MODERNITE
DU RATIONALISME DES LUMIERES
Voyage au coeur des
impostures scientifiques
et intellectuelles
contemporaines
par Jean BRICMONT,
professeur de physique théorique, Université de Louvain la neuve (Belgique)
président de l'Association Française pour l'Information Scientifique
1996 : le
physicien new-yorkais Alan SOKAL publie dans une revue d'études culturelles
américaine, Social
Text, un article volontairement truffé d'absurdités scientifiques et
philosophiques intitulé : "transgresser
les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation
quantique". Alan SOKAL révélait la supercherie et commençait alors ce
qui a été appelé l' "affaire SOKAL".
1997 :
Alan SOKAL et Jean BRICMONT publient ensemble, à Paris puis aux Etats Unis, "Impostures Intellectuelles" dans lesquels ils dénoncent les usages abusifs de discours
d'apparence scientifique par certains maîtres à penser des sciences humaines
(Lacan, Derrida, Deleuze, Guattari, Kristeva, etc.)
et les dérives philosophiques qui accompagnent ou s'abritent derrière ces
pratiques.
2001 :
Une étonnante thèse de sociologie est soutenue, le 7 avril, devant l'Université
de Paris V (Unité René Descartes), connue en France et dans le monde comme
étant "La Sorbonne". Cette thèse, soutenue par une astrologue bien
connue, Elisabeth TEISSIER, s'interroge sur le "fait sociologique" que
représenterait "le vide pédagogique
de l'astrologie dans les institutions officielles en notre époque",
"l'absence de tout enseignement
officiel [reléguant] la science des astres dans les fausses sciences".
Ainsi, alors que "Colbert, vierge rationaliste, acquis aux
idées de Descartes, interdit l'enseignement de l'astrologie à la Sorbonne" (p.808) cette nouvelle doctoresse en
sociologie soutient l'idée que "les
théories sont forcément le fruit d'une société et du temps où elles sont
conçues, entités soumises à l'éphémère, au transitoire, donc au relatif" et
qu'il est donc temps de réhabiliter l'astrologie :"aujourd'hui, l'opposition aux Lumières, n'est plus du côté que
l'on croit".
Ces trois
affaires citées plus haut, dans lesquelles directement ou indirectement le
physicien Jean BRICMONT est intervenu à titre individuel ou avec l'AFIS, ont secoué une bonne partie du monde intellectuel et
académique. Mais au delà de ces turbulences les questions restent posées et il
est opportun de s'interroger sur les conclusions qu'il convient d'en tirer.
Chronique d'un nantais
au muséum ...
Le 7 novembre 2002,
c'est dans l'amphithéâtre du muséum d'histoire naturelle de NANTES que notre
ami Roger LEPEIX, au nom des structures locales de la Libre Pensée, de l'Union
Rationaliste et de l'AFIS, accueillait Jean BRICMONT
et la cinquantaine de participants venus pour l'écouter et débattre.
L'existence d'un muséum
d'histoire naturelle au centre de NANTES date de 1793 et "témoigne de la passion des voyageurs
naturalistes et de l'engouement pour les sciences aux 18ème et 19ème siècles"[1].
C'est dans cette continuité que s'inscrivait le thème de l'intervention de Jean
BRICMONT puisqu'il était question de la "modernité du rationalisme des lumières" .
Dès son introduction
Jean BRICMONT faisait état de sa
préoccupation devant le désengagement des jeunes pour l'enseignement
scientifique, mouvement qui se serait opéré progressivement au cours des trente
dernières années; dans le même temps les discours "postmodernes"
fleurissent; de même la "technoscience" est
mise au pilori : d'Hiroshima au clonage en passant par Tchernobyl, le SIDA, la
vache folle, les marées noires ou les OGM, la société est victime de
"l'obscurantisme scientiste" et du "terrorisme industriel".[2]
Ce genre de discours
est une déclinaison concrète de celui, plus alambiqué, que singeait Alan SOKAL
dans son pamphlet en écrivant que "la
«connaissance» scientifique, loin d'être objective, reflète et encode les
idéologies dominantes et les relations de pouvoir de la culture qui l'a
produite" et que, par conséquent le discours de la communauté
scientifique "ne peut pas prétendre
à un statut épistémologique privilégié par rapport aux narrations contre-hégémoniques émanant de communautés dissidentes ou
marginalisées."[3]
Jean BRICMONT
entraînait alors l'assemblée dans un périple en terre postmoderne (LACAN,
LATOUR, VIRILIO, ...) pour la ramener en terre sceptique avec HUME puis scientifique
avec Bertrand RUSSELL.
Par delà le côté
passionnant qui ne peut être résumé dans le faible espace qui m'est attribué je
conclurai en reprenant les termes de l'épilogue que Jean BRICMONT et Alan SOKAL
avaient donné à leur ouvrage de 1997 : "A l'heure où la superstition, l'obscurantisme et le fanatisme
nationaliste et religieux se portent à merveille, il est à tout le moins irresponsable
de traiter avec légèreté ce qui, historiquement, a été le seul rempart contre
ces folies, à savoir la vision rationnelle du monde. (...) Finalement,
souvenons-nous qu'il y a bien longtemps, il était un pays où des penseurs et
des philosophes étaient inspirés par les sciences, pensaient et écrivaient
clairement, cherchaient à comprendre le monde naturel et social, s'efforçaient
de répandre ces connaissances parmi leurs concitoyens, et mettaient en question
les iniquités de l'ordre social. Cette époque était celle des Lumières, et ce
pays était la France."[4]
Le titre était
décidément bien choisi : vive la modernité du rationalisme des lumières contre
l'obscurité du relativisme postmoderne !
Michel NAUD,
coordinateur du comité départemental de loire-atlantique
de l'AFIS
afis, Science et pseudo-sciences, 14 rue de l'école polytechnique, 75005
PARIS.
[1] 200 ans d'histoire du muséum sur le site http://www.museum-nantes.fr
[2] j'ai oublié "mondialisé" et "ultralibéral" J heureusement les "citoyens" veillent J
[3] SOKAL (Alan), Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique, Social Text 46/47, 1996
[4] SOKAL (Alan) et BRICMONT (Jean), Impostures intellectuelles, Odile Jacob, 1997