les dossiers de l’ afis44
TECHNOLOGIES & SOCIETE
sujet : développement durable
le nucléaire, avenir de
l’écologie ?
préface du Prof. James
LOVELOCK au livre du même nom de l’ Ing. Bruno COMBY
Ce
texte est extrait d’un article © du site personnel de James LOVELOCK, hébergé par l’association Environmentalists for nuclear energy ; le
professeur James LOVELOCK est considéré, depuis les années 1960, comme l’un des
principaux chefs de file idéologiques de l’histoire de l’écologie. Scientifique
indépendant, écrivain, enseignant et Docteur Honoris Causa de plusieurs
universités de réputation mondiale, il est l'inventeur sur le plan scientifique
du détecteur à capture d'électrons utilisé dans les appareils de spectrométrie,
ainsi que des instruments scientifiques ayant permis de détecter le DDT dans
les glaces polaires et de suivre les variations du trou d'ozone ; ses
ouvrages « les âges de gaïa » et « la
terre est un être vivant » ont été notamment traduits en français. Il
s’agit de la préface au livre de Bruno COMBY, ingénieur
de l’école polytechnique et de l’école nationale supérieure des techniques
avancées, président de l’association
des écologistes pour le nucléaire (AEPN) ; écrivain, il est notamment
auteur du livre « le
nucléaire, avenir de l’écologie ? » d’ores et déjà traduit en de
nombreuses langues.
B. COMBY
J. LOVELOCK
J'ai passé mon enfance
dans la campagne anglaise, il y a plus de soixante-dix ans, où nous menions une
vie simple, sans téléphone, ni électricité. Les chevaux y étaient encore une
source normale d'énergie, et nous osions à peine imaginer la radio et la
télévision. Ce dont je me rappelle encore parfaitement, c'est combien la
superstition était omniprésente, et à quel point le concept du diable était une
réalité de tous les jours, presque tangible. Les femmes et les hommes qui, dans
d'autres domaines, faisaient preuve d'intelligence, évitaient craintivement les
endroits que l'on disait hantés, et ils auraient supporté bien des désagréments
plutôt que de voyager un vendredi tombant le treizième jour du mois. Leurs
peurs irrationnelles se nourrissaient de leur ignorance et étaient alors fort
courantes.
Je ne peux m'empêcher
de penser que de telles peurs existent toujours aujourd'hui, mais que,
maintenant, elles se manifestent contre les développements de la science.
Ceci est
particulièrement le cas avec les centrales de production nucléaires, qui
semblent raviver les craintes qui dans le passé
étaient ressenties à l'évocation de cimetières que l'on croyait alors infestés
de loup-garous et de vampires les nuits de pleine
lune.
La peur de l'énergie
nucléaire se comprend par l'association qui en est faite, dans l'esprit des
gens, avec l'horreur de la guerre nucléaire, alors que c'est totalement
injustifié; les centrales nucléaires civiles ne sont pas des bombes. Ce qui, au
départ, était un souci normal de sécurité est devenu une anxiété pathologique
dont la responsabilité incombe largement aux media d'information, à la
télévision, à l'industrie du cinéma, ainsi qu'aux écrivains de science fiction.
Tous ont utilisé la peur de la chose nucléaire comme tremplin idéal pour la
vente de leurs produits. Eux, et ceux des politiciens qui pratiquent la
désinformation en discréditant l'industrie nucléaire en la désignant comme
l'ennemi potentiel, ont tellement réussi dans leur entreprise d'épouvanter le
public, qu'il est désormais impossible, dans un grand nombre de pays, de
proposer la construction d'une nouvelle centrale nucléaire.
Aucune source d'énergie
n'est totalement sûre, même les moulins à vents ne sont pas exempts d'accidents
fatals, et l'excellent livre de Bruno Comby donne une
juste mesure des grands avantages et des faibles risques de l'énergie
nucléaire. Je suis de tout cœur avec lui, et je tiens à insister auprès de vous
sur le fait que les dangers qui résultent de l'utilisation des combustibles
fossiles (gaz, pétrole, charbon), comme notre source d'énergie principale, sont
beaucoup plus importants et qu'ils menacent non seulement les individus, mais
la civilisation elle-même. La plupart des pays industrialisés se comportent
comme un fumeur dépendant : nous avons tellement l'habitude de brûler des
combustibles fossiles pour satisfaire nos besoins, que nous ne voyons même pas
ses dangers insidieux qui en résultent à long terme.
Polluer l'atmosphère
avec du dioxyde de carbone (CO2) et autres gaz à effet de serre, n'a aucune
conséquence immédiate, mais cette pollution continuelle conduit à des
changements climatiques, dont les effets n'apparaissent qu'une fois qu'il est
pratiquement trop tard pour y remédier. Le dioxyde de carbone empoisonne
l'environnement de la même façon que le sel peut le faire pour nous. Un usage
modéré n'entraîne pas de dommages, mais un régime quotidien trop chargé en sel
peut provoquer l'accumulation dans le corps d'une quantité mortelle.
Nous devons faire la
distinction entre ce qui constitue un danger direct pour l'Homme, et ce qui
présente un danger indirect en s'attaquant à notre habitat, la Terre.
La peste bubonique, au
Moyen âge, a été une cause de dommages directe, a occasionné des angoisses
épouvantables, et a tué 30 % des Européens, mais ce n'était qu'une petite
menace pour la civilisation, sans conséquence aucune
pour la Terre en elle-même. Brûler des combustibles fossiles et transformer des
écosystèmes naturels en terres cultivées ne cause pas de dommage immédiat aux
populations humaines, mais altère lentement la faculté de la Terre à
s'autoréguler et à maintenir, comme elle l'a toujours fait, les conditions
propices au développement de la vie. Quoique rien de ce que nous puissions
faire ne parviendra à détruire toute vie sur Terre, nous risquons de modifier
l'environnement à un point tel que la civilisation s'en trouverait menacée.
Au cours de ce siècle
ou du prochain, nous risquons de voir cela se produire à cause d'une
modification du climat et d'une élévation du niveau de la mer. Si nous
persistons à brûler du combustible fossile à la même cadence que maintenant, ou
à une cadence plus élevée, il est probable que toutes les villes qui se
trouvent actuellement au niveau de la mer seront submergées. Essayez d'imaginer
les conséquences sociales de millions de réfugiés, sans abri, à la recherche
d'un morceau de terre sèche pour pouvoir y vivre. Dans leur détresse, ils se
retourneront peut-être vers le passé en se demandant comment l'humanité a pu
être assez folle pour s'attirer une aussi épouvantable misère en brûlant
inconsidérément les combustibles fossiles. Ils pourront, alors, avec regret, se
souvenir qu'ils auraient pu éviter tous ces malheurs en tirant avantage de
l'énergie nucléaire de manière propre et sûre.
L'énergie nucléaire,
quoique potentiellement dangereuse pour les populations, ne présente qu'un
danger négligeable pour la planète. Les écosystèmes naturels peuvent supporter
des niveaux d'irradiation continuelle qui ne seraient pas tolérés en milieu
urbain. La campagne autour du réacteur accidenté de Tchernobyl a été évacuée à
cause de son haut degré d'irradiation après l'accident, ce qui rendait la
fréquentation de cette zone dangereuse pour les humains, mais cette zone
radioactive abrite maintenant une vie sauvage très riche, beaucoup plus riche
et diversifiée que celle des régions habitées avoisinantes. Nous appelons les
résidus de la production d'énergie nucléaire des " déchets nucléaires
", et nous nous faisons énormément de souci au sujet de leur avenir et de
leur conservation. Je me demande si, au contraire, nous ne ferions pas bien de
les utiliser comme gardiens incorruptibles des plus belles régions naturelles
sur la Terre. Qui oserait couper les arbres d'une forêt ayant servi de site de
stockage pour les déchets nucléaires ?
La peur du nucléaire
est si répandue que les scientifiques eux-mêmes semblent avoir oublié
l'histoire de la radioactivité de notre planète. Il est pratiquement certain
qu'une supernova s'est produite à proximité, à la fois dans le temps et dans
l'espace, de l'origine de notre système solaire.
Une supernova est
l'explosion d'une grande étoile. Les astrophysiciens admettent que ce phénomène
peut affecter les étoiles plus de trois fois plus grosses que le soleil.
Lorsqu'une étoile brûle - par fusion nucléaire - ce qu'elle contient
d'hydrogène et d'hélium, les cendres de ce feu s'accumulent
au centre, sous forme d'éléments plus lourds, comme le silicium et le fer.
Lorsque ce noyau d'éléments inertes, incapables de produire de la chaleur ou de
l'énergie et de maintenir la pression auxquels ils sont soumis, excède de
beaucoup la masse de notre soleil, alors les forces de gravité, en quelques
secondes, provoquent son implosion en un objet de moins de trente kilomètres de
diamètre, mais toujours aussi lourd qu'une étoile. Nous avons là, dans l'agonie
d'une étoile, tous les ingrédients pour provoquer à nouveau une gigantesque
explosion nucléaire. Une supernova, à son maximum, produit des quantités de
chaleur, de lumière et de radiations de haute énergie absolument stupéfiantes,
à peu près autant que la totalité des autres étoiles de la même galaxie.
Mais une explosion
n'est jamais efficace à 100%. Lorsqu'une étoile finit en supernova, les
matériaux de l'explosion nucléaire, qui comprennent de l'uranium et du
plutonium, ainsi que de grandes quantités de fer et d'autres éléments
résiduels, s'éparpillent dans l'espace, comme le fait le nuage de poussières
lors d'un essai de bombe à hydrogène.
Ce qu'il y a peut-être
de plus étrange, à propos de la Terre, c'est qu'elle s'est ainsi formée à
partir des scories de la gigantesque explosion nucléaire d'une étoile encore
plus grande que notre soleil aujourd'hui. C'est pourquoi il subsiste, encore
maintenant, à la surface de la Terre, suffisamment d'uranium pour reconstituer,
à très petite échelle, les réactions nucléaires qui se sont produites
initialement de manière beaucoup plus intense à la naissance de notre planète.
Il n'y a pas d'autre
explication crédible à la grande quantité d'éléments instables que l'on trouve
encore sur Terre aujourd'hui. N'importe quel compteur Geiger indique que nous
habitons sur les restes d'une gigantesque explosion nucléaire. A l'intérieur
même de notre propre corps, environ un demi-million
d'atomes, rendus instables lors de cette explosion initiale, continuent à
désintégrer à chaque minute, relâchant une infime partie de l'énergie accumulée
lors de cette immense explosion initiale il y a très longtemps.
La vie a ainsi commencé
à se développer sur Terre, il y a environ quatre milliards d'années, dans des
conditions de radioactivité bien plus intenses que celles qui troublent les
esprits de certains écologistes aujourd'hui. De plus, il n'y avait alors ni
oxygène, ni ozone dans l'air, si bien que les intenses rayons ultra-violets non filtrés émis par le soleil irradiaient la
surface de la Terre. Nous devons garder à l'esprit que ces énergies violentes
et ces radiations intenses ont fait partie des conditions qui régnaient lors de
la naissance même de la vie sur Terre.
J'espère qu'il n'est
pas trop tard pour que le monde suive la France, et fasse de l'énergie
nucléaire notre principale source d'énergie. Il n'y a pas d'autre solution
viable, propre, écologique et économiquement acceptable, à la dangereuse
habitude que nous avons prise qui consiste à brûler des combustibles fossiles.
James LOVELOCK.
afis, Science et pseudo-sciences, 14 rue de l'école polytechnique, 75005 PARIS.