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Les
dossiers de l' information
scientifique du comité départemental 44
de l'association française pour l'information scientifique |
SUPPLEMENT AU BULLETIN DE L’INFORMATION SCIENTIFIQUE N° 4 – SEPTEMBRE 2003
du
clonage des brebis …
… au clonage humain
en guise d’introduction
décembre 1984 « le clonage de mammifères par simple transfert
d’un noyau est biologiquement impossible »
Davor SOLTER, Wistar
Institute, Philadephy, USA, in Science
mars 1996 « le
clonage de mammifères à partir de cellules adultes sera beaucoup plus
difficile, mais ne peut plus être considéré comme impossible »
Davor SOLTER, Wistar Institute,
Philadephy, USA, in Nature
février 1997 annonce de la naissance
de la brebis DOLLY, le 5 juillet 1996
Ian WILMUT et Keith CAMBELL, Roslin
Institute, Scotland, pour le compte de PPL Therapeutic, in Nature,
février 1997
décembre 2002 annonce de la
naissance (ni avérée ni invalidée) du premier clone humain EVE,
le 26 décembre 2002
Brigitte BOISSELIER, directrice de CLONAID, société
fondée en février 1997 par RAËL
Ces quelques dates offrent un jalon rapide de l’histoire récente du
clonage des animaux supérieurs. Les annonces de premières se succèdent à rythme
rapide depuis les succès de 1996 du Roslin Institute, cet été nous ayant de
nouveau réservé la naissance de clones de cheval et de mulet.
Le 8 septembre 2003, notre ami
Bertrand JORDAN, biologiste moléculaire membre du conseil scientifique et du
comité de parrainage de notre association, vient au muséum d’histoire
naturelle, à notre invitation et à celle des structures locales de l’union
rationaliste et de la libre pensée, pour nous parler et nous inviter à débattre
du clonage en général et notamment animal, du clonage humain en particulier
(« thérapeutique » et « reproductif »), et de perspectives
éventuelles ou fantasmagoriques d’amélioration génétique humaine.
Bien évidemment, comme d’autres sujets que nous avons déjà évoqués dans
nos colonnes (les OGM, les ondes électromagnétiques, la radioactivité, etc.),
le thème du clonage (« reproductif » ou « thérapeutique »,
sans oublier les clones transgéniques ou les xénogreffes) unit tous les
ingrédients d’un mélange détonnant.
Ce dossier ne vise pas à regrouper des informations scientifiques
développées sur ces thèmes puisque Bertrand JORDAN s’en chargera et que des
informations sont disponibles dans la revue Science et pseudo sciences ou dans
les ouvrages de Bertrand JORDAN.
Il vise à présenter les positions typiques prises publiquement sur les
questions du clonage humain, avec en arrière plan les débats nord américains ou
européens relatifs aux législations d’encadrement (voire d’interdiction) de la
recherche scientifique, débats que la médiatisation de l’annonce raélienne a
contribué à rendre encore plus passionnels qu’ils ne l’étaient déjà.
Nous avons donc choisi de soumettre à votre sagacité :
◊ une traduction (sous notre responsabilité) de la déclaration
en défense du clonage et de l’intégrité de la recherche scientifique qui a
été signée par 31 personnalités lauréates de l’académie internationale de
l’humanisme parmi lesquelles on reconnaîtra le nom de Francis CRICK,
lauréat du prix Nobel en 1962 pour la co-découverte de l’ADN, mais aussi de
notre ami Jean-Claude PECKER, ancien président de notre association, ou
encore de l’ancienne présidente du parlement européen Simone VEIL.
◊ Un éclairage sur des opposants inconditionnels à travers
la « pétition européenne contre le clonage » et ses auteurs.
◊ Des éléments trouvés sur le site de la société
CLONAID et la fin de la déclaration de RAËL devant le congrès US.
◊ Enfin, nous reproduisons le point de vue individuel de
Bertrand JORDAN, point de vue défendu le 21 janvier 2003 dans le quotidien
l’Humanité au début du déchaînement médiatique déclenché par l’annonce
raélienne.
Ce regroupement ne prétend pas à l’exhaustivité ni de toutes les
questions soulevées ni de toutes les prises de position ; il s’agit d’un
échantillonnage qui se veut honnête des positions les plus marquées telles
qu’elles apparaissent à la surface des tris de moteurs de recherche. La conférence,
le débat qui suivra, vos propres recherches éventuelles, et l’exercice de votre
raison critique feront le reste.
Michel NAUD, coordinateur du comité départemental, le 21
août 2003
ASSOCIATION
FRANCAISE POUR L’INFORMATION SCIENTIFIQUE (AFIS), 14 RUE DE L’ECOLE
POLYTECHNIQUE, 75005 PARIS
Site internet : www.pseudo-sciences.org
Coordinateur du comité départemental de Loire-Atlantique de l’AFIS :
Michel NAUD, mn@ouestfonderie.com
Declaration
in Defense of Cloning and the Integrity of Scientific Research
déclaration en défense du clonage et de l’intégrité de la recherche
scientifique, (secularhumanism.org)
Nous, soussignés, saluons les annonces de progrès majeurs dans le
domaine du clonage des animaux supérieurs. Tout au long de ce siècle, les
sciences physiques, biologiques et comportementales ont mis de nouvelles et
importantes possibilités à portée des efforts humains. Tout bien pesé, ces
avancées ont contribué à d’énormes améliorations du bien-être humain. Là où les
nouvelles technologies ont soulevé des questions éthiques légitimes, la
collectivité humaine a su en général faire la démonstration de sa volonté en se
confrontant ouvertement à ces questions et en cherchant les réponses en mesure
d’augmenter le bien-être général.
Le clonage des animaux supérieurs soulève des inquiétudes éthiques. Des directives
appropriées doivent être développées pour empêcher les abus, tout en rendant
les avantages du clonage disponibles au maximum. De telles directives devraient
réserver le plus grand respect de l’autonomie et du choix de chaque individu.
Tout devrait être mis en oeuvre afin de préserver la liberté et l’intégrité de
la recherche scientifique
Personne n’a démontré à ce jour
une capacité à cloner des êtres humains. Pourtant le seul fait que les
réalisations déjà accomplies puissent ouvrir la voie à un tel clonage a suffi à
déclencher un tonnerre de protestations. Nous assistons avec inquiétude aux
appels largement répandus à retarder, à ne plus subventionner ou à suspendre la
recherche sur le clonage, appels en provenance de sources aussi disparates que
le Président Bill Clinton aux Etats-Unis, le Président Jacques Chirac en
France, l’ancien Premier Ministre John Major en Grande-Bretagne, et le Vatican
à Rome.
Nous estimons que la raison est l'outil le plus puissant dont dispose
l'humanité pour démêler les problèmes qu’elle rencontre. Mais l'argumentation rationnelle a été un
article rare lors de la pléthore récente d'attaques contre le clonage. Des parallèles avec le mythe d’Icare et le
Frankenstein de Mary Shelley ont fait les délices des critiques, prédisant les
pires conséquences si les chercheurs persistent à explorer des questions dont
les réponses « devraient rester étrangères à l’entendement humain ».
Les critiques les plus virulentes semblent accréditer la thèse que le clonage
humain soulèverait des questions morales plus profondes que celles jamais
rencontrées lors des développements scientifiques ou technologiques qui ont précédé.
Quelles questions morales le clonage humain soulèverait-il? Quelques religions enseignent que les êtres
humains sont fondamentalement différents des autres mammifères, que les humains
ont été dotés d'âmes immortelles par une divinité, leur conférant une valeur
qui ne peut être comparée à aucune autre chose vivante. La nature humaine est tenue pour unique et
sacrée. Les progrès scientifiques qui
induisent la perception d’un risque d’altérer cette « nature »
rencontrent une opposition agressive.
Nous doutons que de telles idées, pouvant être enracinées jusqu’à
devenir des dogmes, puissent être de quelque secours pour décider dans quelle
mesure les êtres humains seront autorisés à bénéficier de la nouvelle
biotechnologie. Autant que l’entreprise scientifique peut le déterminer, l’Homo
Sapiens est membre du règne animal. Les capacités humaines semblent différer en
degré, pas en nature, de celles rencontrées chez les animaux supérieurs. Le
répertoire riche du genre humain en pensées, sentiments, aspirations et espoirs
semble résulter de processus électrochimiques du cerveau et non d’une âme
immatérielle qui opérerait par des voies qu’aucun instrument ne peut découvrir.
La question immédiate soulevée par le débat en cours à propos du clonage
est donc : « les avocats du surnaturel et du spirituel
sont-ils réellement qualifiés pour contribuer à cette discussion ? ». Bien
évidemment, chacun a le droit d’être entendu. Mais nous estimons qu’il y a
véritablement un danger que des recherches avec un potentiel énorme de
retombées positives puissent être arrêtées simplement parce qu’elles
rentreraient en conflit avec les croyances religieuses de certains. Il est
important de souligner que des objections religieuses similaires ont été formulées
dans le passé contre les autopsies, l’anesthésie, l’insémination artificielle,
et l’intégralité de la révolution génétique déjà réalisée, alors même que des
retombées positives considérables ont accompagné chacun de ces développements.
Une vision de la nature humaine enracinée dans un passé mythique de l'humanité
ne doit pas être notre critère principal pour prendre des décisions morales au
sujet du clonage.
Nous ne percevons aucun dilemme éthique qui serait inhérent au clonage
d’animaux supérieurs non humains. De
même, il est clair pour nous que les futurs développements du clonage de tissus
humains ou même d’êtres humains ne sauraient créer des difficultés de nature morale
dont la résolution irait au delà de la capacité de la raison humaine. Les questions morales soulevées par le clonage
ne sont ni plus importantes ni plus profondes que celles auxquelles les êtres
humains ont déjà été confrontés à propos de technologies telles que l’énergie
nucléaire, les recombinaisons d’ADN ou le cryptage des ordinateurs. Elles sont
tout simplement nouvelles.
Historiquement, l'option Luddite, consistant à vouloir faire tourner
l’horloge en arrière et à limiter ou interdire l'application de technologies
déjà existantes, ne s'est jamais avérée ni réaliste ni productive. Les retombées positives potentielles du
clonage peuvent être si immenses que ce serait une tragédie si d’antiques
scrupules théologiques devaient conduire à un rejet Luddite du clonage. Nous en appelons au développement continu et
responsable des technologies de clonage, et à un engagement sur la base la plus
large afin de que les visions traditionalistes et obscurantistes ne soient un obstacle à des développements
scientifiques bénéfiques.
Pieter Admiraal (Pays bas), Ruben Ardila (Colombie), Sir
Isaiah Berlin (Royaume Uni), Sir Hermann Bondi (Royaume Uni), Vern
Bullough (Etats-Unis) Mario Bunge (Canada), Bernard Crick
(Royaume Uni), Francis Crick(Etats-Unis), Richard Dawkins
(Royaume Uni), José Delgado (Espagne),
Paul Edwards (Etats-Unis), Antony Flew (Royaume Uni), Johan
Galtung (Norvège), Adolf Grünbaum (Etats-Unis), Herbert Hauptman
(Etats-Unis),
Alberto Hidalgo Tuñón (Espagne), Sergei Kapitza (Russie),
Paul Kurtz (Etats-Unis), Gerald A. Larue (Etats-Unis), Thelma Z. Lavine
(Etats-Unis),
Jose Leite Lopes (Brésil), Taslima Nasrin (Bangladesh),
Indumati Parikh (Inde), Jean-Claude Pecker (France), W. V. Quine
(Etats-Unis),
J. J. C. Smart (Australie), V. M. Tarkunde (Inde), R. Taylor
(Etats-Unis), Simone Veil (France), Kurt Vonnegut (Etats-Unis), E.
O. Wilson (Etats-Unis)
Pétition européenne contre le clonage (adressée au parlement européen)
Au nom de la dignité de la personne humaine, au nom des droits
imprescriptibles de la personne humaine, au nom des générations futures, nous
en appelons à votre conscience et à votre responsabilité d'élu pour faire
respecter les normes légales et éthiques garantes de la protection de la
dignité de la personne.
- Nous demandons au Parlement européen de
condamner et de sanctionner la majorité gouvernementale britannique qui, par sa
décision de légaliser le clonage d'embryons humains porte atteinte dans des
proportions jamais égalées à la dignité de la personne et à "l'écologie de
la vie". Ce vote est contraire aux positions fermes et constantes
exprimées par les institutions et les démocraties européennes. Il constitue un
affront au Parlement européen qui dans sa résolution du 7 septembre 2000 a
clairement interdit tout clonage d'embryon, rappelant l'absence de toute
différence pratique entre le clonage dit reproductif ou thérapeutique et
soulignant la possibilité de parvenir aux mêmes résultats à partir de cellules
souches adultes.
- Nous demandons au Parlement européen de
mettre tous les moyens en œuvre afin d'interrompre le processus de légalisation
de l'euthanasie en cours aux Pays-Bas, et de faire barrage à toute politique
eugéniste en Europe. Nous demandons au Parlement européen de confirmer le
principe de "l'interdiction de l'euthanasie" conformément aux positions
constantes exprimées par les institutions et démocraties européennes, notamment
la recommandation 1418 votée par le Conseil de l'Europe le 25 juin 1999.
qui est à l’initiative de cette
pétition ?
Nous avons trouvé la première trace d’appel à signer cette pétition à
l’issue d’un dossier, bien documenté, de l’actualité du clonage, consacré par
un site de sensibilité apparente «ecolo altermondialiste » appelant à
« retrouver une éthique du vivant au bénéfice de l’Homme comme de l’animal
et de la nature » et à « ne tolérer, nulle part, la barbarie ».
En « déroulant la pelote » nous avons évidemment trouvé le site hébergeant
la pétition (cfjd.org) et nous avons constaté que ce site propose de
signer toute une liste de pétitions dont la première s’intitule « Appel pour
la reconnaissance de l’âme de l’Europe » [ « pour que la Constitution
européenne ne fonde pas ses valeurs sur le sable du matérialisme et d'un
humanisme déraciné, mais sur le roc de son héritage religieux et moral »] et
la dernière « déclaration de soutien au saint siège à l’ONU ». Un
dernier clic a apporté la confirmation explicite que le CFJD ( centre français
pour la justice et les droits fondamentaux de la personne humaine ) s’annonçant
comme une « coalition pour la défense civile des libertés fondamentales et
des valeurs chrétiennes » regroupe des juristes de métier sur les
principes directeurs et objectifs suivants :
principes directeurs : attachement
fondamental à l’enseignement du Christ ; Action en Vérité et
Charité ; Service des valeurs chrétiennes au premier rang desquelles la
dignité de la personne, la vie, la famille et la liberté religieuse.
objectifs : Contribuer par
ses compétences professionnelles à servir et vivre sa Foi. Servir la société
dans la recherche de la Vérité et de la Justice, par l’apport de notre
réflexion en tant que croyant et praticiens du droit, par nos capacités de
négociation et d'action en justice.
Ceci est bien évidemment leur droit. Il ne s’agit pas non plus de
suggérer que les sites relayant l’existence de cette « pétition européenne
contre le clonage » sont tous des relais conscients d’un groupe de
pression « à la solde du Vatican » ; mais il ne s’agit pas non
plus d’être des « enfants de chœur » et cette simple entreprise de
vérification donne crédit à l’alerte des humanistes de la « déclaration en
défense » sur l’origine religieuse des adversaires les plus virulents de
tout clonage.
extraits du site de CLONAID (clonaid.com)
« Bienvenue a CLONAID™– la première compagnie de clonage
humain ! CLONAID™ a été fondée en février 1997 par RAËL, chef
spirituel du Mouvement Raélien, une organisation religieuse internationale qui
affirme que la vie sur terre a été créée scientifiquement grâce à une maîtrise
parfaite de l'ADN et de l’ingénierie génétique par une race d'extraterrestres
humanoïdes dont le nom, ELOHIM, se trouve dans la bible hébraïque et a été mal
traduit par le mot «dieu». Le Mouvement Raélien affirme également que Jésus a
été ressuscité au moyen d'une technique de clonage très avancée, exécutée par
les ELOHIM. » [ NDLR : c’est bien du copier-coller
]
« Malgré le scepticisme et les critiques de la communauté
scientifique internationale, CLONAID, en collaboration avec une équipe de
recherche d’une célèbre université, a trouvé des cellules vivantes dans la moelle
osseuse du corps d’un enfant décédé, 4 mois après l’inhumation. Les parents de
cet enfant souhaitent le cloner. (…). L’équipe de CLONAID est fière des 5 bébés
en parfaite santé nés grâce à sa technologie de pointe. De nouvelles grossesses
sont en cours, ainsi que le clonage de l’enfant décédé dont des cellules
vivantes ont été extraites du cadavre il y a quelques jours. Le Dr Boisselier
doit sa détermination à trouver des cellules vivantes dans un cadavre aux
enseignements de son guide spirituel, Raël, qui depuis 1973 demande aux membres
raéliens de préserver un morceau d’os après leur mort dans le but de pouvoir
être clonés lorsque la technologie le permettra ». [ NDLR : on
ne guide jamais assez les chercheurs J ]
fin de la déclaration de RAËL devant le
congrès US (rael.org)
« Votre grande Constitution inclut le droit à la liberté
religieuse, et cela sous-entend le droit d'être athée, comme nous raëliens le
sommes, et la liberté de croire qu'il n'y a pas de dieu, comme nous raëliens le
croyons, ainsi que de plus en plus d'américains. Nous raëliens, croyons que la
science devrait être notre religion, puisque la science sauve des vies, alors
que la religion et la superstition tuent. La science détruit la superstition et
les croyances surnaturelles. C'est pourquoi la religion a toujours été ennemie
de la science et du progrès et essaye encore une fois d'arrêter la science
autant qu'elle peut. En laissant les individus décider s'ils veulent bénéficier
ou non du clonage humain, vous protégez les droits du non ressuscité. Le
clonage donne aux enfants, comme à cet enfant de 10 mois victime d'une erreur
médicale que nous clonons actuellement, une seconde chance de vivre. Cela
pourrait être votre enfant ou votre petit enfant bien-aimé. Pensez-y !. Les
législateurs ne devraient pas être complices des pouvoirs et superstitions du
moyen âge car l'histoire les jugera. Ne faites pas l'erreur de brûler Giordano
Bruno une nouvelle fois ! » (21 mars 2001)
Il est des évidences qui vont sans les dire mais vont peut-être mieux en
les disant : les raéliens sont bien complètement allumés … J
Au-delà de l'anathème Par Bertrand Jordan (*)
(l’Humanité, 21 janvier 2003)
La condamnation généralisée de la tentative de clonage raélienne
s'accompagne d'une intense emphase, et les termes employés sont on ne peut plus
catégoriques : le clonage reproductif humain serait un crime contre
l'humanité, et les raéliens des eugénistes fascisants, des nazis pour tout
dire. Et d'évoquer, pour mieux flétrir cet essai (prétendu ?) de
reproduction, les pires atrocités commises par le IIIe Reich...
Il me semble urgent, pour permettre une discussion rationnelle et des
actions efficaces, de garder un certain sens de la mesure. Le « mouvement »
raélien est, certes, une secte, avec son gourou travesti en spationaute, ses
groupies, ses finances passablement opaques et ses théories délirantes ;
ce n'est sûrement pas le pire, - elle ne paraît pas avoir recours au lavage de
cerveau, ni asservir psychologiquement ses adeptes, et certaines de ses
positions soixante-huitardes, anticléricales et New Age peuvent même paraître
plutôt sympathiques. RAËL est moins un fou furieux qu'un habile roublard
opportuniste qui a su assaisonner d'une sauce scientiste des idées tendance, et
enrober le tout dans un optimisme propre à rassurer bien des esprits inquiets
(quoique peu exigeants sur la rigueur des raisonnements). Il s'est ainsi assuré
une certaine stature médiatique, une existence matérielle très confortable et
une cour d'admiratrices subjuguées par le charme du prophète. Bien sûr, ses «
théories » ne tiennent pas la route : comment imaginer que l'espèce
humaine a été créée grâce au clonage, il y a vingt-cinq mille ans, alors que
les fossiles nous montrent sa lente évolution jusqu'à l'apparition de l'homme
moderne cent mille ans plus tôt ? Comment croire que le clonage est la
voie vers la vie éternelle, que l'on va créer des clones qui grandiront à toute
vitesse grâce à la « croissance accélérée », permettant ainsi « que
chaque personne sur un ordinateur personnel télécharge régulièrement un back up
de sa personnalité (mémoire et expérience) qui pourra être transféré dans le
support physique cloné »? La lecture du dernier chef-d'oeuvre du prophète,
Oui au clonage humain, la vie éternelle grâce à la science, est édifiante pour
juger du creux de ses arguments. Tout cela n'en fait pourtant pas un fasciste,
même si son plaidoyer en faveur d'une " géniocratie ", dans laquelle
les droits électoraux seraient liés au niveau du quotient intellectuel, dévoile
un aspect nettement moins plaisant du personnage.
Il était logique que cette secte prétende travailler sur le clonage
reproductif humain, dès lors que l'apparition de Dolly avait montré que cette
opération était très probablement possible. Ce positionnement a été, au moins
dans un premier temps, purement virtuel et médiatique ; l'est-il
resté ?, ou l'entreprise Clonaid, émanation des raéliens, est-elle devenue
un véritable laboratoire tentant de mettre en pratique ces affirmations ?
Nous finirons bien par le savoir ; en attendant, notons que les
installations et les compétences nécessaires ne sont pas hors de portée d'un
groupe de ce genre, même si - à en juger par l'expérience acquise sur l'animal
- les dégâts à prévoir sont considérables (mort d'embryons, fausses couches,
naissance d'enfants présentant des anomalies...). Que cette petite Éve clonée
existe ou non, il est de toute manière vraisemblable que l'une ou l'autre des
équipes marginales, qui tentent de mettre en ouvre le procédé, va arriver à ses
fins et produire un clone dûment authentifié - dont la bonne santé, hélas, sera
loin d'être assurée. Il est donc plus que temps de prendre position sur cette
éventualité, et pas seulement en poussant des cris d'orfraie : en mettant
en place une législation claire qui interdise explicitement le clonage
reproductif. Rappelons que, même en France, nous n'en sommes pas encore
là : la loi de bioéthique révisée doit encore passer au Sénat, puis
revenir au Parlement avant d'être adoptée. Rappelons aussi que, au niveau de
l'ONU, l'initiative franco-allemande pour un traité rapide proscrivant le
clonage reproductif (et lui seul) a été mise en échec par l'offensive menée par
les États-Unis, le Vatican et des nations sud-américaines pour prohiber du même
coup le clonage thérapeutique : comme l'accord sur ce deuxième point
n'existe pas, l'ensemble du processus a pris au moins un an de retard.
Je suis clairement opposé au clonage reproductif, en raison des risques
énormes qui seraient pris pour la santé de l'enfant, mais aussi de la violence
qui lui serait faite, de la négation de sa liberté que constituerait le fait
d'avoir défini à l'avance l'ensemble de son patrimoine génétique. Je rejoins
totalement à cet égard la position récemment développée dans ces colonnes par
le philosophe Christian Godin. La justification avancée par les partisans de ce
procédé, permettre à des couples totalement stériles (ou homosexuels) d'avoir
une descendance qui leur soit génétiquement apparentée, ne tient pas. Il n'y a
pas de droit imprescriptible à la procréation, et d'ailleurs il ne s'agit pas
ici de procréation, de l'apparition d'un enfant unique et largement
imprévisible, mais de duplication. Il existe d'autres réponses à la stérilité
des couples (adoption, insémination artificielle avec donneur, don
d'embryon...), et la transgression que constituerait le clonage est bien trop
grave et trop lourde de conséquences symboliques et pratiques pour accéder à de
tels désirs parentaux, aussi intenses soient-ils. Pour autant, peut-on
qualifier un tel acte de crime contre l'humanité ? Procède-t-il d'un désir
forcené de nier l'autre, en l'exterminant comme les nazis, ou en violant
systématiquement femmes et filles comme les " patriotes serbes " de
Radovan Karadzic ? Je ne le crois pas, et je ne crois pas non plus qu'en
le qualifiant ainsi on se mette en mesure de mieux lutter contre sa survenance.
Interdisons le clonage reproductif, le plus vite et le plus largement
possible ; sans doute cela n'empêchera-t-il pas toute transgression - mais
il s'agira alors de la violation d'une loi clairement énoncée, et non d'un acte
perpétré dans un vide juridique par des apprentis sorciers qui arguent de leurs
bonnes intentions et ont l'audace de baptiser leur besogne " clonage
thérapeutique ", parce que, disent-ils, ils soignent les problèmes de
stérilité des couples...
(*) Biologiste moléculaire, directeur de recherche émérite au CNRS,
membre du comité scientifique et du comité de parrainage de l’Association
Française pour l’Information Scientifique (AFIS).
Derniers ouvrages parus : Les Imposteurs de la Génétique (Le Seuil 2000), le Chant d'amour des concombres de mer (Le
Seuil 2002), les Marchands de clones (Le Seuil 2003).
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