anais     

le bulletin de l'  information scientifique

de l’ association nantes atlantique pour l’ information scientifique (anaisafis)

PERIODIQUE A PERIODICITE VARIABLE                                                                  N° 20 –  FEVRIER 2006 – MARS 2006

 

sommaire

l’éditorial



falsification scientifique en Corée

 

 

 

heurs et malheurs du clonage humain

Quelques réflexions autour de l’affaire de falsification scientifique en Corée

une conférence d’Anne Fagot-Largeault (professeur au Collège de France)

 

pseudo-clonage thérapeutique

Ils ont démasqué le Docteur Hwang

un article de Michel de Pracontal (Nouvel Observateur n° 249 du 12 janvier 2006)

 

 

.

diffusion des savoirs de l’Ecole Normale Supérieure

 

du programme génétique au darwinisme cellulaire

une conférence de Jean-Jacques Kupiec (Inserm)

 

La classification en sciences naturelles à l’école et ses enjeux

une conférence de Guillaume Lecointre (MNHN)

 

Ni dieu, ni maître dans l’évolution

une conférence de André Langaney (MNHN - univ. Genève)

 

du côté du CNRS

 

Préhistoire - Baby-boom au Néolithique
Évolution - Un faux pouce mais de vraies fonctions
Les bébés de 5 mois comptent déjà avec leurs doigts

Un facteur génétique de sensibilité à la tuberculose
Troubles respiratoires du syndrome de Rett : pistes de soin
Retraite napoléonienne de Russie : la biologie réécrit l'histoire
Une thérapie génique innovante des pathologies oculaires
Le mécanisme de déclenchement de la polykystose rénale

L'effet « coupe-faim » des protéines
Des différences structurelles entre les chromosomes sexuels
Nouvelle énigme autour du virus géant Mimivirus

 

du côté de l’INSERM

trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent

 

Introduction au dossier (Michel Naud)

Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent (INSERM)

Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans (appel)

Communiqué en réponse du 23 février 2006 (INSERM)

L’Inserm, les troubles des conduites et l’intelligentsia (mutaliste)

Interview de Christian Bréchot (directeur de l’INSERM, dans Le Monde)

Remue-méninges chez les psys (Philippe Jeammet, dans Le Monde)

 

 

 

POUR le progrès scientifique et technique CONTRE les marchands de fausses sciences

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siège :14, rue de l’école polytechnique, 75005 Paris, site internet national : http://www.pseudo-sciences.org

 

anais association nantes atlantique pour l’information scientifique

comité régional de l’ouest atlantique (de bordeaux à la bretagne) de l’AFIS ; adresser toute correspondance à :

ouest management, domaine d’activités Nantes Atlantique, rue rené fonck, 44860 Saint Aignan de Grand Lieu,

site internet du comité régional ouest atlantique : http://afis44.free.fr/index.htm

coordinateur : Michel NAUD, ingénieur, adresse électronique : afis44@free.fr

 

l’éditorial

 

Depuis notre dernier numéro éclatait une lame de fond : le directeur de France Soir était limogé pour avoir publié les caricatures de Mahomet et quelques autres. Une importante mobilisation s’est réalisée pour dire :

 

 

nous nous y associons bien volontiers et nous en remettons une couche :

 

La vérité cachée de la théorie du Big Bang : « Hmm … ça pourrait être drôle. »

 

Nous pourrions d’ailleurs ajouter que la liberté de parole ne se limite pas au droit de critiquer ou se moquer des religions, des croyances pseudo-scientifiques et de leurs représentants. Dans une contribution au quotidien Le Monde en date du 23 février 2006 une brochette de scientifiques spiritualistes entraînés par Jean Staune (ou tout au moins l’entourant) revendiquaient ce qu’ils ont appelé une « Science sans a priori » en essayant de se démarquer des mouvances protestantes créationnistes ou de l’Intelligent Design. Nous ne manquerons pas de revenir sur leurs tentatives désespérées – en critiquant et se moquant au besoin autant qu’il nous plaira - mais nous avons pensé qu’il était plus important de consacrer ce numéro à la science en mouvement, d’autant plus que les sujets de controverses ne manquent pas, plutôt qu’à la théologie et à ses promoteurs, même intelligemment masqués.

 

Nous avons ainsi attribué la place centrale de notre numéro à la bulle de la falsification scientifique qui a éclaté en Corée. Nous essayons d’instruire dans notre bulletin avec les informations qui nous sont parvenues. Nous ne saurions trop vous encourager à visionner la conférence qui a été donnée par Anne Fagot-Largeault, membre de l’Académie des Sciences et professeure au Collège de France : vous pourrez le faire à partir du site de diffusion des savoirs de l’école normale supérieure en suivant les liens que nous vous donnons dans le bulletin.

 

Cette falsification n’est bien évidemment pas la première pas plus qu’elle ne sera la dernière ; elle prend néanmoins un relief particulier car c’est la plus récente, d’une ampleur certaine, que les recherches en question flattent l’imagination, incarnent beaucoup d’espoir de malades, en même temps qu’elles génèrent beaucoup de fantasmes voire de controverses idéologiques. La leçon principale que nous en tirons, qui pourrait paraître paradoxale à certains, est que cette falsification met surtout en lumière … la supériorité systémique de la méthode scientifique, en particulier dans le champ des sciences naturelles en raison de la place centrale qu’y tient la méthode expérimentale : cette falsification (dont on finira bien par démêler les tenants et aboutissants au delà de quelques conclusions de la presse probablement trop hâtives) ne pouvait pas passer au travers des mailles d’une science expérimentale mise en réseau à une échelle planétaire … et elle fut même démontée en un temps record grâce à une mobilisation exemplaire de la collectivité scientifique coréenne et internationale.

 

Nous avons également décidé de donner une place significative dans ce bulletin à la polémique qui se développe à la suite du rapport de l’INSERM sur les troubles de conduites. Il est clair que la volonté de l’INSERM de soumettre, depuis quelques années, les champs de la santé mentale et de ses traitements à évaluation à soulevé des passions qui ne sont pas prêtes de retomber. Par delà notre suspicion, que nous ne cachons pas, sur les affirmations des initiateurs de l’appel en réponse à l’INSERM, suspicions qui ne peuvent être que renforcées par les amalgames réalisés de façon évidente par les pétitionnaires, nous avons décidé de donner les moyens à chacun et chacune de se forger sa propre idée en pouvant accéder aux textes bruts, tant de l’INSERM que de ses détracteurs.

 

Vous découvrirez le reste dans le bulletin mais une question me hante … J

 

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Association Française pour l’Information Scientifique

 

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siège :14, rue de l’école polytechnique, 75005 Paris,

site internet national : http://www.pseudo-sciences.org

 

 

L’assemblée générale nationale aura lieu le samedi 20 Mai à Paris et notre assemblée générale locale aura lieu le 3 Mai à Nantes. Nos adhérents recevront une convocation nominative par message électronique ou par courrier.

 

A bientôt,

 

Michel Naud, coordinateur de l’association.

 

falsification scientifique en Corée

 

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Heurs et malheurs du clonage humain

Quelques réflexions autour de l’affaire de falsification scientifique en Corée

 

une conférence du mardi 31 janvier 2006 (diffusion des savoirs de l’Ecole Normale Supérieure)

Anne Fagot-Largeault est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Philosophie des sciences biologiques et médicales et médecin spécialiste attaché à l’hôpital Henri Mondor, Créteil.

biographie : http://www.college-de-france.fr/site/phi_sci/p998922472951.htm

quelques cours : http://www.college-de-france.fr/site/phi_sci/p998922461194.htm

 

voir et/ou entendre la conférence : http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=656

 

Informateurs : 

Hee-Jin Han (Corée) Maître de conférences associé, Collège de France

Alta Charo (USA) professeur de droit et d’éthique médicale à University of Wisconsin, Madison

Jean-Paul Renard (France) ingénieur agronome, docteur ès dciences et responsable de l'unité de biologie du développement et biotechnologie de l'Inra, membre du Comité National Consultatif d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé de sa création en 1982 jusqu’en 1989

 

Quelques notes de Michel Naud sur la conférence

 

Cette affaire compte plusieurs couches : la première, révélée en novembre 2005, est relative à « l’exploitation » des donneuses d’ovocytes ; la seconde, révélée en décembre 2005 est relative à la fabrication des données ; la troisième, qui se développe depuis janvier 2006 est relative aux faiblesses du système des referees ; et enfin, the last but not the least, l’émergence progressive des dessous de cette affaire.

 

La première couche du millefeuille …

 

Trois articles de Woo-Suk Hwang avaient attiré l’attention des biologistes. Vétérinaire, Hwang est spécialiste du clonage par la technique du transfert de noyau : il sait faire ; lui et son équipe sont des spécialistes reconnus.

 

Deux de ces publications ont été réalisées dans Science, la troisième est réalisée dans Nature. Disons tout de suite que celle réalisée dans Nature, relative au clonage du chien Snoopy, n’est pas concernée par cette affaire de falsification : devant les mésaventures de son collègue et néanmoins concurrent Science, Nature diligentait rapidement une enquête lui permettant de se rassurer sur la validité de « son » article ; de façon officielle,  postérieurement à la conférence d’Anne Foargot-Largeault, la réussite du clonage de Snoopy a été confirmée.

 

La première des deux publications dans Science compte 15 signataires, la seconde 25 signataires.

 

Alors que le 19 octobre 2005 Woo-Suk Hyang est quasiment sacré « roi du clonage », peut-être même « nobélisable », dès le 12 novembre 2005, Gerald P Schatten, biologiste à l’université de Pittsburgh, et dernier co-signataire de la dernière publication, annonce qu’il coupe ses liens avec Hwang.

 

La contribution de Schatten à cette publication n’est néanmoins que purement « littéraire ». Il semblerait que Schatten s’est proposé plus qu’on ne lui a demandé de mettre en forme la publication dans un format acceptable pour Science, exercice qui n’est pas toujours des plus faciles pour des coréens. Il recevait les données par e-mail et les mettait donc en forme pour publication. Ainsi, le 12 novembre 2005 Gerald Schatten affirme avoir découvert ce qu’il considère comme des manquements à l’éthique qu’il n’accepte pas. Lesquels ? les donneuses d’ovocytes seraient payées, et, pire à ses yeux, des collaboratrices de l’équipe de Hwang figureraient dans les donneuses. C’est ce qu’annonce publiquement une chaîne de télévision coréenne le 22 novembre 2005.

 

Ces faits étaient pourtant connus de longue date. D’une part, dans Nature, en mai 2004, Jan-Min Koo, une biologiste de l’équipe de Hwang déclarait qu’elle avait donné des ovocytes, ainsi qu’une autre jeune femme du labo, et disait sa fierté de contribuer à cette aventure, notamment par patriotisme. D’autre part, il n’était pas interdit à l’époque en Corée de payer les donneuses d’ovocytes (cela a été interdit en Janvier 2005) ; le tarif était de 1400 USD par don (alors que dans le même temps, les tarifs aux USA étaient entre 3000 et 5000 USD, même si il convient de rappeler que les niveaux de vie ne sont pas comparables). L’article de Nature n’avait pas remué les foules. Et d’ailleurs, en novembre 2005, en réponse à Schatten, un juriste états-unien expliquait, dans la plus pure tradition du libéralisme américain, que ce n’était pas bien grave, que chacun pouvait bien faire ce qu’il voulait de son corps et qu’il n’y avait rien de moralement répréhensible à ce que les donneuses soient payées pour ce don.

 

Plus délicat semblait le fait que Hwang, dans un premier temps, devant la pression médiatique, a tenté de cacher ces aspects et a menti ; il s’en est même excusé ensuite devant la télévision. Pour une philosophe américaine (Laurie Zoloth), le fait qu’un scientifique mente, même sur un point annexe, discrédite la science.

 

Sur cette dimension éthique, la seule soulevée à l’époque, il est remarquable que nulle part sur la planète des voix ne se soient élevées contre le fait que Hwang ait réussi ce qu’on croyait être cette première en clonage humain. Il convient quand même de se rappeler, qu’en France, par la loi de bioéthique, le clonage est totalement interdit : le clonage reproductif, taxé de « crime contre l’espèce humaine », est passible de 30 ans de prison, alors que le clonage à visée thérapeutique est passible de 7 ans de prison.

 

Le fait qu’à ce stade le seul reproche qui émerge réellement est celui du « mensonge » traduit que les opinions publiques basculent progressivement dans un sens très favorable au clonage, en particulier, à visée thérapeutique, en étant tirées par les associations de malades. Progressivement les objections tombent. Et même en matière reproductive. Ainsi, par exemple, un DEA a été soutenu à Paris I défendant la thèse d’une solution élégante et acceptable pour la procréation d’un couple stérile refusant pour une raison, par exemple religieuse, le don de sperme d’un donneur, de procéder à un clonage par transfert de noyau d’une cellule du candidat à la paternité dans un ovocyte de la candidate à la maternité. La loi française considère cela comme un « crime contre l’espèce humaine » …

 

L’affaire de la falsification scientifique proprement dite …

 

Le 1er décembre 2005, sur la chaîne NBC Coréenne le producteur jette un doute sur l’authenticité des données des articles publiés par Hwang. Le 10 décembre le directeur de la clinique MizMedi révèle que sur les onze lignées de la publication neuf sont fausses (on sait maintenant que ce sont toutes les onze). Le 13 décembre Schatten demande qu’on retire son nom parmi les co-signataires. Le 29 décembre 2005 on finit par apprendre que les données ont été entièrement fabriquées

 

On commence à comprendre comment cela a pu se passer.

 

Hwang, qui est vétérinaire, et son équipe sont spécialistes du clonage par transfert de noyau. Ils sont maîtres d’œuvre des quatre premières étapes du processus : de la première cellule dans laquelle on transfère un noyau jusqu’à la multiplication cellulaire qui aboutit au stade blastocyte. Les ovocytes lui étaient fournies, on a vu comment, et ces étapes constituent sa spécialité.

 

Les étapes suivantes étaient réalisées par une clinique spécialisée en procréation médicalement assistée, la clinique MizMedi associée au laboratoire de Hwang pour ce projet. C’est la clinique MizMedi qui était en charge de  la dérivation des lignées cellulaires puis de leur différentiation dans différentes voies pour qu’on les utilise dans des fins thérapeutiques. C’est donc là que les lignées qui se sont révélées n’avoir jamais existé auraient du être produites. C’est là que les photos, qui se sont révélées être des photos de lignées cellulaires résultant de procréation médicalement assistées, ont été réalisées.

 

Curieusement on constatera que les deux chercheurs de l’équipe de la clinique de procréation médicalement assistée mis en cause par Hwang comme étant les « truqueurs » sont employés … par l’équipe de l’Université de Pittsburgh dirigée par Gerald Schatten

 

Anne Fagot-Largeault dit avoir un doute, qui n’est à ce stade qu’un doute, mais qui est suffisamment consistant pour qu’elle en face état, sur le rôle exact joué par le biologiste états-unien Gerald Schatten dans toute cette affaire …

 

De même, Jean-Paul Renard, qui connaît le professeur Hwang ne l’accable pas et dit qu’on ne sait encore pas tout … et c’est un autre étage de cette affaire de falsification, qui pourrait s’avérer le plus important, qui s’ouvre :

 

1) Il existe des preuves indépendantes (équipe de Newcastle, UK, et autres travaux de l’équipe Hwang) que les étapes du clonage humain jusqu’au stade blastocyte sont possibles.

2) Quant aux étapes prétendument réalisées à la clinique MizMedi (dérivation des lignées cellulaires puis différentiation) on n’a pas encore de preuves qu’elles soient possibles : « on ne sait pas très bien ce qu’ils ont fait du côté de la clinique »

3) Si Hwang Woo Suk avait reçu beaucoup d’argent du gouvernement coréen qui soutenait ses recherches, il est maintenant établi également que l’hôpital MizMedi avait aussi de puissants intérêts financiers dans l’affaire : la clinique a bénéficié de subventions de 1,3 Millions d’USD … des USA … et de plus la clinique a déclaré elle-même que les cellules souches se vendent 6000 dollars la pièce en même temps qu’elle se déclare prête à en fabriquer 2000/an …

 

La conclusion d’Anne Fargot-Largeault

 

On ne sait pas ce qu’il y a au fond du fond de cette affaire

Il semble impossible que la fraude soit la fraude d’une personne

A sa lecture de l’article en 2005 elle s’était fait la réflexion que c’était d’une telle perfection …

mais cette perfection s’est révélée être celle de la rédaction de Monsieur Gerald Schatten

 

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pseudo-clonage thérapeutique

ils ont démasqué le Docteur Hwang

 

un article du nouvel observateur n° 249 du 12 janvier 2006

 

Comment des douzaines de jeunes chercheurs coréens et une chaîne de télévision se sont alliés pour démontrer ce que les experts de l'illustre revue « Science » n'avaient pas su voir : l'idole de la biologie coréenne avait menti sur toute la ligne

 

Le 19 mai 2005, la revue « Science » publie sur son site web un scoop retentissant : un article du Coréen Woo-suk Hwang décrivant la création de onze lignées de cellules souches humaines par clonage. «Révolution scientifique» pour le Français Marc Peschanski, c'est une «percée que l'on n'attendait pas avant des dizaines d'années » selon Gerald Schatten, de l'Université de Pittsburgh. Le même Schatten n'a pas fini de se mordre les doigts : coauteur de l'article de Hwang, il a engagé sa crédibilité sur ce qui se révèle la fraude scientifique de la décennie !

En découvrant le papier de Hwang sur leur base de données, le 15 mars 2005, les éditeurs de « Science » pensaient bien tenir un article «potentiellement explosif » - même s'ils ne s'attendaient pas à ce qu'il le soit autant... Ils le publieront en moins de deux mois, délai bien plus court que la moyenne. Il faut dire que l'article fait une quasi-réalité de ce que beaucoup considèrent comme le dernier Graal de la biomédecine : le clonage thérapeutique, dans lequel des cellules souches issues d'un embryon cloné se transforment à volonté en un tissu particulier de l'organisme, afin de réparer les dégâts produits par une lésion ou une maladie. L'équipe de Hwang est à deux pas de ce miracle médical : elle a cloné des embryons à partir de neuf patients atteints d'une maladie héréditaire ou d'une lésion de la moelle épinière et a obtenu onze lignées de cellules souches, chacune spécifique d'un patient !

Le 29 décembre, c'est le grand bond en arrière : une commission d'enquête de l'Université nationale de Séoul annonce qu'il n'y a «aucune preuve que Woo-suk Hwang et son équipe aient produit une seule des cellules souches spécifiques décrites dans l'article de 2005». Les cellules souches ne viennent pas du clonage, mais d'embryons obtenus par de classiques fécondations in vitro à l'hôpital MizMedi de Séoul ! Le chercheur coréen n'a cloné... que les photos destinées à prouver que ses lignées avaient les mêmes gènes que ses patients !

Si la chute de Hwang stupéfie la communauté scientifique mondiale, elle rend justice, selon « Science », «à des douzaines de jeunes scientifiques coréens anonymes qui, sans se connaître, ont travaillé ensemble et avec les médias pour démasquer une énorme fraude scientifique» (1). Comme « Science » le reconnaît avec fair-play, dans cette affaire hors du commun, les procédures normales de contrôle de la publication scientifique ont échoué (voir encadré). Si la vérité a éclaté, c'est grâce à l'association inédite de chercheurs choqués par des méthodes illicites, d'internet et d'une équipe de télévision.

Tout commence avec un mail parvenu le 1er juin 2005 sur la boîte aux lettres électronique de « PD Notebook », une émission de télévision spécialisée dans les enquêtes d'actualité et diffusée par la chaîne coréenne MBC (Munhwa Broadcasting Corp.). L'auteur du message se dit préoccupé par des irrégularités dans les travaux de Hwang et invite les producteurs à le contacter. Quelques jours plus tard, le correspondant anonyme est interviewé par un journaliste de « PD Notebook », Hak-soo Han. Il affirme avoir travaillé chez Hwang jusqu'à la parution de son premier article notoire, publié dans « Science » en mars 2004 et qui décrit la première lignée de cellules souches issues d'un clonage d'embryon humain (cet article a fait moins de bruit que celui de 2005 parce que Hwang n'a pas prouvé rigoureusement qu'il s'agissait d'un véritable clonage, et parce que le taux de succès de l'expérience était très faible).

D'après l'informateur de Han, une partie des ovules utilisés ont été fournis par de jeunes chercheuses de l'équipe de Hwang, moyennant finances et sous diverses pressions. L'informateur fournit les noms, les références des dons et un e-mail d'une chercheuse concernée. Il met aussi en doute la validité scientifique de la publication de 2005, sans donner de preuve d'une fraude.

Etonné, Han décide de pousser l'enquête plus loin. L'équipe de « PD Notebook »se lie à deux autres chercheurs ayant travaillé chez Hwang ainsi qu'à des consultants extérieurs. Prétendant réaliser un documentaire sur les biotechnologies coréennes, les journalistes interviewent les coauteurs du papier de 2005. Surprise : la plupart d'entre eux n'ont jamais vu les fameuses cellules souches ! Puis, en octobre, « PD Notebook » obtient la preuve qu'au moins une des lignées prétendument clonées de Hwang provient en fait d'un embryon produit au centre de fécondation in vitro de l'hôpital MizMedi, lequel collabore avec Hwang ! Han décide alors de piéger Sun-jong Kim, co-auteur de l'article de 2005, qui a quitté la Corée pour travailler à Pittsburgh chez Gerald Schatten. Il lui fait croire qu'une enquête est lancée et qu'il veut l'aider. Devant une caméra cachée, Kim reconnaît qu'il a trafiqué les images à la demande de Hwang.

Le 11 novembre 2005, alors que « PD Notebook »n'a rien diffusé de ses découvertes sulfureuses, Gerald Schatten annonce qu'il met fin à sa collaboration avec Hwang. Raison avancée : les conditions peu éthiques dans lesquelles ont été récoltés les ovules utilisés par Hwang. Le 22 novembre, MBC diffuse un reportage relatant que de jeunes chercheuses de l'équipe de Hwang ont été payées pour fournir leurs ovules. L'intéressé le reconnaît lors d'une conférence de presse deux jours plus tard, prétendant qu'il a menti pour protéger la vie privée de ses chercheuses...

Malgré l'aveu de Hwang, « PD Notebook » est voué aux gémonies par le public coréen, qui n'admet pas que l'on attaque son idole. Lorsque Kim et un autre chercheur de Pittsburgh déclarent sur une autre chaîne de télévision qu'ils ont été piégés, « PD Notebook » se trouve en fâcheuse posture. Les sponsors retirent leurs publicités, le site web et le standard de la chaîne sont submergés de messages d'injures. MBC s'excuse pour ses méthodes peu déontologiques et suspend son programme, renonçant à diffuser la deuxième partie qui devait traiter de la fraude.

Etant donné l'immense popularité de Hwang, l'histoire aurait pu en rester là. Elle rebondit sur un autre site web, celui du Bric (Biological Research Information Center), qui fournit des informations destinées aux jeunes chercheurs en biologie. Des messages anonymes font état d'images dupliquées dans l'article de Hwang. Bientôt, plus de 200 courriers pointent les photos « clonées ». «Duplication accidentelle», prétend Hwang. Le 12 décembre, l'université de Séoul lance une enquête. Le 15, alors que l'opinion coréenne commence à basculer, MBC diffuse un reportage de « PD Notebook » dans lequel Kim - le visage caché - admet avoir manipulé les photos à la demande de Hwang.
Début janvier, alors que MBC a rétabli son émission d'investigation, « PD Notebook » révèle que l'équipe de Hwang avait récolté plus de 1 600 ovules et non pas 427 comme il était indiqué dans « Science » ! Une vraie pêche miraculeuse. Le miracle scientifique, lui, n'était pas au rendez-vous.

(1) « Science », 6 janvier 2006, pp. 22-25.


 

Michel de Pracontal, né à Cannes en 1954, Michel de Pracontal est journaliste scientifique au Nouvel Observateur depuis 1970.

Bibliographie (extraits) : La Femme sans nombril, L'Homme artificie, L'Imposture scientifique en dix leçons (La Découverte, 1991)

 

Diffusion des savoirs de l’Ecole Normale Supérieure

 

 

du programme génétique au darwinisme cellulaire

Dans Qu’est-ce que la vie ? Schrödinger a tracé une séparation très nette entre la physique et la biologie. Alors qu’en physique un principe d’ordre à partir du désordre opère, la biologie dépendrait d’un principe d’ordre à partir de l’ordre. Alors qu’en physique l’ordre au niveau macroscopique est produit par un comportement probabiliste des molécules au niveau microscopique, en biologie, les protéines échapperaient au hasard brownien grâce à l’information génétique. Cette vision, à la base de la théorie du programme génétique, a profondément influencé la biologie moléculaire. Cependant, les données récentes démontrant l’importance des phénomènes aléatoires dans les interactions moléculaires et dans l’expression des gènes contredisent le principe d’ordre par l’ordre de Schrödinger. Une théorie alternative peut être proposée dans laquelle l’ordre biologique provient d’une extension de la Sélection Naturelle à l’intérieur de l’organisme. L’expression probabiliste des gènes génère une diversité d’états cellulaires et un mécanisme de sélection cellulaire dirige l’embryon vers le stade adulte. Cette théorie a été l’objet de simulations numériques qui démontrent sa pertinence.

Bertrand Laforge., Guez, D., Martinez, M., Kupiec, J.J., 2005. Modeling embryogenesis and cancer : an approach based on an equilibrium between the autostabilization of stochastic gene expression and the interdependance of cells for proliferation. Progress Biophys. Mol. Biol. 89: 93-120.

 

 

Jean-Jacques Kupiec (Inserm)
Centre Cavaillés de l’Ecole normale supérieure

 

Ecouter et ou visualiser la conférence : http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1092

 

La classification en sciences naturelles à l’école et ses enjeux

 

Depuis un demi siècle, la classification des êtres vivants a subi une véritable révolution à la fois dans sa philosophie et dans ses méthodes. Dans sa philosophie, car comme elle parvient désormais à identifier les parentés évolutives des êtres vivants, le cahier des charges fixé par Darwin en 1859 peut être rempli, ce qui permet de tourner le dos à des philosophies antérieures qui restaient inscrites dans nos classifications. Dans ses méthodes, avec l’introduction dans les années 1950 de la systématique phylogénétique par Willi Hennig et ses applications informatisées dès les années 1970. Dans les dernières décennies la systématique phylogénétique a bénéficié, en outre, des outils de la biologie moléculaire et de la bioinformatique permettant, notamment, de comparer les séquences des macromolécules, ADN et ARN.

Pourtant, la classification phylogénétique est restée longtemps méconnue dans l’enseignement, non seulement à l’école primaire, au collège et au lycée, mais souvent aussi dans l’enseignement supérieur, ce qui n‚a pas été sans conséquences sur la compréhension du vivant. En effet, tout en intégrant la notion d’évolution dans les programmes scolaires, on a continué à utiliser la classification établie par Linné au dix-huitième siècle dans un contexte scientifique où les espèces étaient des créatures et où l’évolution du vivant était encore inconnue. Cet état de fait a contribué à ancrer dans les esprits nombre d’idées fausses, en particulier sur l’évolution du vivant, que l’on retrouve notamment dans des manuels scolaires.

 

 Guillaume Lecointre (MNHN)
Professeur au Muséum national d’histoire naturelle et directeur de l’école doctorale du MNHN

 

Ecouter et ou visualiser la conférence : http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=744

 

Ni dieu, ni maître dans l’évolution

 

La théorie de l’évolution a mis, en Europe, quatre siècles à émerger comme représentation scientifique de l’histoire de la vie, malgré les persécutions religieuses et l’opposition des fondamentalismes monothéistes. Dans cette histoire, il convient de restituer à chacun sa contribution, souvent obscurcie par les censures et les stratégies de communication scientifique des auteurs.

Les terrains de bataille ont beaucoup changé et varient encore du fondamentalisme le plus borné jusqu’au prétendu "intelligent design". Dans cette affaire, les torts des scientifiques sont souvent de chercher, eux aussi, à répondre à des questions hors du champ de la science, d’accepter un terrain de lutte idéologique qui n’est pas le leur, d’employer les méthodes approximatives et émotionnelles de leurs adversaires, souvent avec moins de talent. Ceci quand ils ne cherchent pas l’argument de l’autorité d’illustres "maîtres" du passé ou contemporains, à qui l’on prête sans cesse des découvertes ou des problématiques qui ne furent pas les leurs.

La recherche de "dieu(x)" par des méthodes scientifiques a commencé bien avant l’établissement de la théorie actuelle de l’évolution et les errements teilhardiens. Des variantes récentes ont clamé son succès par suite de l’observation des chromosomes des anthropomorphes, de conjectures mathématiques sur la probabilité de l’oeil, sur les fossiles, les phylogénies moléculaires ou le sphénoïde des primates. Les plus aberrants des "chercheurs" concernés n’hésitent pas à nous prédire un futur lointain que même nos lointains descendants auront du mal à mettre à l’épreuve ! Les dieux et leurs variantes sont décidément des hypothèses trop complexes, non réfutables et non conformes au statut moderne de la science.

 

 André Langaney (MNHN - univ. Genève)
Professeur au Muséum national d’histoire naturelle et à l’université de Genève.

 

Ecouter et ou visualiser la conférence : http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1112

 

du côté du CNRS

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Préhistoire - Baby-boom au Néolithique

Les préhistoriens ont toujours pensé sans jamais l'avoir démontré que lors du passage du Mésolithique au Néolithique, les populations se sont accrues rapidement. La raison ? La révolution technique et culturelle la plus profonde qu'aient connue les hommes : chasseurs-cueilleurs nomades depuis la nuit des temps, ils se sont sédentarisés et ont découvert, entre autres, l'agriculture et l'élevage 1.

La preuve de cet accroissement vient d'être apportée par deux anthropologues-démographes, Jean-Pierre Bocquet-Appel, directeur de recherche au laboratoire CNRS « Dynamique de l'évolution humaine : individus, populations, espèces », et Stephan Naji, étudiant en thèse à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) 2. Mieux, ils ont révélé un véritable baby-boom survenu lorsque les hommes sont devenus sédentaires. Pour cela, ils ont procédé à une étude statistique des ossements de dizaines de cimetières méso- et néolithiques en Afrique du Nord, en Europe et en Amérique du Nord 3. Et parmi les squelettes, ils ont remarqué que la proportion d'enfants et d'adolescents est beaucoup moins nombreuse dans les cimetières mésolithiques. Elle est d'environ 20 % avant la sédentarisation et atteint les 30 % quelque 600 ou 800 ans après l'avènement du Néolithique. « À l'inverse de ce qu'on pourrait croire, ceci ne veut pas dire que les conditions se sont dégradées et que la mortalité des jeunes a augmenté. Cette proportion montre seulement que la base de la pyramide des âges de la population vivante s'est fortement élargie », décrypte Jean-Pierre Bocquet-Appel.

Le chercheur révèle aussi que le même scénario s'est déroulé dans les différents foyers d'apparition du Néolithique. Les hommes se sont d'abord installés à des endroits riches en ressources – gibier, poissons, végétaux, coquillages –, et la sédentarisation a stimulé les naissances. Mais l'économie fondée sur la chasse et la cueillette a vite trouvé ses limites. « Pendant plusieurs générations, ils ont subi une véritable crise démographique. Ils avaient trop d'enfants, bien plus qu'ils ne pouvaient en nourrir. La population a tellement souffert qu'elle est tombée parfois sous le seuil de remplacement des générations, raconte le chercheur. C'est alors que sont apparus l'agriculture et l'élevage et la possibilité de nourrir beaucoup plus de monde. » Mais pourquoi la sédentarisation a-t-elle provoqué ce baby-boom ? D'après Jean-Pierre Bocquet-Appel, lorsque les chasseurs-collecteurs nomades se déplacent, les femmes portent les enfants, qui sont souvent en contact avec le sein maternel et peuvent téter à tout moment. Or l'allaitement retarde la reprise du cycle mentruel après la naissance d'un enfant. La fécondité des femmes nomades est donc plus faible. En revanche, chez les peuples sédentaires, les femmes posent leurs enfants et les allaitent moins longtemps. Leur fertilité est bien plus importante et peut atteindre huit à douze enfants en moyenne. Ceci expliquerait le baby-boom néolithique.

L'étude montre que le rapport de cause à effet entre la sédentarisation et l'invention de l'agriculture et de l'élevage est plus subtil que cela : « C'est la crise démographique due au trop grand nombre d'enfants qui a certainement conduit à l'adoption de ce nouveau moyen de production. Ce dernier a ensuite intensifié la sédentarisation, laquelle a augmenté encore la fécondité. Une sorte de processus qui s'est auto-alimenté. »

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/825.htm

 

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Évolution - Un faux pouce mais de vraies fonctions

Contrairement à ce que les paléontologues supposaient, le fameux sixième doigt, ou faux pouce, des pandas 1  seuls mammifères connus à ce jour à posséder une telle particularité  ne lui servait pas à l'origine à manipuler de la nourriture, mais à faciliter ses déplacements. En effet, la découverte par une équipe franco-espagnole d'un ancêtre du petit panda, ou panda roux 2, appelé Simocyon batalleri montre que cet animal vieux de neuf millions d'années possédait, tout comme son descendant herbivore, un sixième doigt. « Mais en étudiant sa denture, nous sommes arrivés à la conclusion que cet animal mangeait essentiellement de la viande, et non des végétaux comme le petit panda actuel, annonce Stéphane Peigné, jeune chercheur au Laboratoire de géobiologie, biochronologie et paléontologie humaine 3. C'est pourquoi nous pensons que Simocyon n'utilisait pas son sixième doigt pour saisir les pousses de bambou comme le fait aujourd'hui le petit panda, mais plus certainement pour aider à sa locomotion dans les arbres. » Ce sont les nombreux indices retrouvés dans le très riche gisement espagnol de Batallones-1 près de Madrid qui ont mis les chercheurs sur la voie. Tout d'abord le squelette de Simocyon, de la taille d'un puma, présente des particularités morphologiques qui indiquent un mode de vie arboricole. Et comme les données recueillies sur le site indiquent qu'il vivait dans un environnement peuplé de nombreux prédateurs, « cette étrange facétie de l'évolution de doter Simocyon d'un faux pouce apparaît, dans ce contexte, vitale pour ce carnivore plutôt charognard et peu véloce : il pouvait donc leur échapper en grimpant aisément dans les arbres », poursuit le paléontologue.
Aujourd'hui, des millions d'années ont passé ; l'environnement et le mode de vie du petit panda sont très différents de ceux de Simocyon, au point de rendre obsolète l'utilisation originelle de son sixième doigt. Mais comme son régime alimentaire s'est aussi modifié, l'évolution a transformé l'usage premier de ce faux pouce en un usage second et unique, à savoir la manipulation de bambous et autres feuillages. « Le faux pouce du petit panda est un merveilleux exemple d'exaptation, ou réadaptation secondaire, soit une structure dont la fonction ou l'usage actuel est différent de la fonction originelle », conclut le chercheur. La véritable origine du sixième doigt du petit panda aurait certainement ravi S. J. Gould, qui avait choisi cet exemple pour illustrer le principe de contingence dans l'évolution 4. Comme quoi, dans l'évolution aussi, on peut donner un petit coup de pouce au hasard !

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/826.htm

 

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Les bébés de 5 mois comptent déjà avec leurs doigts

Des chercheurs du CNRS et des Universités Paris 5 et Pierre Mendès France de Grenoble (1) viennent de montrer que les bébés âgés de 5 mois sont capables de différencier par la vue et le toucher des petites quantités d'objets. Ces résultats prouvent que chez les nourrissons les représentations mentales des petites quantités sont indépendantes des modalités sensorielles et donc abstraites. Ils sont disponibles en ligne sur le site de la revue Cognitive Development.

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/824.htm

 

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La génomique contre les infections nosocomiales

Acinetobacter baumannii est une bactérie opportuniste responsable d'un nombre croissant d'infections nosocomiales ultra-résistantes et souvent mortelles. Elle a rapidement acquis la capacité d'accumuler des gènes de résistance aux antibiotiques, ce qui lui confère aujourd'hui une résistance quasi-totale. Les derniers travaux sur le génome de cette bactérie pourront servir à accélérer le diagnostic des infections nosocomiales et à en affiner le traitement. Ils sont publiés sur Internet dans la revue PloS Genetics de janvier 2006.

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/806.htm

 

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Un facteur génétique de sensibilité à la tuberculose

Des équipes de l'Institut Pasteur et du CNRS viennent d'identifier un facteur génétique dont pourrait dépendre la sensibilité à la tuberculose. Les chercheurs ont analysé chez une large population les variations du gène DC-SIGN, impliqué dans les infections à Mycobacterium tuberculosis. Ils ont montré qu'un variant de ce gène est surreprésenté chez les individus qui ne développent pas la maladie. Ce travail publié dans PLoS Medicine devrait aider à comprendre le rôle de DC-SIGN dans la propagation de la tuberculose et ouvrir des pistes nouvelles pour développer des stratégies de traitement de la maladie.

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/802.htm

 

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Troubles respiratoires du syndrome de Rett : pistes de soin

Le syndrome de Rett est une maladie génétique rare qui s'accompagne de troubles respiratoires graves et récurrents. En travaillant sur des souris, des chercheurs du CNRS (1) ont identifié la mutation génétique responsable de ces troubles et la façon dont elle agit. Ces travaux permettent d'envisager un traitement pharmacologique de la maladie. Ils sont publiés dans The Journal of Neuroscience.

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/801.htm

 

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retraite napoléonienne de Russie : la biologie réécrit l'histoire

Décembre 1812 : ce qui reste des soldats de la Grande Armée de Napoléon quitte Moscou et bat en retraite à Vilnius, en Lituanie. Automne 2001 : des ouvriers découvrent à Vilnius une fosse commune contenant les ossements de centaines de ces soldats. La fouille du charnier et l'étude des vestiges sont conduites par des équipes du CNRS, dans le cadre d'une collaboration franco-lituanienne. En analysant des prélèvements de terre, de tissus et de dents, les chercheurs viennent de montrer que plus de 30% de ces soldats de la Grande Armée de Napoléon ont souffert et, pour la plupart, sont morts d'infections transmises par des poux lors de la retraite de Russie. Ces infections auraient joué un rôle important dans la défaite de l'armée française.

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/798.htm

 

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Une thérapie génique innovante des pathologies oculaires

Le vieillissement de la population s'accompagne d'une explosion du nombre de maladies chroniques inflammatoires ou dégénératives provoquant la cécité. Pour ces pathologies, la recherche de thérapies représente donc un enjeu de santé publique. Alors que les injections de protéines thérapeutiques dans le globe oculaire représentent une voie de traitement prometteuse mais mal tolérée par le patient et non dénuée de risques, des chercheurs de l'Inserm et du CNRS viennent de mettre au point une alternative utilisant de faibles champs électriques pour administrer de l'ADN codant une protéine thérapeutique. Par un traitement rapide et bien toléré, cette nouvelle méthode permet d'assurer une production locale et durable de ces protéines médicaments dans l'oeil. Ces résultats sont publiés dans The Faseb Journal.

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/795.htm

 

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Le mécanisme de déclenchement de la polykystose rénale


Des chercheurs de l'Institut Pasteur et du CNRS viennent de mettre en évidence les mécanismes cellulaires impliqués dans la polykystose rénale, une maladie génétique très invalidante qui altère le fonctionnement du rein. Les auteurs ont montré que la dilatation des tubules rénaux à l'origine de la formation de kystes est liée à une croissance désorganisée des cellules qui les composent. Ces travaux, publiés dans la revue « Nature Genetics » permettent de mieux comprendre les premières étapes de cette maladie génétique et constituent une avancée importante pour mieux cibler la recherche des nouvelles voies thérapeutiques.

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/794.htm

 

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L'effet « coupe-faim » des protéines

L'effet « coupe-faim » des protéines, connu chez l'homme et l'animal, est utilisé depuis longtemps dans les régimes alimentaires et le traitement de l'obésité. Les mécanismes qu'il met en jeu étaient encore mal compris. Des travaux issus d'une collaboration entre le CNRS, l'Inserm, l'INRA et l'Université Claude Bernard - Lyon 1, expliquent son origine : l'ingestion de protéines stimule la synthèse de glucose par l'intestin et génère ainsi un signal de satiété pour le cerveau. Ces résultats, publiés dans le numéro de novembre de Cell Metabolism, permettent d'envisager de futures approches thérapeutiques de l'obésité.

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/780.htm

 

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Des différences structurelles entre les chromosomes sexuels

Lors des premières phases du développement de l'embryon, il existe une différence de structure entre les chromosomes paternels et maternels. C'est ce que des chercheurs du CNRS(1) viennent de découvrir. Ce résultat, obtenu chez la mouche mais probablement valable chez les vertébrés et en particulier chez l'homme, est publié dans la revue Nature du 27 octobre. Il ouvre des perspectives dans la compréhension des modifications qui touchent les chromosomes paternels au tout début de l'embryogénèse.

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/776.htm

 

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Nouvelle énigme autour du virus géant Mimivirus

Les chercheurs du laboratoire Information génomique et structurale (CNRS, Marseille) participent en 2003 à la découverte, chez une amibe, du plus grand virus à ADN jamais recensé, Mimivirus. En 2004, ils analysent son génome et y trouvent des gènes inhabituels chez les virus. Leurs derniers travaux, publiés le 11 octobre dans les Proceedings of the national Academy of Sciences of the USA (PNAS), montrent que Mimivirus a conservé une grande homogénéité au cours de l'évolution et relancent l'hypothèse selon laquelle il constituerait une nouvelle branche dans l'arbre du vivant.

 

 http://www2.cnrs.fr/presse/communique/771.htm

 

du côté de l’INSERM

trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent

 

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Introduction au dossier

 

Peut-être en avez-vous entendu parler mais la polémique qui se déchaîne dans les milieux des professionnels de l’enfance et de l’adolescence à propos d’un rapport de l’INSERM paraît un peu surréaliste et n’est pas sans rappeler celle qui s’était déroulée en 2004 avec pratiquement les mêmes parties prenantes à propos de l’évaluation des psychothérapies. Nous aurons certainement l’occasion de revenir sur ce(s) dossier(s) mais nous allons ici en donner les grandes lignes.

 

L’INSERM a été sollicitée par un organisme officiel (la CANAM) pour dire qu’elle est l’état des savoirs en matière de troubles comportementaux des enfants et adolescents (je laisse volontairement la question des définitions précises pour la suite). Pour ce faire elle a réuni un groupe de scientifiques et de médecins pour expertiser les publications scientifiques sur ce sujet (plus de 1000 publications étudiées), en faire une synthèse, et en tirer des recommandations et des pistes de recherche en appui de la réflexion menée par l’organisme commanditaire.

 

L’état des savoirs, tel qu’il apparaît au vu des publications scientifiques réalisées, et la synthèse qui peut en être tirée, comme en 2004 ne plaît pas à une fraction des professionnels, fraction qui a décidé de le dire et de prendre à témoin la population en prenant l’initiative d’une pétition qui à ce jour revendique 150 000 signataires.

 

Nous allons donc nous contenter (ce qui est déjà un choix de ligne éditoriale assumé) de reproduire successivement des extraits de documents (avec les liens pour les versions intégrales) :

 

-          une brève présentation (origine INSERM) de l’objet de l’expertise collective et des moyens mis en œuvre pour y répondre (septembre 2005)

-          un long extrait de la pétition accompagnée de la liste initiale des pétitionnaires (janvier 2006)

-          un extrait du communiqué en réponse de l’INSERM (février 2006)

-          une synthèse réalisée par la « mutaliste » - site opposé aux pétitionnaires – (mars 2006)

-          une interview du directeur de l’INSERM dans Le Monde (mars 2006)

-          une opinion de Philippe JEAMMET dans Le Monde (mars 2006)

 

Bien sûr la ligne éditoriale choisie traduit la plus extrême méfiance au regard de l’appel en réponse à l’expertise collective de l’INSERM, néanmoins nous avons voulu honnêtement donner les moyens par cet exposé et les liens à chacun et chacune d’entre vous de se faire une idée personnelle de la réalité des débats en cours, et en particulier sur l’existence et où d’intrusions idéologiques dans les sciences ou aux marges de la science.

 

Le 29 mars 2006,

 

Michel Naud

 

 

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Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent

Expertise Collective Inserm

 

trouble des conduites et délinquance

 

Le trouble des conduites s’exprime chez l’enfant et l’adolescent par une palette de comportements très divers qui vont des crises de colère et de désobéissance répétées de l’enfant difficile aux agressions graves comme le viol, les coups et blessures et le vol du délinquant. Sa caractéristique majeure est une atteinte aux droits d’autrui et aux normes sociales. La question se pose donc de savoir comment se situe le trouble des conduites au sein du phénomène social qu’est la délinquance. Le concept de délinquance est un concept légal dont les limites dépendent en grande partie des changements dans les pratiques policières ou judiciaires. L’approche clinique qui est choisie dans cette expertise ne traite pas de la délinquance même si le comportement antisocial qui caractérise le trouble des conduites peut signifier acte de délinquance. La manière la plus légitime d’opérer une liaison entre le trouble des conduites et la délinquance est de considérer ce trouble comme un facteur de risque de délinquance qui peut jouer en complémentarité avec d’autres facteurs. Cependant, tout adolescent coupable selon la loi d’actes de violence ou de vandalisme n’est pas nécessairement atteint d’un trouble des conduites.

 

la demande formulée à l’INSERM

 

Afin de compléter l’expertise collective sur les troubles mentaux publiée en 2002, la Canam (Caisse nationale d’assurance maladie des professions indépendantes) a sollicité l’Inserm pour une analyse approfondie des connaissances sur le trouble des conduites chez l’enfant avec l’objectif d’en améliorer le dépistage, la prévention et la prise en charge mais aussi d’identifier les recherches nécessaires à une meilleure compréhension des facteurs étiologiques et des mécanismes sous-tendant l’expression de ce trouble.

 

la méthode de l’INSERM

 

Pour répondre à la question posée, l’Inserm a mis en place un groupe pluridisciplinaire d’experts rassemblant des compétences dans les domaines de la psychiatrie, psychologie, épidémiologie, sciences cognitives, génétique, neurobiologie, éthologie pour effectuer une analyse critique des données internationales des différents champs disciplinaires (plus de 1 000 articles et rapports scientifiques et médicaux analysés dans cette expertise collective) selon la grille de questions suivantes :

• Au sein de l’entité des troubles du comportement, comment se définissent le trouble des conduites, le trouble déficit de l’attention/hyperactivité, le trouble oppositionnel avec provocation ?

• Le trouble des conduites débutant durant l’enfance et le trouble débutant à l’adolescence sont-ils de nature différente ? Y a-t-il des spécificités selon le sexe ? Quelle est l’évolution vers le trouble de la personnalité antisociale ?

• Quelle est la prévalence du trouble des conduites en population générale et dans les populations de jeunes délinquants ? Quelle est la fréquence des troubles associés ?

• Quelles sont les données disponibles sur les facteurs de risques périnatals et sur l’impact de l’attachement aux parents ?

• Comment interagissent les susceptibilités génétiques, le tempérament, la personnalité avec l’environnement familial et social ? Quel est le lien entre le trouble des conduites et les différents déficits neurocognitifs identifiés ?

• Quelles sont les trajectoires développementales des symptômes du trouble des conduites et leurs facteurs de risque ?

• Comment repérer les facteurs de risque et prévenir le trouble des conduites ? Quels sont les programmes de prévention validés ?

• Comment traiter le trouble des conduites et les troubles associés ? Quelles sont les thérapies efficaces ?

• Quelles sont les recherches sur les fondements neurobiologiques du trouble des conduites permettant de mieux circonscrire ses mécanismes éthiopathogéniques et susceptibles de déboucher sur de nouveaux traitements ? Quels sont les apports des modèles animaux pour comprendre ce trouble ?

 

groupe d’experts et auteurs

 

Charles COHEN-SALMON, Vulnérabilité, adaptation et psychopathologie, CNRS UMR 7593, Centre hospitalier universitaire Pitié Salpêtrière, Paris, Sylvana COTE, École de psychoéducation, Université de Montréal, Canada, Pierre FOURNERET, Institut des Sciences Cognitives, UMR5015, CNRS, UCBL1, Bron, Isabelle GASQUET, Troubles du comportement alimentaire des adolescents, Inserm U669 et Direction de la Politique Médicale, AP-HP, Paris, Antoine GUEDENEY, Pédopsychiatrie, Centre hospitalier universitaire Bichat-Claude Bernard, AP-HP Paris VII, Paris, Michel HAMON, Neuropsychopharmacologie, Inserm U677, Centre hospitalier universitaire Pitié-Salpêtrière, Paris, Béatrice LAMBOY, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, Saint-Denis Marie-France LE HEUZEY, Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Robert Debré, Paris Grégory MICHEL, Département de psychologie, Université François Rabelais, Tours et Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Robert Debré, Paris Jean-Philippe RENERIC, Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Centre hospitalier Charles Perrens, Bordeaux Richard E TREMBLAY, Chaire de recherche du Canada sur le développement de l’enfant, Université de Montréal, Canada, et Faculté des sciences sociales, Université d’Utrecht, Pays-Bas Mathias WOHL, Analyse phénotypique, développementale et génétique des comportements addictifs, Inserm U675 et Hôpital Louis Mourier, AP-HP Paris VII, Colombes

 

Ont été auditionnés : Catherine BLATIER, Psychologie clinique et pathologique, Université de Grenoble, Michel BORN, Psychologie de la délinquance et du développement psychosocial, Université de Liège, Belgique, Marie CHOQUET, Troubles du comportement alimentaire des adolescents, Inserm U669, Maison des Adolescents, Hôpital Cochin, Paris, Jacques FORTIN, Service d’épidémiologie et de santé publique, Hôpital Calmette, Lille, Laurent MUCCHIELLI, UMR 2190, Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, Guyancourt, Nadine NEULAT-BILLARD, Direction de l’enseignement scolaire, Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Paris, Bernard RIBIOLET, Délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain, Saint-Denis La Plaine

 

Coordination scientifique : Centre d'expertise collective Inserm, Paris, sous la responsabilité de Jeanne ETIEMBLE

 

les symptômes du trouble des conduites

 

Les symptômes du trouble des conduites se classent en quatre catégories :
- Conduites agressives envers des personnes ou des animaux
- Destruction de biens matériels sans agression physique
- Fraudes ou vols
- Violations graves de règles établies
Source : DSM-IV - Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders

 

Liste des critères diagnostiques (A) du DSM-IV

 

Conduites agressives dans lesquelles des personnes ou des animaux sont blessés ou menacés dans leur intégrité physique (critères 1-7)

1.      Brutalise, menace ou intimide souvent d’autres personnes

2.      Commence souvent les bagarres

3.      A utilisé une arme pouvant blesser sérieusement autrui (par exemple un bâton, une brique, une bouteille cassée, un couteau, une arme à feu)

4.      A fait preuve de cruauté physique envers des personnes

5.      A fait preuve de cruauté physique envers des animaux

6.      A commis un vol en affrontant la victime (par exemple agression, vol de sac à main, extorsion d’argent, vol à main armée)

7.      A contraint quelqu’un à avoir des relations sexuelles

 

Conduites où des biens matériels sont endommagés ou détruits, sans agression physique (critères 8-9)

8.      A délibérément mis le feu avec l’intention de provoquer des dégâts importants

9.      A délibérément détruit le bien d’autrui (autrement qu’en y mettant le feu)

 

Fraudes ou vols (critères 10-12)

10.  A pénétré par effraction dans une maison, un bâtiment ou une voiture appartenant à autrui

11.  Ment souvent pour obtenir des biens ou des faveurs ou pour échapper à des obligations (par exemple « arnaque » les autres)

12.  A volé des objets d’une certaine valeur sans affronter la victime (par exemple vol à l’étalage sans destruction ou effraction, contrefaçon)

 

Violations graves des règles établies (critères 13-15)

13.  Reste dehors tard la nuit en dépit des interdictions de ses parents, et cela a commencé avant l’âge de 13 ans

14.  A fugué et passé la nuit dehors au moins à deux reprises alors qu’il vivait avec ses parents ou en placement familial (ou a fugué une seule fois sans rentrer à la maison pendant une longue période)

15.  Fait souvent l’école buissonnière, et cela a commencé avant l’âge de 13 ans

 

 http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble-conduites.html

 

 

 

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Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans

Appel en réponse à l'expertise INSERM sur le trouble des conduites chez l'enfant

Pétition émise le 29 janvier 2006 et revendiquant 150 000 signatures le 29 mars

le texte (extraits)

 

 

« Les professionnels sont invités à repérer des facteurs de risque prénataux et périnataux, génétiques, environnementaux et liés au tempérament et à la personnalité. Pour exemple sont évoqués à propos de jeunes enfants « des traits de caractère tels que la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme » et la notion « d'héritabilité (génétique) du trouble des conduites ». Le rapport insiste sur le dépistage à 36 mois des signes suivants : « indocilité, hétéroagressivité, faible contrôle émotionnel, impulsivité, indice de moralité bas », etc. Faudra-t-il aller dénicher à la crèche les voleurs de cubes ou les babilleurs mythomanes ?

Devant ces symptômes, les enfants dépistés seraient soumis à une batterie de tests élaborés sur la base des théories de neuropsychologie comportementaliste qui permettent de repérer toute déviance à une norme établie selon les critères de la littérature scientifique anglo-saxonne. Avec une telle approche déterministe et suivant un implacable principe de linéarité, le moindre geste, les premières bêtises d’enfant risquent d’être interprétés comme l’expression d’une personnalité pathologique qu’il conviendrait de neutraliser au plus vite par une série de mesures associant rééducation et psychothérapie. A partir de six ans, l’administration de médicaments, psychostimulants et thymorégulateurs devrait permettre de venir à bout des plus récalcitrants. L’application de ces recommandations n’engendrera-t-elle pas un formatage des comportements des enfants, n’induira-t-elle pas une forme de toxicomanie infantile, sans parler de l’encombrement des structures de soin chargées de traiter toutes les sociopathies ? L’expertise de l’INSERM, en médicalisant à l’extrême des phénomènes d’ordre éducatif, psychologique et social, entretient la confusion entre malaise social et souffrance psychique, voire maladie héréditaire.

En stigmatisant comme pathologique toute manifestation vive d’opposition inhérente au développement psychique de l’enfant, en isolant les symptômes de leur signification dans le parcours de chacun, en les considérant comme facteurs prédictifs de délinquance, l’abord du développement singulier de l’être humain est nié et la pensée soignante robotisée.
Au contraire, plutôt que de tenter le dressage ou le rabotage des comportements, il convient de reconnaître la souffrance psychique de certains enfants à travers leur subjectivité naissante et de leur permettre de bénéficier d’une palette thérapeutique la plus variée.
Pour autant, tous les enfants n’en relèvent pas et les réponses aux problèmes de comportement se situent bien souvent dans le domaine éducatif, pédagogique ou social. »

 

les premiers signataires

 

Christine Bellas-Cabane (pédiatre, présidente du syndicat national des médecins de PMI), François Bourdillon (président de la société française de santé publique), Marie-Laure Cadart (médecin, anthropologue, syndicat national des médecins de PMI), Michèle Clément (secrétaire générale du syndicat national des psychologues), Yvonne Coinçon (pédopsychiatre, association des psychiatres de secteur infanto-juvénile), Jean-François Cottes (psychologue clinicien, psychanalyste, InterCoPsychos, Institut de Jeunes Sourds de Clermont-Ferrand), Boris Cyrulnik (neuropsychiatre et éthologue), Pierre Delion (chef de service de pédopsychiatrie au CHU de Lille), Danièle Delouvin (psychologue, présidente d’A.NA.PSY.p.e. – association nationale des psychologues pour la petite enfance), Michel Dugnat (pédopsychiatre, unité parents-bébés hôpital de Montfavet), Marie-Thérèse Fritz (pédiatre, syndicat national des médecins de PMI), Sylviane Giampino (psychanalyste, psychologue petite enfance, fondatrice d’A.NA.PSY.p.e.), Bernard Golse (chef de service de pédopsychiatrie CHU Necker-enfants malades, professeur Université Paris V), Roland Gori (psychanalyste, professeur d’université), Catherine Graindorge (chef de service de pédopsychiatrie Fondation Vallée, professeur Université Paris XI), Philippe Gutton (pédopsychiatre, professeur des universités), Alberto Konicheckis (maître de conférences en psychologie clinique, Université de Provence), Sophie Lemerle (pédiatre hospitalière, présidente de la société française de santé de l'adolescent), Evelyne Lenoble (pédopsychiatre, hôpital Sainte-Anne), Roger Misès (professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Université Paris XI), Martine Myquel (présidente de la société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et des disciplines associées), Gérard Neyrand (professeur de sociologie Université Toulouse III), Pierre Paresys (Union syndicale de la psychiatrie), Danielle Rapoport (psychologue clinicienne, association Bien-traitance formation), Elisabeth Roudinesco (historienne, directrice de recherches Université Paris VII), Pierre Staël (président du syndicat des psychiatres français), Pierre Suesser (pédiatre, syndicat national des médecins de PMI).

 

lire (et signer) cet appel http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/

 

 

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Réponse de l’INSERM le 23 février 2006 (extrait)

Eviter la confusion entre trouble des conduites et délinquance

 

L’expertise collective « Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent » publiée en septembre 2005 a envisagé la question du trouble des conduites dans sa dimension médicale. Le trouble des conduites est défini de manière convergente par les classifications médicales internationales ; il renvoie non pas à la simple turbulence de l’enfant ou à la désobéissance de l’adolescent, mais à des comportements répétés et durables d'opposition, d’agressivité et de transgression des règles, pouvant aboutir à des actes de violence graves. C’est essentiellement la sévérité des symptômes et leur persistance qui conduit à envisager un trouble des conduites.

 

L'apport majeur de cette expertise est de montrer que, alors qu'il s’exprime sous forme de manifestations qui ont des conséquences au plan social et dont la réalité ne saurait être niée, le trouble des conduites est aussi l'expression de difficultés psychiques importantes des enfants ou adolescents concernés et de leur famille. L'expertise collective montre également que des actions peuvent être initiées pour prévenir de façon efficace l’évolution défavorable du trouble. L'objectif n'étant pas de psychiatriser la turbulence de l’enfant ou la désobéissance de l’adolescent, qui relèvent du développement psychique normal, mais d'éviter que certaines conduites excessives n'évoluent à

l'adolescence vers un trouble relevant de la psychiatrie.

 

23 février 2006

 http://www.inserm.fr/fr/presse/CP_institutionnels/2006/att00003872/PointTroubledesconduites.pdf

 

 

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L’Inserm, les troubles des conduites et l’intelligentsia

un message de la « mutaliste » du 12 Mars 2006 -  (extrait)

 

 

En septembre 2005, l’INSERM publie un volumineux rapport d’expertise sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. Six mois après, la polémique fait toujours rage en France et une pétition (signée par 100.000 personnes selon ses initiateurs) s’insurge contre l’idée de mettre des « zéro de conduite pour les enfants de trois ans ». Revenons-en aux faits, c’est-à-dire à ce que dit le rapport de l’Inserm. Quand des scientifiques font l’effort de synthétiser plus de 1000 références internationales sur un sujet donné, cela vaut la peine de les écouter. Les points essentiels du rapport sont donc les suivants :

 

• Le trouble des conduites (désormais TDC) se manifeste par un comportement de violation des droits d’autrui (agression, fraudes, vols, destruction de bien, violation des règles), ayant un retentissement significatif sur la vie sociale, scolaire ou professionnelle, sans que le sujet soit diagnostiqué par ailleurs comme personnalité antisociale.

 

• Les garçons sont deux fois plus touchés que les filles. Sa prévalence s’établit entre 5 et 9% chez les garçons de 15 ans, âge où elle diminue chez les filles.

 

• Le TDC est souvent diagnostiqué avec deux autres troubles dont il partage l’étiologie : le trouble oppositionnel avec provocation (TOP) et le trouble de l’attention / hyperactivité (TDAH). La coexistence avec le trouble dépressif est également rapportée.

 

• La précocité du TDC en détermine deux sous-types : avant ou après 10 ans. Les TDC apparaissant avant 10 ans sont ceux qui ont l’évolution la moins favorable à l’adolescence et à l’âge adulte, avec la plus forte probabilité de développer un comportement délinquant. Parmi les TDC précoces, ceux qui se manifestent par des conduites agressives ont le plus médiocre diagnostic.

 

• Le TDC présente une héritabilité de 50 %, moindre que celle des TDAH (70%) et des TOP (55-60%).

 

• Certains traits de personnalité et de caractère forment une vulnérabilité supplémentaire. On notera : humeur négative, faible persévérance, faible adaptabilité, froideur émotionnelle, forte distractabilité, retrait social, moindre empathie, dépendance à la récompense, recherche de nouveauté, évitement de la douleur.

 

• Des conditions périnatales défavorables contribuent aussi la genèse des TDC. Parmi celles-ci : toxicomanie de la mère (tabac, cannabis, cocaïne, alcool) ou du père (alcool surtout), maternité précoce de la mère (moins de 18 ans), prématurité et faible poids à la naissance, traumatisme crânien à l’accouchement, état dépressif de la mère.

 

• Parmi les conditions défavorables de développement, on relève : instabilité conjugale, cadre trop permissif (ou trop strict dans une moindre mesure), frère et sœur présentant le trouble, exposition à la violence (jeux, télévision), faible niveau socio-éducatif, pauvreté.

 

• Les sujets souffrant de TDC présentent des troubles neurocognitifs. Les deux principaux sont un déficit des habiletés verbales et un déficit du système inhibitif exécutive de l’action. Ces troubles sont sous-tendus par des déficits neuro-anatomiques et neurochimiques.

 

• Les formes les plus graves de TDC peuvent être diagnostiquées dès l’âge de 18 mois. L’Inserm préconise en conséquence d’utiliser les examens systématiques de la petite enfance pour identifier le trouble, ainsi que le suivi de l’enfant dans les étapes de sa vie sociale et scolaire.

 

 

[Rapportant les propos de] Gérard Wajcman (« psychanalyste, écrivain, historien d’art » et sans doute aussi coupeur de neurones en quatre), paru dans Le Monde (3 mars 2996)

 

« Avec la médicalisation généralisée, le rapport de l'Inserm instille une criminalisation généralisée de la société. Tous coupables - futurs, potentiels ou qui s'ignorent : il importe donc que ce savoir expert ne soit pas su d'eux, c'est-à-dire de nous tous. Alors qu'il concerne et vise le public, dans sa conception même, ce rapport est secret. […]Ce qui était jadis un attribut divin, l'omnivoyance, le pouvoir de tout voir sans être vu, est aujourd'hui un attribut du pouvoir séculier, via la science et la technique. Nous sommes entrés dans un temps d'illimitation du regard du maître. C'est le temps de l'instauration d'un homme sans ombre, d'un sujet transparent corps et âme, dès sa naissance, voire avant si possible. L'intime, qui se définissait comme un territoire secret, clos aux regards, est aujourd'hui fouillé, sondé, expertisé sous toutes ses coutures. Le rapport de l'Inserm entre entièrement dans ce grand dispositif intrusif de mise sous contrôle de l'intime. C'est pourquoi je tiens qu'il importe de le faire voir, d'exposer ce regard aux regards. »

 

[Les « mutants », qui revendiquent d’être connus « pour souffrir de trouble des conduites depuis l’origine de la vie, et s’isolant en conséquence du reste des primates » commentent] :

 

De manière symptomatique, le propos du rapport de l’Inserm a été ignoré ou déformé par ses critiques. Aucun n’a avancé d’étude scientifique contredisant les descriptions du trouble, de ses symptômes et de son étiologie. Tous se sont appliqués à faire dire au rapport ce qu’il ne disait pas (que la base biologique est seule responsable des TDC, que le TDC aboutit toujours à la délinquance, qu’il fallait prescrire des médicaments en première intention, que les médecins ont plus d’importance que le milieu social ou familial, que les politiques sécuritaires de la droite sont des modèles du genre, que les psychanalystes devraient être poursuivis pour abus de confiance, que les sociologues devraient être enfermés pour abus de bien social, etc.) »

 

 http://www.lesmutants.net/ 

 

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Christian Bréchot (directeur de l’INSERM)

LE MONDE | 20.03.06 | 14h46  •  Mis à jour le 20.03.06 | 14h46

Propos recueillis par Cécile Prieur

Article paru dans l'édition du 21.03.06

 

 

Comment réagissez-vous à la pétition "Pas de zéro de conduite pour l'enfant de trois ans", qui s'oppose aux conclusions d'une expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur le trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent ?
Nous respectons profondément les personnes signataires de la pétition. Quand plus de 100 000 personnes signent une pétition, c'est qu'il y a une vraie question. Cependant, il y a un amalgame entre l'expertise collective et d'autres problèmes : il y a d'abord les craintes qui s'expriment d'un point de vue politique sur la base d'un rapport parlementaire réalisé bien avant l'expertise collective.
De ce point de vue, je suis choqué par les accusations de récupération politique, que je trouve déplacées ; il y a aussi les tensions très fortes qui existent, dans le domaine de la santé mentale, entre approche cognitivo-comportementale et approche psychanalytique, avec des désaccords de vue profonds sur le psychisme humain ; et il y a la peur que suscite la maladie mentale. Enfin, cette profession s'interroge sur son devenir. L'expertise collective n'a pas créé ces tensions, elle les a révélées.

Le concept même de "trouble des conduites" est discuté par les pédopsychiatres ainsi que le lien fait par l'expertise entre ce trouble, dépisté à l'enfance, et la délinquance à l'adolescence. Cette expertise était-elle légitime ?
Oui, elle l'est. Le trouble des conduites est un syndrome identifié par les classifications internationales de santé mentale, ce que nul ne conteste. Par ailleurs, cette expertise n'est pas faite à l'initiative de l'Inserm, elle a été réalisée à la demande d'un acteur social, en l'occurrence la Caisse nationale d'assurance-maladie des professions indépendantes.
Enfin, l'expertise collective est le fruit d'une analyse de la littérature internationale, faite par un groupe pluridisciplinaire d'experts indépendants et reconnus. Leurs conclusions ne prétendent pas représenter un état définitif de la science sur un sujet, mais offrent une contribution à un débat de société, avec une perspective scientifique et médicale.
Au-delà de cette expertise, le fait nouveau, c'est que l'Inserm a décidé, depuis trois ans, d'étendre le champ de ses expertises collectives au domaine de la santé mentale. Cela s'associe à une démarche très forte de notre organisme visant à renforcer la recherche en psychiatrie, en France, dans une période de développement majeur des neurosciences. C'est dans ce cadre que s'inscrit le rôle de l'Inserm qui est de contribuer à des débats de société en se basant sur l'analyse de faits scientifiques.

Beaucoup de signataires de la pétition déplorent de ne pas avoir été consultés lors de l'expertise collective. Ils soupçonnent l'Inserm de favoriser l'approche cognitivo-comportementale et font référence à une précédente expertise collective, déjà contestée, sur l'évaluation des psychothérapies.
Cette vision est inexacte. Je soutiens totalement les experts qui ont été choisis pour ces expertises, dont les conclusions ne reflètent pas une volonté de surreprésentation des thérapies cognitivo-comportementales sur les thérapies analytiques. En revanche, ce qui est exact, c'est que lorsque vous procédez à l'analyse de la littérature scientifique internationale, la littérature sur les thérapies cognitivo-comportementales est beaucoup plus abondante que celle portant sur les thérapies analytiques.

Donc, il y a un biais...
Je ne crois pas. Mais cela explique le sentiment qu'ont eu les tenants de l'orientation analytique d'avoir été moins pris en compte dans l'expertise collective. Il n'y avait pas, il n'y a pas, et il n'y aura pas de parti pris de l'Inserm. A titre personnel, je suis convaincu de la nécessité des deux approches. Sans doute doit-on aujourd'hui, sur ces sujets sensibles de société, réfléchir aux moyens de mieux prendre en compte les différents avis avant la désignation des experts.

A l'avenir, comment comptez-vous procéder ?
Sur les expertises collectives qui posent des questions de société majeures, nous mettrons en place une procédure particulière. Nous réunirons l'ensemble des partenaires concernés, de toutes orientations, et nous leur demanderons de nous faire des propositions sur des noms d'experts et sur les conditions de réalisation de l'expertise collective. Ensuite, celle-ci se déroulera selon les mêmes principes qu'aujourd'hui. Puis, nous réunirons à nouveau ces partenaires avant de rendre publiques les conclusions de ces travaux.
Cette procédure s'appliquera à l'expertise sur le trouble des conduites. Nous allons réunir les personnes qui souhaitent débattre - signataires de la pétition, associations de patients et professionnels qui nous soutiennent - pour discuter, ensemble, des conclusions de l'expertise et des actions de recherche à mener.

Faut-il avoir une approche spécifique en matière de santé mentale, ou ce domaine doit-il relever des mêmes protocoles que la médecine somatique ?
C'est en soi un débat. Il n'est pas interdit de tenter d'appliquer à la santé mentale des méthodes qui ont fait leur preuve dans d'autres domaines de recherche, en se basant sur l'analyse de la littérature scientifique. Doit-on conduire ces expertises, et, surtout, le suivi de ces expertises, de la même manière que les autres ? C'est aussi l'objet d'un débat. Mais à partir du moment où il y a souffrance des patients et des familles, il ne me paraît pas illégitime de demander à une profession de réfléchir à la question de son efficacité. Cela ne veut pas dire qu'il faut voir les choses de façon rigide et que les modalités de l'évaluation doivent être les mêmes pour tous. Mais le débat sur les méthodes d'évaluation doit avoir lieu.

 

 http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-752643,0.html

 

 

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Remue-méninges chez les psys

par Philippe Jeammet

LE MONDE | 22.03.06 | 14h05  •  Mis à jour le 22.03.06 | 14h06

Article paru dans l'édition du 23.03.06

LL’Inserm a publié à la demande de la Caisse nationale d'assurance-maladie des professions indépendantes (Canam) une expertise collective sur les troubles des conduites chez l'enfant et l'adolescent à laquelle, je tiens à le souligner, je n'ai participé ni de près ni de loin.

Il en ressort que des travaux épidémiologiques de qualité et convergents montrent la grande stabilité de ces troubles pendant l'enfance et l'adolescence et le risque de marginalisation grave à l'adolescence avec désocialisation, échec des apprentissages, violences à l'égard d'eux-mêmes et des autres. C'est bien de cela qu'il s'agit et rien que de cela : si on laisse s'installer certains comportements pendant l'enfance, on prend un risque important que l'enfant ne puisse se nourrir de ce dont il a besoin pour se développer (apprentissages, sociabilité, confiance et estime de soi...). Or ces comportements à risque sont repérables entre 3 et 5 ans. Repérer quelques signes, du fait de leur intensité et de leur durée et voir s'ils sont de façon significative prédictibles de difficultés ultérieures, c'est comme cela, et seulement comme cela, qu'une prévention autre qu'individuelle peut être envisagée. Bien sûr, derrière les signes repérés, il y a des individus avec leur famille et leur environnement social. C'est le temps de l'évaluation individuelle préconisée par l'expertise.

Le rapport rappelle qu'on ne connaît pas les causes de ces troubles du comportement, mais qu'il existe des facteurs de risque multiples : familiaux, sociaux, mais aussi génétiques. Il n'est pas question d'hérédité de type mendélien. Il n'y a pas de gène de la délinquance, de la violence, pas plus que de tout trouble du comportement. Par contre, oui, il existe une héritabilité, c'est-à-dire des facteurs appartenant à plusieurs gènes qui, combinés entre eux, vont influencer en particulier l'expression de nos émotions et leur intensité sur un mode plutôt qu'un autre. On ne choisit pas ses émotions. Elles surgissent du plus profond de notre cerveau biologique sans rien nous demander. Plus elles sont intenses plus elles risquent d'être contraignantes, c'est-à-dire difficiles à contrôler. C'est surtout le cas des émotions négatives, de rage, de peur, de colère... On devient alors dépendant de l'environnement qui les suscite.

 

Il s'agit bien d'un vrai problème de santé publique : parce que ces comportements augmentent de fréquence ces dernières années en raison de facteurs multiples et dont les conséquences cumulées font que l'absence croissante à la fois de limites et d'attention spécifique de la part des adultes équivaut à abandonner ces enfants à la violence de leurs réactions émotionnelles, dont ils deviennent prisonniers. Ce sera d'autant plus vrai que ces enfants seront émotionnellement plus vulnérables. Le comprendre n'est pas les stigmatiser mais, au contraire, les aider ainsi que leur famille à réaliser que ce n'est pas nécessairement de leur faute s'ils sont ainsi et ont du mal à changer. Mais ils peuvent décider avec l'aide des parents de chercher des moyens pour retrouver plus de choix, c'est-à-dire plus de liberté dans leur façon de réagir. Aux adultes de les aider à trouver ces moyens.

 

Dans un entretien (Le Monde du 23 septembre 2005), le professeur Pierre Delion apportait des critiques et des ouvertures complémentaires de nature à équilibrer ce qui pouvait apparaître, dans ce rapport, comme une annonce à la fois brutale et lapidaire pour des non-initiés. Mais, à partir de là, le débat s'est mal engagé et a déclenché des réflexes d'opposition passionnels idéologiques dont témoigne une pétition signée par de nombreux professionnels de l'enfance.

 

Le contenu de cette pétition est attristant quand on connaît la gravité du problème qui concerne ces enfants et leur famille. On y cherche de façon qu'il faut bien appeler populiste et démagogue à alarmer les parents : on veut transformer les écoles en casernes, supprimer toute opposition, toute manifestation jugée agressive, quitte à droguer les enfants avec des médicaments. J'exagère ? Malheureusement non. Je cite un extrait de la pétition : "Avec une telle approche déterministe (...) à partir de 6 ans, l'administration de médicaments psychostimulants et thymorégulateurs devrait permettre de venir à bout des plus récalcitrants." Et, pour faire bonne mesure, on appelle à la rescousse deux leviers habituels de la manipulation populiste, la dérision : "Faudra-t-il aller dénicher à la crèche les voleurs de cubes ou les babilleurs mythomanes ?" ; et l'amalgame politique où, sous prétexte de l'existence de plusieurs rapports "rendus publics au sujet de la prévention de la délinquance", il s'agirait ni plus ni moins pour l'Inserm de servir "de "caution scientifique" à la tentative d'instrumentalisation des pratiques de soins dans le champ pédopsychiatrique à des fins de sécurité et d'ordre public". Serait-on à court de vrais arguments pour ne recourir qu'à des procédés aussi intellectuellement malhonnêtes, qui n'ont plus rien à voir avec le contenu du rapport ?

 

C'est qu'il s'agit d'un conflit avant tout idéologique qui conforte le statu quo et le conservatisme profond de notre société face aux inévitables changements. Conflit qui opposerait d'un côté ceux que certains dénomment "les professionnels de la psyché" et de l'autre "la psychiatrie biologique", et auquel viendraient s'ajouter maintenant les enjeux de la prochaine élection présidentielle de 2007 !

Personne ne peut se targuer d'avoir la recette contre l'enfermement d'un enfant dans ses conduites destructrices. Mais il appartient aux adultes responsables de ne pas le laisser s'enfermer dans son comportement. Toute approche nouvelle efficace est une chance. Elle permet, bien utilisée, d'élargir notre palette d'outils et d'accroître pour l'intéressé ses chances de regagner en liberté. Ce débat en termes de combat n'a pas lieu d'être. Il est aussi stérile que désolant. Il se fait au détriment de l'intérêt de l'enfant, en principe point commun essentiel des protagonistes. Il contribue ainsi posé à dramatiser la situation et à inquiéter les parents au lieu de favoriser une indispensable alliance avec les professionnels. Quitte, pour la famille et l'enfant, à juger après essai ce qui semble le mieux convenir.

 

Ce rapport de l'Inserm pourrait être une chance. A nous professionnels de la saisir. Il peut permettre de développer un véritable travail de prévention et de prendre conscience de l'ampleur des besoins. Une chance, oui, de sortir ces enfants de la véritable situation d'abandon où on les laisse. Car on est devant un problème de massification des besoins auquel l'approche purement individuelle qui prévaut actuellement ne peut répondre et qui ne peut concerner qu'une minorité, souvent privilégiée du fait de l'attention dont elle bénéficie. On ne peut continuer ainsi si on veut toucher la masse des enfants qui en ont le plus besoin.

 

Au lieu, une fois de plus, de dépenser nos énergies en nous apostrophant pour défendre nos territoires et notre confort de pensée, acceptons de travailler ensemble en faisant confiance à tous les acteurs de terrain pour nous éviter de tomber dans des dérives toujours possibles ici ou là, mais qui nous menacent moins que le laisser-faire d'aujourd'hui. Celui-ci laisse bien seuls des parents et des enseignants bien placés pour savoir que ce n'est pas le conformisme social et l'obéissance qui menacent le plus nos écoles.

 

Philippe Jeammet est chef de service de psychiatrie de l'adolescent et du jeune adulte à l'Institut mutualiste Montsouris, à Paris.

 

 

 http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-753429,0.html