup plus
clairement et rendent à l’évidence toute tentative de clonage humain
totalement irresponsable, sur le strict plan de la sécurité médicale et en
dehors de toute considération de principe. Pourtant, les " cloneurs
" annoncent leur intention de persister dans leur entreprise… Ils l’ont
notamment affirmé lors d’une réunion spécialement organisée sur ce sujet par
la National Academy of Sciences(Etats-Unis)
début août 2001. Au cours de ce débat (qui a souvent tourné à l’empoignade), Antinori et Zavos ont annoncé
qu’ils avaient deux cents couples candidats, et qu’ils soumettraient les
embryons à des tests pour s’assurer de leur normalité avant implantation - or
il n’existe actuellement pas de moyen de détecter à l’avance les anomalies
relativement subtiles décrites plus haut. Boisselier, elle, a annoncé avoir
entamé des expériences sans donner aucun détail. En fait le projet
développé à l’origine par les Raéliens, ce clonage
visant à produire un double d’un enfant mort à l’âge de 10 mois, est maintenant
abandonné, les parents qui l’avaient commandité ayant rompu avec Brigitte
Boisselier. Leur identité est maintenant connue : il s’agit de Mark Hunt, un
avocat exerçant en Virginie, qui avait investi près d’un demi-million
de dollars dans l’aventure. Aventure matérialisée par l’installation d’un
laboratoire à Nitro, dans la banlieue de
Charleston… laboratoire qui se résume à deux ou trois pièces très
sommairement équipées et qui ne semble pas avoir abrité une quelconque
activité scientifique. Bien entendu, Brigitte Boisselier (dont le palmarès de
publications scientifiques est nul, contrairement à ceux de Zanos et Antinori) affirme
qu’elle a d’autres candidats, et de nouvelles installations dans un lieu tenu
secret… Antinori, lui, envisagerait d’implanter son
laboratoire sur un bateau ancré dans les eaux internationales… Sur le plan
législatif enfin, la chambre des représentants des Etats-Unis a voté en
juillet une loi interdisant le clonage humain, qui devait être examinée au
Sénat avant la fin septembre… mais les événements actuels donnent d’autres
soucis aux législateurs. La France et l’Allemagne, par ailleurs, ont lancé
une initiative au niveau de l’ONU pour interdire le clonage, qui est déjà
hors la loi en Europe. Au total, la
situation est sans doute un peu moins alarmante qu’elle n’apparaissait il y a
six ou neuf mois : les difficultés maintenant évidentes du clonage animal
devraient jouer un rôle dissuasif, les promoteurs du clonage humain ont
visiblement du mal à engager la réalisation de leurs projets et les
législations se durcissent. Il n’en reste pas moins que les
obstacles techniques sont par nature provisoires, que toute
législation peut être tournée, et qu’une extrême vigilance reste nécessaire… B.J. |
1) The boys from Brazil, Ira Levin, 1976, Pan Books,
Londres.
2) Kahn A,
Cloner des mammifères… cloner des hommes ?, Med Sci 1997 13 : 428-429.
3) Gugliotta G., Cloned
ox dies from infection,
Washington Post, 13 janvier 2001.
4) http://www.savingsandclone.com
5) http://www.lazaron.com, http://www.missiplicity.com
6) La FDA (Food and
Drug Administration) considère depuis longtemps
qu’elle a un droit de regard et que toute tentative de clonage devrait être
étudiée par elle comme la mise sur le marché d’un nouveau médicament. Plusieurs
propositions de loi visant à interdire le clonage avaient été déposées, l’une
d’elles a été votée le 31 Juillet 2001 par le Congrès des Etats-Unis.
7) Vogel G., Reproductive biology. Cloning: could
humans be next ?, Science. 2001 291:808-9.
8) Hodes RJ., Telomere length, aging, and somatic cell turnover,
J Exp Med. 1999 190:153-6.9) Vogel G., In contrast to Dolly, cloning resets
telomere clock in cattle, Science (News of the week) 2000 288: 586-587.
9) Lanza RP, Cibelli JB, Blackwell C, Cristofalo VJ, Francis MK,
Baerlocher GM, Mak J, Schertzer M, Chavez EA, Sawyer N, Lansdorp PM, West MD.,
Extension of cell life-span and telomere length in animals cloned from
senescent somatic cells ; Science. 2000 288:665-9.
10) http://www.clonaid.com
afis, Science et pseudo-sciences,
14 rue de l'école polytechnique, 75005 PARIS.