les dossiers de l’ afis44
DOSSIER : LITTERATURE ET SCEPTICISME
document : le réveil s’était de nouveau arrêté . . . ( Richard
FEYNMAN )
Le réveil
s'était de nouveau arrêté et marquait 9h22 . . .
. . . l'heure inscrite sur le certificat de
décès …
Ce très court texte est extrait du livre de retranscription
d'entretiens entre Richard P. FEYNMANN et Ralph LEIGHTON publié en 1985 et reédité en 2000 aux éditions ODILE JACOB (commercialisé 160
Fr.), dans la traduction de Françoise BALIBAR et Claude GUTHMANN sous le titre
"Vous voulez rire, Monsieur FEYNMANN !".
Le chapitre dont est extrait ce texte s'intitule "Los
Alamos au ras des paquerettes"
(p122-141), adapté d'une conférence prononcée en 1975 à l'université de
Californie (Santa Barbara) lors des Annual Santa Barbara Lectures on
Science and Society, est consacré à quelques
souvenirs de la période durant laquelle FEYNMANN, jeune docteur en physique,
participait à LOS ALAMOS au projet MANHATTAN (la "course contre la
montre" de la première bombe atomique). L'extrait choisi n'a que peu de
rapports avec le projet MANHATTAN lui-même mais est relatif à un autre épisode
de la vie de FEYNMANN qui s'est déroulé dans la même tranche de temps, à savoir
le décès de sa compagne Arlène, atteinte de la
tuberculose et hospitalisée, pendant cette période à ALBUQUERQUE (Nouveau
Mexique).
Le présentateur, amateur de la façon très pédagogique avec laquelle FEYNMANN
abordait ses cours de physique (tout comme il appréciait la méthode des cours
de physique de Lev LANDAU, également prix Nobel, mais soviétique), rappelle à
ceux qui l'auraient oublié que Richard FEYNMANN, est né en 1918 à Brooklyn (New
York), a passé son doctoralt à Princeton en 1942, a
enseigné à Cornell et au Caltech
(California Institute of Technology, Pasadena, California),
a été récompensé par le prix NOBEL de physique en 1965 pour ses travaux sur
l'électrodynamique quantique, et est décédé à Miami en 1991.
Nous nous permettrons de signaler que les éditions
ODILE JACOB viennent d'éditer un livre intitulé "Leçons de Physique"
reprenant les chapitres les plus faciles d'accès des cours de physique de
FEYNMANN (lui même paru en trois tomes chez Interéditions
en 1979).
U n sote internet
francophone est dédié à Richard FEYNMAN :
http://www.geocities.com/berauda/
Ma
femme Arlene, qui avait la tuberculose, était alors
dans un état extrêmement critique. Comme le pire pouvait arriver d'un instant à
l'autre, je m'étais mis d'accord avec l'un de mes collègues pour que, en cas
d'urgence, je puisse lui emprunter sa voiture et me rendre à Albuquerque. (…) .
Et puis un jour, j'ai été appelé de toute urgence. (…)
Arlene est morte quelques heures après mon
arrivée. Une infirmière est venue remplir le certificat de décès et je suis
resté encore quelque temps avec ma femme. Sur la table de nuit était posé le
réveil que je lui avais offert sept ans auparavant, au début de sa maladie.
C'était un réveil à affichage numérique, chose rare à l'époque. L'affichage se
faisait de façon mécanique et le mécanisme était très fragile si bien que le
réveil s'arrêtait souvent sans raison. J'avais réussi à le maintenir en état de
marche pendnat sept ans, mais là il était de nouveau
arrêté et marquait 9 h 22 …, l'heure inscrite sur le certificat de décès.
Je
me suis alors souvenu d'une chose qui m'était arrivée au MIT (Massachusetts Institute of Technology, Boston,
Massachusetts) : j'avais eu tout d'un coup eu le sentiment très vif que ma
grand-mère venait de mourir; quelques minutes plus tard, le téléphone avait
sonné; ce n'était pas pour moi; c'était pour Pete Bernays, et ma grand-mère n'était donc pas morte. Je m'étais
alors juré de toujours me souvenir de cet incident pour pouvoir le ressortir à
tous ceux qui me raconteraient des histoires de pressentiment. Après tout, ma
grand-mère était très vieille et il aurait très bien pu se faire que par
hasard elle meure juste au moment où je pensais à sa mort, ce que d'aucuns
n'auraient pas manqué d'interpréter comme la manifestation d'une puissance
surnaturelle.
Ainsi
donc, le réveil qui était resté au chevet d'Arlene
pendant toute sa maladie s'était arrêté au moment même où elle avait cessé de
respirer. Ce jour-là j'ai compris comment, pour peu que l'on soit déjà à moitié
convaincu de l'existence de phénomènes surnaturels et que l'on n'ait pas été
entraîné à faire fonctionner son esprit critique, on peut arriver, surtout dans
de pareils moments, à ne pas rechercher d'explication rationnelle. J'ai compris
comment on peut être tenté de ne pas chercher à savoir exactement ce qui s'est
passé; puisque personne n'avait touché au réveil, aucun phénomène naturel ne
pouvait expliquer ce qui s'était passé. J'ai compris comment un tel événement
peut être invoqué comme preuve de l'existence d'une puissance surnaturelle.
J'en
étais là de mes réflexions quand j'ai remarqué que la pièce était sombre. Cela
m'a fait alors souvenir que l'infirmière avait pris le réveil et l'avait tourné
vers la lumière pour mieux lire l'heure; ce simple geste pouvait très bien
avoir provoqué l'arrêt du mécanisme.
afis, Science et pseudo-sciences, 14 rue de l'école polytechnique, 75005 PARIS.