les dossiers de l’ afis44
DOSSIER : MATHEMATIQUES
document : une invitation au voyage au pays des nombres
invitation au voyage au pays des nombres
« La conception que se
font les mathématiciens, à une époque donnée, de la notion de nombre est toujours
significative du niveau théorique de leurs mathématiques et elle détermine les
limites de leur pratique arithmético-algébrique. »
Une histoire des
mathématiques,
Amy DAHAN-DALMEDICO et
Jeanne PEIFFER
coll. Points Sciences,
1986, page 101
« La Mathématique est
la reine des sciences, et l’Arithmétique est la reine des mathématiques. »
Karl-Friedrich GAUSS
L’objectif de cet
exposé introductif est nécessairement limité.
Tout d’abord à travers
un voyage accéléré dans l’histoire des mathématiques en se focalisant sur ce
seul champ du « nombre » permettra de mesurer quel chemin il a fallu
parcourir ne serait ce que pour arriver à la perception du nombre au simple
niveau qui est celui du patrimoine désormais commun de tout un chacun dans ce
pays.
Nous poursuivrons un
petit peu au delà pour en arriver à un ensemble à peu près cohérent, ne
s’éloignant pas encore du niveau de perception contemporain du « bon
sens ». La question du « bon sens » en sciences mériterait
d’être traitée dans le cadre d’un de nos débats mais peut-être serons nous
amenés à y réfléchir lorsque nous aborderons, dans un prochain débat, les
concepts de temps, d’espace et de matière.
Ainsi, peut-être le
débat s’orientera sur la fascination qu’ont, tout au long de l’histoire,
engendrés les nombres et leurs « mystères ». Les scientifiques
eux-mêmes, comme nous le verrons en ce qui concerne les mathématiciens mais
également ainsi que les physiciens modernes l’apprécient, contribuent à cet
envoûtement dans le choix d’un vocabulaire parlant quelquefois aux tréfonds
fantasmagoriques des êtres humains, ce choix de vocabulaire traduisant
quelquefois leurs désarrois théoriques du moment mais, le plus souvent, et ce particulièrement
au long de ce siècle qui se termine, un esprit de dérision à vocation tout
autant poétique que malicieuse
lire : la numération
lire : les entiers naturels
lire : les entiers relatifs
lire : les nombres rationnels
lire : les nombres réels
lire : les nombres complexes
lire : quelques nombres
remarquables
lire : l’infini
lire : bibliographie
( « compter » des unités, transmettre de
l’information « chiffrée » , ... )
Savoir si une certaine capacité de compter est
réservée exclusivement à l’espèce humaine - sans parler d’en arriver au concept
de nombre - ou est partagée par d’autres espèces animales fait régulièrement
l’objet d’investigations scientifiques posant de grandes difficultés
méthodologiques... Bien évidemment ceci ouvre la porte au charlatanisme dont un
exemple connu au début de ce siècle a été l’escroquerie du « cheval
HANS » sachant compter. Une première expertise en 1904 n’avait pas révélé
la supercherie; il fallut plusieurs années pour s’apercevoir que le cheval ne
faisait que réagir à des signes discrets de son entraîneur.
Les plus vieux systèmes connus sont ceux
en vigueur dans les civilisations babylonienne ( un système de position à deux symboles, établissant un mélange de base
10 et base 60, cette dernière ayant survécu jusqu’à ce jour pour le décompte
des minutes et des secondes - nous possédons des tablettes datant de plus de
3500 ans ) et égyptienne ( un système en base dix non positionnel, des
symboles différents figurant 1, 10, 100, 1000, etc. - nous en avons des traces
sur les monuments en système hiéroglyphique et sur papyrus en système
hiératique, mieux adapté à l’écriture. Le papyrus de Rhind, le plus connu,
écrit par le scribe Ahmès, est daté vers 1650 avant notre ère ). Ces
systèmes ignorent le zéro.
La civilisation grecque,
vers le VIe siècle avant notre ère voit l’éclosion d’une science
positive qui rend les mathématiques abstraites et déductives. Les grecs sont
avant tout des géomètres ( THALES, PYTHAGORE, EUCLIDE, ...etc. ). Ce n’est que vers me cinquième siècle avant
notre ère que les grecs renouent avec la tradition plus algébrique des
babyloniens. Une inscription datant de 450 avant notre ère témoigne de l’usage
du système attique à neuf symboles alors que le système ionique utilisant 27
signes dont les 24 lettres de l’alphabet se généralise progressivement à partir
du troisième siècle avant notre ère.
C’est ensuite la civilisation
arabe qui prendra le relais et prédominera du VIIe au XIIIe
siècle. Ce sont eux qui constituent l’algèbre en discipline autonome, et nous
leur devons également notre numération décimale de position avec usage du zéro,
ceci en ayant assimilé les apports indiens. C’est l’intervention des Juifs en
Europe, au cours du XIe et XIIe siècle, qui permet
d’introduire les savoirs arabes et le ferment de redémarrage de la théorie
mathématique en se dégageant progressivement de la dictature intellectuelle de
l’Eglise catholique. Ainsi, par exemple ce ne sera qu’au XIVe siècle
qu’en occident chrétien on utilisera le zéro.
La naissance du concept moderne de nombre peut être
identifiée avec l’apparition du même mot adad au Xe siècle pour
désigner les nombres rationnels ( al-adad al muntiqa
) et les nombres irrationnels ( al-adad al-summa
).
( 0, 1, 2, 3, ... etc., les tables d’addition et
multiplication, ...etc.)
Chacun sait que cet ensemble ordonné a un début ( le zéro ) et n’a pas de fin ( s’il y en avait une, il suffirait de
rajouter 1 au nombre qui aurait eu cette prétention ). On reviendra
ultérieurement sur cette question d’ « infini ». Les entiers
naturels sont l’espace d’un champ d’investigation théorique important dans
lequel, bien souvent, il faut des moyens beaucoup plus puissants et puisant
dans les mathématiques les plus récentes pour oser affirmer ( démontrer ) des affirmations qui
semblent néanmoins intuitives ou causant a priori peu de soucis à la seule
écoute de l’énoncé. C’est le champ de l’arithmétique :
« La Mathématique est la reine des sciences, et l’Arithmétique
est la reine des mathématiques » Karl Friedrich GAUSS
C’est l’opération de division qui est l’outil de
base des classifications des entiers naturels. Ainsi, les entiers naturels
divisibles par 2 sont dits pairs, et ceux qui ne
le sont pas sont impairs. De même, ceux qui ne
sont divisibles que par 1 et par eux-mêmes sont dits premiers.
De même, par exemple, les travaux sur les congruences ( deux nombres sont congruents modulo un troisième si leur différence est
divisible par ce troisième ) ont ouvert des champs très productifs.
Tous les mathématiciens se sont attaqués à ces
nombres; par contre, si l’histoire a retenu une « star », il s’agit
de Pierre de
FERMAT ( 1601 - 1665 ). La plus médiatisée des affirmations de FERMAT
est celle qu’on retrouve écrite dans la marge d’un de ses ouvrages : « pour tous les entiers n plus grands que 2,
on ne peut trouver trois entiers x, y, z, tels que xn + yn
= zn ».
FERMAT n’en fournit pas la démonstration, se
contentant de noter « j’ai découvert
une démonstration assez remarquable de cette proposition mais elle ne tiendrait
pas dans une seule page ». La démonstration n’étant pas communiquée,
il s’agit donc d’une conjecture et non d’un théorème. La quasi totalité de
mathématiciens est convaincue qu’elle est vraie mais cela ne suffit pas. EULER a commencé
avec les premières valeurs de n; en 1987, la démonstration était établie pour
« presque toutes » les valeur de n mais, en mathématiques,
« presque toutes » ce n’est pas « toutes ». Il aura fallu
attendre 1995 pour que l’on parle enfin de Théorème
de FERMAT, avec une démonstration d’Andrew WILES ...
mais il aura fallu cent pages. Comment
FERMAT avait-il fait ? sa « démonstration » n’était probablement pas rigoureuse
mais on ne le saura jamais. Voilà les seuls « mystères »
qu’apprécient les mathématiciens.
Pour occuper vos longues soirées d’hiver citons
également la conjecture de GOLDBACH, datant du XIXe siècle : « tout nombre pair est la somme de deux nombres
premiers ». Des explorations par ordinateur n’ont pas réussi à la
prendre en défaut ( ce qui aurait suffi à
démontrer sa fausseté ) mais cela ne
veut pas dire pour autant qu’ « un peu plus loin » on n’y
arriverait pas. Cette conjecture n’a jamais été démontrée ni
« vraie », ni « fausse », ni « indécidable ».
Bonne Chance, envoyez vos solutions à l’UR, on les fera suivre à l’Académie des
Sciences ...
( ..., -3, -2, -1, 0, 1, 2, 3, ... )
Les premiers à utiliser des quantités
négatives furent les mathématiciens indiens, et ce dès les VIe et VIIe
siècles de notre ère pour des raisons de comptabilité. Comme pour le zéro, il
faudra attendre la fin du XVe siècle pour voire apparaître des
objets mathématiques négatifs en Occident chrétien, et encore, en les appelants
« numeri absurdi ». Quant à
la représentation induite pour une courbe, il faudra attendre le XVIIe
pour qu’un mathématicien anglais, John WALLIS, ose attribuer des coordonnées négatives
à un point d’une courbe. Les réticences dureront longtemps. Ainsi, par exemple,
à cheval sur les XVIIIe et XIXe siècles, Lazare CARNOT
continuera de protester contre la « métaphysique du calcul
infinitésimal » au nom du fait qu’ « ôter quelque chose de
rien » est une « opération impossible ».
L’utilisation de nombres négatifs ( ne serait ce que pour les températures dans
l’échelle usuelle dite CELSIUS ) est pour nous désormais usuelle. Néanmoins
il est important de comprendre que toute mesure repose sur des conventions; ces
conventions sont des produits historiques, correspondant bien ( sinon on ne les aurait pas retenues ) à
la nature des questions dont il s’agissait de rendre compte, compte tenu du
degré de compréhension du problème du moment.
Ainsi qu’on l’abordera peut-être à l’occasion de la
soirée consacrée au thème « espace, temps, matière » ou en marge de
la discussion relative à l’ « infini », le « bon
sens » est un frein à la compréhension ( tout comme le dogmatisme ); une illustration facile en est celle du soleil tournant autour
de la terre.
En marge de ces questions, on sait calculer le
« zéro absolu » en matière de température ( donnant l’échelle Kelvin, qui n’est que l’échelle CELSIUS translatée de
la distance au zéro absolu pour ne plus avoir que des températures positives
). Raisonner comme certains sur « on ne sait pas », sous-entendu
« un jour on saura », passer en dessous du zéro absolu est un non
sens. Faire de la métaphysique sur l’existence d’un « zéro absolu »
est tout aussi un non sens.
Il en est de même sur des maxima tels que ceux
relatifs à la vitesse de propagation de la vitesse dans le vide ( le « dans le vide » est souvent
oublié ouvrant la porte aux interprétations mystiques de vitesses
postluminiques dans certaines conditions de physique des particules ). Les
traitements dits de « normalisation », consistant à « repousser
à l’infini » des minima ou maxima en valeur absolue résultant de
conventions historiquement datées pour les remettre en cohérence avec la
compréhension des phénomènes physiques que l’on a su acquérir depuis,
permettent - et sont nécessaires dans certains traitements - de repousser ces
problèmes.
Il en est de même, par extension avec des
interrogations existentielles sur le « pourquoi » de certaines
constantes; dans certains cas, la constante en question - sur le plan de sa
valeur - ne résulte de façon indirecte de l’ensemble des conventions d’unités
de mesures prises par ailleurs.
( les fractions, « rationnel » provient
d’un sens de « raison » signifiant « rapport » )
Les égyptiens et les babyloniens connaissent les
fractions unitaires, c’est à dire les fractions dont le numérateur est 1 ( par exemple, 1/2, 1/3, 1/60, ...etc. ),
ou quelques fractions particulières ( les
égyptiens ont un hiéroglyphe pour la fraction 2/3 ).
Il faut attendre les grecs pour établir réellement
le concept de rapport mais on a buté pendant plusieurs siècles sur la
difficulté de trouver des notations suffisamment peu ambiguës pour pouvoir
quitter les fractions unitaires.
Il faut attendre DIOPHANTE, au début de notre ère,
pour que le numérateur soit écrit légèrement au dessus du dénominateur et
permette ainsi par cette notation une extension de la pratique des fractions
sans risque d’erreur.
Du point de vue de la structure algébrique, les
extensions successives de l’ensemble des entiers naturels que nous venons de
voir ont constitué, dans un premier temps, à doter chaque nombre de son opposé
pour l’addition ( construisant ainsi
l’ensemble des entiers relatifs ), puis de doter, dans un second temps,
chaque nombre non nul de son inverse pour la multiplication ( construisant ainsi l’ensemble des nombres
rationnels ).
Cela faisait longtemps que l’on savait que, par
exemple, la longueur de la diagonale d’un carré de 1m de côté ne pouvait pas
s’exprimer sous forme de fraction, il s’agit de la racine de 2. L’ensemble des
nombres rationnels a donc des « trous » qu’il faut combler. Les
nombres rajoutés aux nombres rationnels pour former l’ensemble des nombres
réels sont nommés, par opposition, nombres irrationnels.
Pour sombrer davantage dans l’humour mystique des
mathématiciens, une sous famille des nombres irrationnels est constituée des
nombres transcendants. En effet, une façon de manipuler couramment les nombres
consiste à réaliser des équations dites algébriques, un sport passionnant
consistant à en chercher les solutions. Or certains nombres s’obstinent à
n’être solution d’aucune équation algébrique ( c’est plus facile à affirmer qu’à démontrer ), par exemple un
nombre que nous évoquerons plus tard, tel le nombre Pi. Ce sont ces nombres qui
seront baptisés ( au point où on en est
... ) de transcendants.
Depuis qu’EUCLIDE avait tenté de donner un statut aux
grandeurs « incommensurables », il a fallu attendre le XIXe
siècle et la nécessité d’établir l’analyse sur des bases rigoureuses pour
s’attaquer à la construction mathématique des nombres réels. Cette construction
est attachée aux noms de Karl WEIERSTRASS, Georg CANTOR, Eduard HEINE et Richard DEDEKIND, pour des publications
s’étalant de 1858 à 1872; elle utilise la notion usuelle de distance. DEDEKIND démontre
également que l’ensemble des nombres réels est inextensible, c’est à dire qu’en
répétant l’opération qui a permit de construire l’ensemble des nombres réels à
partir des nombres rationnels on ne fait que retrouver l’ensemble des nombres
réels. L’ensemble des nombres réels est complet.
On notera néanmoins que le concept mathématique de
distance est plus large et permet d’imaginer d’autres distances que celle qui
correspond au sens commun. Avec l’aide d’une autre distance, appelée distance
p-adique, Kurt
HENSEL, mathématicien allemand, a pu réaliser, au début du XXe
siècle, une autre complétion (
« remplir les trous » ) de l’ensemble des rationnels et donner
naissance aux nombres p-adiques, utiles pour d’autres applications que l’usage
courant, et ont d’ailleurs du être mobilisés par Andrew WILES dans sa démonstration
du théorème de FERMAT. Il a par ailleurs été démontré que les deux seules
façons de compléter l’ensemble des rationnels sont celle conduisant aux nombres
réels et celle conduisant aux nombres p-adiques.
Certaines solutions d’équations algébriques
s’obstinent à n’être pas réelles.
Ainsi, l’histoire des nombres complexes est celle
de ce qu’on a appelé le « théorème
fondamental de l’algèbre », exprimant simplement que toute équation de
degré n admet n racines ( solutions
). Ceci a d’abord fait l’objet d’une affirmation - sans démonstration - de Albert de GIRARD
( 1629 ) sous réserve de compter les « racines impossibles ».
DESCARTES écrit en
1637 :
« Au
reste, tant les vraies racines que les fausses ne sont pas toujours réelles,
mais quelquefois seulement imaginaires, c’est à dire qu’on peut toujours en
imaginer autant que j’ai dit en chaque équation, mais qu’il n’y a quelquefois
aucune quantité qui corresponde à celle qu’on imagine ».
Il faudra attendre GAUSS ( 1799 puis 1815 ) pour que
toutes les difficultés relatives à la démonstration de ce théorème soit levées,
après avoir mobilisé D’ALEMBERT ( 1746 ), EULER ( 1749 ), LAGRANGE ( 1771 ). Ceci dit, indépendamment de
l’aspect conceptuel, la racine carrée de -1 est instrumentalisée dès la seconde
moitié du XVIIe par les géomètres, comme astuce de calcul.
L’utilisation des nombres complexes en calcul exponentiel revient à EULER à partir de
1740.
Concrètement, cela a été réglé en considérant un
nombre baptisé « imaginaire », symbolisé par la lettre
« i », racine carrée du nombre « -1 ». Une extension du
corps des nombres réels était de ce fait construite « à deux
dimensions », la dimension « réelle » et la dimension
« imaginaire »; cela donne l’ensemble des nombres complexes, qui se
représente géométriquement à deux dimensions.
Dans le même état d’esprit, le mathématicien
irlandais William
R. HAMILTON ( 1805 - 1866 ) rechercha à étendre la voie qui avait
conduit aux nombres complexes. Il s’attaqua tout d’abord à la troisième
dimension et n’y arriva pas; par contre, en 1843, il obtenait une nouvelle
structure algébrique à quatre dimensions, les nombres hypercomplexes ou
quaternions. D’aucune utilité pour la vie courante ( d’aujourd’hui tout au moins ) cette algèbre des quaternions est
analogue à celle utilisée en physique quantique pour décrire une particule de
spin 1/2.
le nombre «PI » ( p = 3, 14159 26535 ... )
PI est le rapport entre la longueur de la
circonférence d’un cercle et son diamètre, un cercle étant l’ensemble des
points à égale distance d’un point appelé centre. La dénomination PI vient,
pour les uns de la première lettre du mot grec PERIMETROS ( perimetroV = périmètre ), et pour les autres de PERIPHERIA
( perijeria = circonférence ). PI est un nombre transcendant.
La question de la construction des cercles s’est
posée à travers toute l’histoire des géomètres. La première valeur approchée
historique dont on retrouve la trace est tout simplement p = 3,
valeur dont on retrouve la trace dans la plupart des peuples ayant des
connaissances mathématiques sommaires ( Mésopotamie,
Chine, Palestine ). Elle se retrouve par exemple dans la Bible. A Babylone,
on trouve généralement p = 3
mais, on trouve une fois p = 3,125
( 3 + 1/8 ). Chez les Egyptiens on a utilisé la fraction 4/3 élevée à la
puissance 4, ce qui donnait 3,1605. ARCHIMEDE connaissait la valeur approchée 22 / 7,
soit p =
3,1429.
Avec beaucoup d’astuce et beaucoup de chance, en
recherchant un encadrement de la circonférence d’un cercle par des polygones, Adrien METIUS
retint la valeur approchée, qu’on appelle « réduite », tout comme 22
/ 7, p = 355 / 113, ce qui donne une valeur
de 3,1415929. D’un point de vue opératoire il y en a déjà beaucoup plus que
nécessaire pour tous les problèmes usuels.
Avec énormément de patience, par la même méthode
d’encadrement du cercle par des polygones, un savant chinois a calculé, au Ve
siècle de notre ère et en construisant des polygones de 3 072 côtés, un
encadrement donnant : 3,1415926 < p < 3,1415927
Ces recherches ont été souvent associées à celle de
la « quadrature du cercle », consistant à construire à la règle et au
compas un carré de même superficie qu’un cercle. Il a fallu attendre 1882 et le
mathématicien LINDEMANN
pour qu’il soit démontré que cela n’était pas possible et mettre un
terme à des siècles d’efforts vains.
Cela n’empêche d’ailleurs pas l’Académie des Sciences de recevoir encore
épisodiquement des contributions de « mathématiciens amateurs » qui
pensent avoir trouvé La solution. Inutile de dire qu’elles ne sont plus lues.
La valeur approchée de p inscrite
dans la rotonde d’une salle du Palais de la Découverte a été calculée au XVIIe
siècle par L. Von
CEULEN; il a été établi, grâce à une machine fonctionnant en système
binaire en 1949, que cette valeur est fausse à compter de la 528ième décimale.
Je ne sais si on a corrigé la rotonde depuis.
Pour terminer sur l’histoire de p, il faut
citer le moyen mnémotechnique le plus connu pour en mémoriser les premières
décimales qui consiste à compter le nombre de lettres de chacun des mots de ces
quelques vers :
Que j’ aime à faire
apprendre un nombre utile aux sages ! ( 3 1 4 1 5 9 2 6 5 3 5
Immortel Archimède,
artiste, ingénieur, ( 8 9 7 9
Qui de ton jugement peut
briser la valeur ? ( 3 2 3 8 4 6 2 6
Pour moi ton
problème eut de sérieux avantages. ( 4 3 3 8 3 2 7 9
le nombre
« e » ( e = 2, 71828 18284 ... )
E est la première lettre du mot
« exponentielle », la fonction exponentielle étant la seule fonction
ayant la propriété d’être sa propre dérivée. E est un nombre transcendant.
La fonction exponentielle est la fonction inverse
du logarithme qui a été inventé par John NEPER ( 1550 - 1617 ) en vue de faciliter des
opérations de calcul astronomique.
C’est EULER qui a brillamment réussi à fusionner les
nombres complexes avec les fonctions transcendantes ( trigonométrie, logarithme et exponentielles ) et a obtenu la
célèbre formule - illustrant l’unité conceptuelle des mathématiques –
eip = -1
- ce qui veut dire géométriquement que quand on
s’est retourné on a fait demi-tour ... - J
formule dont Tobias DANTZIG dira qu’elle contient
l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie et l’analyse.
l’infini ( ¥ et À )
Nous parlons de l’infini, objet mathématique, et
non de celui de l’astrophysique, et encore moins de celui de la métaphysique
...
Le calcul infinitésimal a son origine dans la
conception intuitive qu’avaient les Grecs des notions de continu, d’infini mathématique et de limite ainsi que dans leurs difficultés à formuler explicitement
ces notions. Toutes les trois ne seront correctement définies qu’au XIXe
siècle lorsque les mathématiciens, désireux de systématiser les progrès
accomplis reviendront aux fondements pour asseoir l’édifice mathématique sur
des bases solides.
A l’époque de ZENON ( deuxième
moitié du Ve siècle avant notre ère ), deux conceptions
s’opposaient : la conception continuiste pensait le nombre, l’espace, le temps
et la matière comme divisibles à l’infini; la conception atomiste préconisait l’existence
d’éléments premiers indivisibles.
Les arguments de ZENON sont des « apories »
( impasses ), ils tentent d’établir
que dans les deux hypothèses on aboutit à une impasse. On en connaît, grâce à ARISTOTE, le
paradoxe d’Achille et la tortue et le paradoxe de la flèche..
Les mathématiques ont longtemps contourné les
questions relatives à l’usage formel des notions d’infini en raison de la
sensibilité métaphysique à la question.
Nous avons abordé, dès les nombres naturels, que
l’ensemble était infini.
A l’intérieur de ces nombres naturels nous avons
évoqué des classifications, par exemple, entre nombres pairs et impairs. Ces
sous-ensembles sont, eux aussi, infinis.
A l’inverse nous avons fait des extensions, ne
serait ce que vers les rationnels ou vers les nombres réels.
Le bon sens dit à la fois « l’infini c’est
l’infini; donc cela n’a pas de sens d’envisager un infini plus grand qu’un
autre », mais aussi « il y a deux fois moins de nombres pairs que de
nombre entiers » ; ceci est ce qu’on appelle le « paradoxe de GALILEE »;
dans le même état d’esprit, il y aurait plus de nombres rationnels que de
nombres entiers ( entre 1 et 2 il y a même
une infinité de nombre rationnels, de même qu’entre deux nombres rationnels
quelconques ).
Il faut donc développer des concepts adaptés. C’est
Georg CANTOR
qui les a conçus, a résolu de ce fait le paradoxe de Galilée et a ouvert de
nouveaux champs extrêmement productifs. Le premier concept est celui d’ensemble
dénombrable
Prenons l’exemple d’un dénombrement simple : soit
deux tas de billes. Comment dire si j’en ai autant dans l’un que dans l’autre ?
Evidemment on peut compter combien il y a de billes dans l’un puis dans
l’autre; la réponse est au delà de la question posée, avec néanmoins le risque
de se tromper. Le plus simple revient à se saisir à chaque fois d’une bille
d’un tas et d’une bille de l’autre . Si, à la fin, en ayant respecté ce mode opératoire,
il n’y a plus de billes ni dans un tas ni dans l’autre, c’est qu’il y en avait
bien autant dans chaque tas.
Autrement dit, on peut dire que deux ensembles sont
équivalents si à chaque élément d’un ensemble on peut associer un élément de
l’autre ensemble, et réciproquement. En considérant l’ensemble des nombres
entiers comme ensemble de référence, on fait bien du dénombrement ( sa vocation de base ).
Considérons l’ensemble des nombres pairs. Pour le
constituer, c’est simple : à chaque nombre entier, on associe son double; à
l’inverse, à chaque nombre pair, on peut associer sa moitié. Autrement dit, il
y a autant de nombre pairs ( ou de
nombres impairs ) que d’entiers naturels. Ce qui apparaissait comme un
paradoxe à GALILEE
n’est qu’une propriété naturelle de l’infini. Dans le même état d’esprit, on
peut très facilement associer un nombre entier à tout nombre rationnel , et
réciproquement, ... et il y a toujours « autant » de nombre
rationnels que de nombre entiers.
Mais nous n’avons pas encore tranché en faveur de
« l’infini c’est l’infini » car il est tout aussi facile de démontrer
que l’ensemble des nombres réels n’est pas dénombrable... Il est donc plus
grand !... C’est l’illustration du concept de puissance du continu.
A la question : « y a-t-il d’autres infinis
que le dénombrable et le continu ? », CANTOR répondra « oui ». Il
démontrera que l’ensemble des parties d’un ensemble E a une puissance
supérieure à E : un ensemble a toujours plus de parties que d’éléments. Il y a
une infinité d’infinis; c’est l’univers des nombres transfinis, symbolisés par
la première lettre de l’alphabet hébreu, aleph : À. Le
dénombrable, le plus petit infini, sera noté À0.
Le mathématicien de l’infini est donc bien Georg CANTOR,
même s’il serait injuste d’oublier DEDEKIND avec lequel il n’a cessé de correspondre en
faisant progresser leurs réflexions mutuelles.
Le mathématicien allemand David HILBERT considère d’ailleurs
que les avancées de CANTOR représentent
« le produit le plus pur du génie mathématique et la
réalisation la plus achevée de l’activité intellectuelle humaine ».
A. WARUSFEL,
Les nombres et leurs mystères,
Seuil - Points Sciences -
1961 - réedité 1989
DAHAN-DALMEDICO
et J. PEIFFER,
Une histoire des mathématiques, routes et dédales,
Seuil - Points Sciences -
1986
Hors Série de « Pour la science », « Les Mathématiciens », 1994
Hors Série de « La Recherche », « Nombres », 1995
D. GUEDJ,
L’empire des nombres,
Découvertes Gallimard - 1996
(conférence réalisée
par Michel NAUD pour l’Union rationaliste en février 1997)
afis, Science et
pseudo-sciences, 14 rue de l'école polytechnique, 75005 PARIS.