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Les dossiers de l'   information scientifique

du comité départemental 44 de l'association française pour l'information scientifique

SUPPLEMENT AU BULLETIN DE L’INFORMATION SCIENTIFIQUE                                N° 4 – SEPTEMBRE 2003

 

du clonage des brebis …

… au clonage humain

 

 

en guise d’introduction

 

décembre 1984 « le clonage de mammifères par simple transfert d’un noyau est biologiquement impossible »

Davor SOLTER, Wistar Institute, Philadephy, USA, in Science

 

mars 1996 « le clonage de mammifères à partir de cellules adultes sera beaucoup plus difficile, mais ne peut plus être considéré comme impossible »                                                                     Davor SOLTER, Wistar Institute, Philadephy, USA, in Nature

 

février 1997 annonce de la naissance de la brebis DOLLY, le 5 juillet 1996

Ian WILMUT et Keith CAMBELL, Roslin Institute, Scotland, pour le compte de PPL Therapeutic, in Nature, février 1997

 

décembre 2002 annonce de la naissance (ni avérée ni invalidée) du premier clone humain EVE, le 26 décembre 2002

 Brigitte BOISSELIER, directrice de CLONAID, société fondée en février 1997 par RAËL

 

Ces quelques dates offrent un jalon rapide de l’histoire récente du clonage des animaux supérieurs. Les annonces de premières se succèdent à rythme rapide depuis les succès de 1996 du Roslin Institute, cet été nous ayant de nouveau réservé la naissance de clones de cheval et de mulet.

 

Le 8 septembre 2003, notre ami Bertrand JORDAN, biologiste moléculaire membre du conseil scientifique et du comité de parrainage de notre association, vient au muséum d’histoire naturelle, à notre invitation et à celle des structures locales de l’union rationaliste et de la libre pensée, pour nous parler et nous inviter à débattre du clonage en général et notamment animal, du clonage humain en particulier (« thérapeutique » et « reproductif »), et de perspectives éventuelles ou fantasmagoriques d’amélioration génétique humaine.

 

Bien évidemment, comme d’autres sujets que nous avons déjà évoqués dans nos colonnes (les OGM, les ondes électromagnétiques, la radioactivité, etc.), le thème du clonage (« reproductif » ou « thérapeutique », sans oublier les clones transgéniques ou les xénogreffes) unit tous les ingrédients d’un mélange détonnant.

 

Ce dossier ne vise pas à regrouper des informations scientifiques développées sur ces thèmes puisque Bertrand JORDAN s’en chargera et que des informations sont disponibles dans la revue Science et pseudo sciences ou dans les ouvrages de Bertrand JORDAN.

 

Il vise à présenter les positions typiques prises publiquement sur les questions du clonage humain, avec en arrière plan les débats nord américains ou européens relatifs aux législations d’encadrement (voire d’interdiction) de la recherche scientifique, débats que la médiatisation de l’annonce raélienne a contribué à rendre encore plus passionnels qu’ils ne l’étaient déjà.

 

Nous avons donc choisi de soumettre à votre sagacité :

       une traduction (sous notre responsabilité) de la déclaration en défense du clonage et de l’intégrité de la recherche scientifique qui a été signée par 31 personnalités lauréates de l’académie internationale de l’humanisme parmi lesquelles on reconnaîtra le nom de Francis CRICK, lauréat du prix Nobel en 1962 pour la co-découverte de l’ADN, mais aussi de notre ami Jean-Claude PECKER, ancien président de notre association, ou encore de l’ancienne présidente du parlement européen Simone VEIL.

       Un éclairage sur des opposants inconditionnels à travers la « pétition européenne contre le clonage » et ses auteurs.

       Des éléments trouvés sur le site de la société CLONAID et la fin de la déclaration de RAËL devant le congrès US.

       Enfin, nous reproduisons le point de vue individuel de Bertrand JORDAN, point de vue défendu le 21 janvier 2003 dans le quotidien l’Humanité au début du déchaînement médiatique déclenché par l’annonce raélienne.

 

Ce regroupement ne prétend pas à l’exhaustivité ni de toutes les questions soulevées ni de toutes les prises de position ; il s’agit d’un échantillonnage qui se veut honnête des positions les plus marquées telles qu’elles apparaissent à la surface des tris de moteurs de recherche. La conférence, le débat qui suivra, vos propres recherches éventuelles, et l’exercice de votre raison critique feront le reste.

 

Michel NAUD, coordinateur du comité départemental, le 21 août 2003

 

ASSOCIATION FRANCAISE POUR L’INFORMATION SCIENTIFIQUE (AFIS), 14 RUE DE L’ECOLE POLYTECHNIQUE, 75005 PARIS

Site internet : www.pseudo-sciences.org Coordinateur du comité départemental de Loire-Atlantique de l’AFIS : Michel NAUD, mn@ouestfonderie.com


Declaration in Defense of Cloning and the Integrity of Scientific Research

déclaration en défense du clonage et de l’intégrité de la recherche scientifique, (secularhumanism.org)

 

Nous, soussignés, saluons les annonces de progrès majeurs dans le domaine du clonage des animaux supérieurs. Tout au long de ce siècle, les sciences physiques, biologiques et comportementales ont mis de nouvelles et importantes possibilités à portée des efforts humains. Tout bien pesé, ces avancées ont contribué à d’énormes améliorations du bien-être humain. Là où les nouvelles technologies ont soulevé des questions éthiques légitimes, la collectivité humaine a su en général faire la démonstration de sa volonté en se confrontant ouvertement à ces questions et en cherchant les réponses en mesure d’augmenter le bien-être général.

 

Le clonage des animaux supérieurs soulève des inquiétudes éthiques. Des directives appropriées doivent être développées pour empêcher les abus, tout en rendant les avantages du clonage disponibles au maximum. De telles directives devraient réserver le plus grand respect de l’autonomie et du choix de chaque individu. Tout devrait être mis en oeuvre afin de préserver la liberté et l’intégrité de la recherche scientifique

 

Personne n’a démontré  à ce jour une capacité à cloner des êtres humains. Pourtant le seul fait que les réalisations déjà accomplies puissent ouvrir la voie à un tel clonage a suffi à déclencher un tonnerre de protestations. Nous assistons avec inquiétude aux appels largement répandus à retarder, à ne plus subventionner ou à suspendre la recherche sur le clonage, appels en provenance de sources aussi disparates que le Président Bill Clinton aux Etats-Unis, le Président Jacques Chirac en France, l’ancien Premier Ministre John Major en Grande-Bretagne, et le Vatican à Rome.

 

Nous estimons que la raison est l'outil le plus puissant dont dispose l'humanité pour démêler les problèmes qu’elle rencontre.  Mais l'argumentation rationnelle a été un article rare lors de la pléthore récente d'attaques contre le clonage.  Des parallèles avec le mythe d’Icare et le Frankenstein de Mary Shelley ont fait les délices des critiques, prédisant les pires conséquences si les chercheurs persistent à explorer des questions dont les réponses « devraient rester étrangères à l’entendement humain ». Les critiques les plus virulentes semblent accréditer la thèse que le clonage humain soulèverait des questions morales plus profondes que celles jamais rencontrées lors des développements scientifiques ou technologiques  qui ont précédé.

 

Quelles questions morales le clonage humain soulèverait-il?  Quelques religions enseignent que les êtres humains sont fondamentalement différents des autres mammifères, que les humains ont été dotés d'âmes immortelles par une divinité, leur conférant une valeur qui ne peut être comparée à aucune autre chose vivante.  La nature humaine est tenue pour unique et sacrée.  Les progrès scientifiques qui induisent la perception d’un risque d’altérer cette « nature » rencontrent une opposition agressive.

 

Nous doutons que de telles idées, pouvant être enracinées jusqu’à devenir des dogmes, puissent être de quelque secours pour décider dans quelle mesure les êtres humains seront autorisés à bénéficier de la nouvelle biotechnologie. Autant que l’entreprise scientifique peut le déterminer, l’Homo Sapiens est membre du règne animal. Les capacités humaines semblent différer en degré, pas en nature, de celles rencontrées chez les animaux supérieurs. Le répertoire riche du genre humain en pensées, sentiments, aspirations et espoirs semble résulter de processus électrochimiques du cerveau et non d’une âme immatérielle qui opérerait par des voies qu’aucun instrument ne peut découvrir.

 

La question immédiate soulevée par le débat en cours à propos du clonage est donc : « les avocats du surnaturel et du spirituel sont-ils réellement qualifiés pour contribuer à cette discussion ? ». Bien évidemment, chacun a le droit d’être entendu. Mais nous estimons qu’il y a véritablement un danger que des recherches avec un potentiel énorme de retombées positives puissent être arrêtées simplement parce qu’elles rentreraient en conflit avec les croyances religieuses de certains. Il est important de souligner que des objections religieuses similaires ont été formulées dans le passé contre les autopsies, l’anesthésie, l’insémination artificielle, et l’intégralité de la révolution génétique déjà réalisée, alors même que des retombées positives considérables ont accompagné chacun de ces développements. Une vision de la nature humaine enracinée dans un passé mythique de l'humanité ne doit pas être notre critère principal pour prendre des décisions morales au sujet du clonage. 

 

Nous ne percevons aucun dilemme éthique qui serait inhérent au clonage d’animaux supérieurs non humains.  De même, il est clair pour nous que les futurs développements du clonage de tissus humains ou même d’êtres humains ne sauraient créer des difficultés de nature morale dont la résolution irait au delà de la capacité de la raison humaine.  Les questions morales soulevées par le clonage ne sont ni plus importantes ni plus profondes que celles auxquelles les êtres humains ont déjà été confrontés à propos de technologies telles que l’énergie nucléaire, les recombinaisons d’ADN ou le cryptage des ordinateurs. Elles sont tout simplement nouvelles. 

 

Historiquement, l'option Luddite, consistant à vouloir faire tourner l’horloge en arrière et à limiter ou interdire l'application de technologies déjà existantes, ne s'est jamais avérée ni réaliste ni productive.  Les retombées positives potentielles du clonage peuvent être si immenses que ce serait une tragédie si d’antiques scrupules théologiques devaient conduire à un rejet Luddite du clonage.  Nous en appelons au développement continu et responsable des technologies de clonage, et à un engagement sur la base la plus large afin de que les visions traditionalistes et obscurantistes  ne soient un obstacle à des développements scientifiques bénéfiques.

 

Pieter Admiraal (Pays bas), Ruben Ardila (Colombie), Sir Isaiah Berlin (Royaume Uni), Sir Hermann Bondi (Royaume Uni), Vern Bullough (Etats-Unis) Mario Bunge (Canada), Bernard Crick (Royaume Uni), Francis Crick(Etats-Unis), Richard Dawkins (Royaume Uni), José Delgado (Espagne),

Paul Edwards (Etats-Unis), Antony Flew (Royaume Uni), Johan Galtung (Norvège), Adolf Grünbaum (Etats-Unis), Herbert Hauptman (Etats-Unis),

Alberto Hidalgo Tuñón (Espagne), Sergei Kapitza (Russie), Paul Kurtz (Etats-Unis), Gerald A. Larue (Etats-Unis), Thelma Z. Lavine (Etats-Unis),

Jose Leite Lopes (Brésil), Taslima Nasrin (Bangladesh), Indumati Parikh (Inde), Jean-Claude Pecker (France), W. V. Quine (Etats-Unis),

J. J. C. Smart (Australie), V. M. Tarkunde (Inde), R. Taylor (Etats-Unis), Simone Veil (France), Kurt Vonnegut (Etats-Unis), E. O. Wilson (Etats-Unis)

 

Pétition européenne contre le clonage (adressée au parlement européen)

 

Au nom de la dignité de la personne humaine, au nom des droits imprescriptibles de la personne humaine, au nom des générations futures, nous en appelons à votre conscience et à votre responsabilité d'élu pour faire respecter les normes légales et éthiques garantes de la protection de la dignité de la personne.

- Nous demandons au Parlement européen de condamner et de sanctionner la majorité gouvernementale britannique qui, par sa décision de légaliser le clonage d'embryons humains porte atteinte dans des proportions jamais égalées à la dignité de la personne et à "l'écologie de la vie". Ce vote est contraire aux positions fermes et constantes exprimées par les institutions et les démocraties européennes. Il constitue un affront au Parlement européen qui dans sa résolution du 7 septembre 2000 a clairement interdit tout clonage d'embryon, rappelant l'absence de toute différence pratique entre le clonage dit reproductif ou thérapeutique et soulignant la possibilité de parvenir aux mêmes résultats à partir de cellules souches adultes.

- Nous demandons au Parlement européen de mettre tous les moyens en œuvre afin d'interrompre le processus de légalisation de l'euthanasie en cours aux Pays-Bas, et de faire barrage à toute politique eugéniste en Europe. Nous demandons au Parlement européen de confirmer le principe de "l'interdiction de l'euthanasie" conformément aux positions constantes exprimées par les institutions et démocraties européennes, notamment la recommandation 1418 votée par le Conseil de l'Europe le 25 juin 1999.

 

qui est à l’initiative de cette pétition ?

 

Nous avons trouvé la première trace d’appel à signer cette pétition à l’issue d’un dossier, bien documenté, de l’actualité du clonage, consacré par un site de sensibilité apparente «ecolo altermondialiste » appelant à « retrouver une éthique du vivant au bénéfice de l’Homme comme de l’animal et de la nature » et à « ne tolérer, nulle part, la barbarie ». En « déroulant la pelote » nous avons évidemment trouvé le site hébergeant la pétition (cfjd.org) et nous avons constaté que ce site propose de signer toute une liste de pétitions dont la première s’intitule « Appel pour la reconnaissance de l’âme de l’Europe » [ « pour que la Constitution européenne ne fonde pas ses valeurs sur le sable du matérialisme et d'un humanisme déraciné, mais sur le roc de son héritage religieux et moral »] et la dernière « déclaration de soutien au saint siège à l’ONU ». Un dernier clic a apporté la confirmation explicite que le CFJD ( centre français pour la justice et les droits fondamentaux de la personne humaine ) s’annonçant comme une « coalition pour la défense civile des libertés fondamentales et des valeurs chrétiennes » regroupe des juristes de métier sur les principes directeurs et objectifs suivants :

 

principes directeurs : attachement fondamental à l’enseignement du Christ ; Action en Vérité et Charité ; Service des valeurs chrétiennes au premier rang desquelles la dignité de la personne, la vie, la famille et la liberté religieuse.

objectifs : Contribuer par ses compétences professionnelles à servir et vivre sa Foi. Servir la société dans la recherche de la Vérité et de la Justice, par l’apport de notre réflexion en tant que croyant et praticiens du droit, par nos capacités de négociation et d'action en justice.

 

Ceci est bien évidemment leur droit. Il ne s’agit pas non plus de suggérer que les sites relayant l’existence de cette « pétition européenne contre le clonage » sont tous des relais conscients d’un groupe de pression « à la solde du Vatican » ; mais il ne s’agit pas non plus d’être des « enfants de chœur » et cette simple entreprise de vérification donne crédit à l’alerte des humanistes de la « déclaration en défense » sur l’origine religieuse des adversaires les plus virulents de tout clonage.

 

extraits du site de CLONAID (clonaid.com)

 

« Bienvenue a CLONAID™– la première compagnie de clonage humain ! CLONAID™ a été fondée en février 1997 par RAËL, chef spirituel du Mouvement Raélien, une organisation religieuse internationale qui affirme que la vie sur terre a été créée scientifiquement grâce à une maîtrise parfaite de l'ADN et de l’ingénierie génétique par une race d'extraterrestres humanoïdes dont le nom, ELOHIM, se trouve dans la bible hébraïque et a été mal traduit par le mot «dieu». Le Mouvement Raélien affirme également que Jésus a été ressuscité au moyen d'une technique de clonage très avancée, exécutée par les ELOHIM. » [ NDLR : c’est bien du copier-coller ]

 

« Malgré le scepticisme et les critiques de la communauté scientifique internationale, CLONAID, en collaboration avec une équipe de recherche d’une célèbre université, a trouvé des cellules vivantes dans la moelle osseuse du corps d’un enfant décédé, 4 mois après l’inhumation. Les parents de cet enfant souhaitent le cloner. (…). L’équipe de CLONAID est fière des 5 bébés en parfaite santé nés grâce à sa technologie de pointe. De nouvelles grossesses sont en cours, ainsi que le clonage de l’enfant décédé dont des cellules vivantes ont été extraites du cadavre il y a quelques jours. Le Dr Boisselier doit sa détermination à trouver des cellules vivantes dans un cadavre aux enseignements de son guide spirituel, Raël, qui depuis 1973 demande aux membres raéliens de préserver un morceau d’os après leur mort dans le but de pouvoir être clonés lorsque la technologie le permettra ». [ NDLR : on ne guide jamais assez les chercheurs J  ]

 

fin de la déclaration de RAËL devant le congrès US (rael.org)

 

« Votre grande Constitution inclut le droit à la liberté religieuse, et cela sous-entend le droit d'être athée, comme nous raëliens le sommes, et la liberté de croire qu'il n'y a pas de dieu, comme nous raëliens le croyons, ainsi que de plus en plus d'américains. Nous raëliens, croyons que la science devrait être notre religion, puisque la science sauve des vies, alors que la religion et la superstition tuent. La science détruit la superstition et les croyances surnaturelles. C'est pourquoi la religion a toujours été ennemie de la science et du progrès et essaye encore une fois d'arrêter la science autant qu'elle peut. En laissant les individus décider s'ils veulent bénéficier ou non du clonage humain, vous protégez les droits du non ressuscité. Le clonage donne aux enfants, comme à cet enfant de 10 mois victime d'une erreur médicale que nous clonons actuellement, une seconde chance de vivre. Cela pourrait être votre enfant ou votre petit enfant bien-aimé. Pensez-y !. Les législateurs ne devraient pas être complices des pouvoirs et superstitions du moyen âge car l'histoire les jugera. Ne faites pas l'erreur de brûler Giordano Bruno une nouvelle fois ! » (21 mars 2001)

 

Il est des évidences qui vont sans les dire mais vont peut-être mieux en les disant : les raéliens sont bien complètement allumés … J

 

Au-delà de l'anathème Par Bertrand Jordan (*) (l’Humanité, 21 janvier 2003)

 

La condamnation généralisée de la tentative de clonage raélienne s'accompagne d'une intense emphase, et les termes employés sont on ne peut plus catégoriques : le clonage reproductif humain serait un crime contre l'humanité, et les raéliens des eugénistes fascisants, des nazis pour tout dire. Et d'évoquer, pour mieux flétrir cet essai (prétendu ?) de reproduction, les pires atrocités commises par le IIIe Reich...

 

Il me semble urgent, pour permettre une discussion rationnelle et des actions efficaces, de garder un certain sens de la mesure. Le « mouvement » raélien est, certes, une secte, avec son gourou travesti en spationaute, ses groupies, ses finances passablement opaques et ses théories délirantes ; ce n'est sûrement pas le pire, - elle ne paraît pas avoir recours au lavage de cerveau, ni asservir psychologiquement ses adeptes, et certaines de ses positions soixante-huitardes, anticléricales et New Age peuvent même paraître plutôt sympathiques. RAËL est moins un fou furieux qu'un habile roublard opportuniste qui a su assaisonner d'une sauce scientiste des idées tendance, et enrober le tout dans un optimisme propre à rassurer bien des esprits inquiets (quoique peu exigeants sur la rigueur des raisonnements). Il s'est ainsi assuré une certaine stature médiatique, une existence matérielle très confortable et une cour d'admiratrices subjuguées par le charme du prophète. Bien sûr, ses « théories » ne tiennent pas la route : comment imaginer que l'espèce humaine a été créée grâce au clonage, il y a vingt-cinq mille ans, alors que les fossiles nous montrent sa lente évolution jusqu'à l'apparition de l'homme moderne cent mille ans plus tôt ? Comment croire que le clonage est la voie vers la vie éternelle, que l'on va créer des clones qui grandiront à toute vitesse grâce à la « croissance accélérée », permettant ainsi « que chaque personne sur un ordinateur personnel télécharge régulièrement un back up de sa personnalité (mémoire et expérience) qui pourra être transféré dans le support physique cloné »? La lecture du dernier chef-d'oeuvre du prophète, Oui au clonage humain, la vie éternelle grâce à la science, est édifiante pour juger du creux de ses arguments. Tout cela n'en fait pourtant pas un fasciste, même si son plaidoyer en faveur d'une " géniocratie ", dans laquelle les droits électoraux seraient liés au niveau du quotient intellectuel, dévoile un aspect nettement moins plaisant du personnage.

 

Il était logique que cette secte prétende travailler sur le clonage reproductif humain, dès lors que l'apparition de Dolly avait montré que cette opération était très probablement possible. Ce positionnement a été, au moins dans un premier temps, purement virtuel et médiatique ; l'est-il resté ?, ou l'entreprise Clonaid, émanation des raéliens, est-elle devenue un véritable laboratoire tentant de mettre en pratique ces affirmations ? Nous finirons bien par le savoir ; en attendant, notons que les installations et les compétences nécessaires ne sont pas hors de portée d'un groupe de ce genre, même si - à en juger par l'expérience acquise sur l'animal - les dégâts à prévoir sont considérables (mort d'embryons, fausses couches, naissance d'enfants présentant des anomalies...). Que cette petite Éve clonée existe ou non, il est de toute manière vraisemblable que l'une ou l'autre des équipes marginales, qui tentent de mettre en ouvre le procédé, va arriver à ses fins et produire un clone dûment authentifié - dont la bonne santé, hélas, sera loin d'être assurée. Il est donc plus que temps de prendre position sur cette éventualité, et pas seulement en poussant des cris d'orfraie : en mettant en place une législation claire qui interdise explicitement le clonage reproductif. Rappelons que, même en France, nous n'en sommes pas encore là : la loi de bioéthique révisée doit encore passer au Sénat, puis revenir au Parlement avant d'être adoptée. Rappelons aussi que, au niveau de l'ONU, l'initiative franco-allemande pour un traité rapide proscrivant le clonage reproductif (et lui seul) a été mise en échec par l'offensive menée par les États-Unis, le Vatican et des nations sud-américaines pour prohiber du même coup le clonage thérapeutique : comme l'accord sur ce deuxième point n'existe pas, l'ensemble du processus a pris au moins un an de retard.

 

Je suis clairement opposé au clonage reproductif, en raison des risques énormes qui seraient pris pour la santé de l'enfant, mais aussi de la violence qui lui serait faite, de la négation de sa liberté que constituerait le fait d'avoir défini à l'avance l'ensemble de son patrimoine génétique. Je rejoins totalement à cet égard la position récemment développée dans ces colonnes par le philosophe Christian Godin. La justification avancée par les partisans de ce procédé, permettre à des couples totalement stériles (ou homosexuels) d'avoir une descendance qui leur soit génétiquement apparentée, ne tient pas. Il n'y a pas de droit imprescriptible à la procréation, et d'ailleurs il ne s'agit pas ici de procréation, de l'apparition d'un enfant unique et largement imprévisible, mais de duplication. Il existe d'autres réponses à la stérilité des couples (adoption, insémination artificielle avec donneur, don d'embryon...), et la transgression que constituerait le clonage est bien trop grave et trop lourde de conséquences symboliques et pratiques pour accéder à de tels désirs parentaux, aussi intenses soient-ils. Pour autant, peut-on qualifier un tel acte de crime contre l'humanité ? Procède-t-il d'un désir forcené de nier l'autre, en l'exterminant comme les nazis, ou en violant systématiquement femmes et filles comme les " patriotes serbes " de Radovan Karadzic ? Je ne le crois pas, et je ne crois pas non plus qu'en le qualifiant ainsi on se mette en mesure de mieux lutter contre sa survenance. Interdisons le clonage reproductif, le plus vite et le plus largement possible ; sans doute cela n'empêchera-t-il pas toute transgression - mais il s'agira alors de la violation d'une loi clairement énoncée, et non d'un acte perpétré dans un vide juridique par des apprentis sorciers qui arguent de leurs bonnes intentions et ont l'audace de baptiser leur besogne " clonage thérapeutique ", parce que, disent-ils, ils soignent les problèmes de stérilité des couples...

 

(*) Biologiste moléculaire, directeur de recherche émérite au CNRS, membre du comité scientifique et du comité de parrainage de l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS). Derniers ouvrages parus : Les Imposteurs de la Génétique (Le Seuil 2000),  le Chant d'amour des concombres de mer (Le Seuil 2002), les Marchands de clones (Le Seuil 2003).  

 

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