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DOSSIER : PHYSIQUE

 

sujet            : astronomie

document : pourquoi la nuit est-elle noire ? (Christian NITSCHELM)

le paradoxe de Chéseaux-Olbers

Christian NITSCHELM, astrophysicien ( RUCA, IAP )

 

Ce texte, écrit en 1991 et modifié en 1997 est extrait © du site personnel de Christian Nitschelm, docteur en astrophysique, attaché au Groupe de Recherche en Astrophysique de l'Université d'Anvers (RUCA), et collaborateur extérieur à l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP), Il a été reproduit grâce à son aimable autorisation. Vous pouvez bien sûr aller consulter la version originale sur son site. Christian Nitschelm est auteur d’une histoire de l’astronomie de la préhistoire à nos jours.

    

(photo : C. Nitschelm à l’occasion d’un débat dans un café philosophique)

©  Christian Nitschelm, 1999 http://www.astrosurf.com/nitschelm/index.html    

 

Sommaire: Le problème de l'obscurité du ciel nocturne a intrigué un grand nombre de penseurs, depuis l'époque du miracle grec jusqu'à la nôtre, à partir du moment où certains philosophes ou penseurs ont estimé que notre Terre était située dans un univers de taille infinie où le nombre d'étoiles serait lui-même infini, ce qui implique une brillance du fond de ciel uniformément égale à celle du Soleil. Diverses réponses plus ou moins exactes ont été proposées par des astronomes, des philosophes, des hommes de lettres et par d'autres, solutions que nous allons passer en revue, en nous attardant sur les propositions correctes, historiquement apparues au XIXème siècle, puis au XXème siècle, avec l'essor de l'astrophysique, puis de la cosmologie.

 

1. Introduction.

 

1.1. Généralités.

 

A priori, lorsque nous regardons le ciel par une nuit sans Lune loin de toute source de lumière parasite, nous ne réalisons pas que tant de penseurs ont pu se poser la question du pourquoi de l'obscurité de ce ciel. En effet, si notre Univers est doté d'un peuplement à peu près uniforme en étoiles ou en galaxies (ce que les astrophysiciens observent effectivement, sur une extension spatiale infinie), alors, dans une première approximation, la brillance du fond de ciel devrait être infinie. En fait, on démontre que la brillance du fond de ciel ne devrait pas être infinie, mais en tout point égale à celle du Soleil. Cette constatation est en totale contradiction avec l'observation que nous faisons de la noirceur du ciel nocturne. Cette contradiction est appelée par les astronomes “ énigme de l'obscurité ” ou “ paradoxe de Chéseaux-Olbers ”.

 

Il est clair qu'il n'y a paradoxe que dans le cas d'un univers ayant une extension infinie et étant composé d'un peuplement à peu près régulier d'objets émissifs. Dans le cas d'un univers de taille finie ou infinie peuplé d'un nombre fini d'étoiles, la question ne se pose même pas, la solution étant évidente, bien loin d'un quelconque paradoxe...

 

1.2. Le paradoxe de Chéseaux-Olbers.

 

Le raisonnement mathématique induisant l'énigme de l'obscurité, c'est-à-dire le paradoxe de Chéseaux-Olbers, découle d'un raisonnement sur le nombre infini de faibles sources lumineuses. Deux cas de figures sont possibles. Soit les étoiles sont dotées de dimensions apparentes non nulles (hypothèse 1), soit elles sont ponctuelles (hypothèse 2).

 

1.2.1. Hypothèse 1.

 

Les étoiles, supposées avoir des dimensions non nulles, font écran les une sur les autres, certaines étant partiellement cachées et d'autres l'étant totalement. L'horizon de l'observateur est limité de ce fait. Considérons deux étoiles identiques E1 et E2 à des distances r1 et r2. Dans un angle solide élémentaire donné, la surface interceptée est dS1 pour E1 et dS2 pour E2. On a évidemment l'égalité suivante: dS1 / r1² = dS2 / r2².

 

L'intensité du rayonnement émis par chaque surface est donnée par I0 dS1 et I0 dS2 dans chacun des angles solides élémentaires considérés. L'observateur recevra par seconde une énergie : J1 = J2 = I0 dS1 / r1² = I0 dS2 / r2². La brillance apparente de l'élément d'angle solide est indépendante de la distance. Toutes les lignes de visées rencontrant, de près ou de loin, une surface stellaire, la brillance totale du ciel en chacun de ses points sera celle de la surface de l'une de ses étoiles, supposées identiques, donc celle du soleil. Si la brillance solaire est notée B0 et sa surface angulaire apparente S0 = pi r0², la brillance du ciel entier devrait alors être de Bciel = 4 pi B0 / S0 = 4 B0 / r0². Ce qui donne une brillance de 184650 fois celle du Soleil pour tout le ciel. La luminosité serait alors absolument insoutenable et il est plus que probable que la vie n'aurait jamais pu apparaître et évoluer dans un tel univers.

 

1.2.2. Hypothèse 2.

 

L'éclat apparent d'une étoile, si celle-ci est supposée ponctuelle, décroît en raison inverse du carré de la distance r, ce que l'on peut écrire, en supposant que les étoiles ne portent pas écran les unes sur les autres: Jstar(r) = J0 (r0² / r²).

 

Il semble cependant légitime de formuler l'hypothèse que notre Univers est peuplé, en première approximation, de façon homogène. Dans ce cas, le nombre d'étoiles localisées dans une couche située entre deux sphères centrées sur l'observateur et de rayon r et r + dr est égal à: N(r) = 4 pi nstardr, nstar étant la densité en étoiles par unité de volume. La brillance totale d'une couche sera alors donnée par: B(r) = N(r) Jstar(r) = 4 pi nstar J0 r0² dr.

 

Un simple calcul d'intégration entre 0 et R permet d'obtenir la brillance totale des étoiles comprises entre les distances 0 et R: BR = somme intégrale de 0 à R de 4 pi nstar J0 r0² dr = 4 pi nstar J0r0²R.

 

BR est ici une quantité qui tend vers l'infini quand R tend vers l'infini. L'Univers étant supposé avoir une extension infinie, l'éclat global du ciel nocturne résultant de l'éclat des toutes les étoiles sera alors infini...

 

1.2.3. Remarque sur l'hypothèse 2.

 

Cependant, il est inexact de postuler que les étoiles ne s'occultent pas les unes les autres, leurs diamètres apparents n'étant pas tout à fait nuls. La surface recouverte par les étoiles d'une couche est alors donnée par: S(r) = pi a² N(r) = 4 pi² nstar a² r² dr, en notant a le rayon moyen d'une étoile. En divisant par l'aire 4 pi r² de la couche, on obtient la fraction du ciel recouvert par les étoiles de cette couche: alpha(r) = pi nstardr = sigma nstar dr, en notant sigma = pi a² la section géométrique d'une étoile.

 

En intégrant entre les distances 0 et R, on obtient la fraction du ciel recouverte par les étoiles jusqu'à la distance R: alpha_R = somme intégrale de0 à R de sigma nstar dr = sigma nstar R = R / lambda, où lambda = 1 / (sigma nstar) est le libre parcours moyen d'un rayon lumineux. Remarquons également que alpha_R est égal à l'unité lorsque R est égal à . représente ainsi la limite de visibilité. En notant V = 1 / nstar le volume moyen occupé par une étoile, on obtient une équation simple pour cette limite: lambda = V / sigma = V / (pi a²).

 

2. Les différentes conceptions philosophiques grecques.

 

Trois systèmes philosophiques rivaux dominèrent l'ensemble du monde méditerranéen à l'époque de l'antiquité classique. Issus de la philosophie des Ioniens et des Pythagoriciens, ils ont énormément influencé l'histoire des sciences et de la culture occidentale. Tous trois présentent un intérêt particulier dans la recherche de la solution de l'énigme de l'obscurité.

 

2.1. La conception épicurienne (atomiste).

 

La théorie atomique de la matière remonte probablement à Pythagore, au VIème siècle avant notre ère, qui soutenait que tous les corps physiques étaient composés de points géométriques en relation mathématique, comme ses disciples après lui. Elle a été développée par Anaxagore, le dernier des philosophes ioniens, au Vème siècle avant notre ère. Selon lui, “ l'Esprit tient sous son emprise un univers incommensurable dans lequel chaque chose sur Terre et dans le ciel est une combinaison d'infimes granules et obéit à des lois universelles ”.

 

Le philosophe Leucippe d'Abdère, également au Vème siècle avant notre ère, transforma les points de Pythagore et les granules d'Anaxagore en entités physiques irréductibles et indestructibles appelées atomes. Démocrite d'Abdère, vers la fin du Vème siècle avant notre ère, perfectionna après lui la théorie atomiste. Selon ce dernier, les atomes constituent les plus petites subdivisions possibles de la matière, et leurs associations et relations mathématiques rendent compte des propriétés de tous les corps sensibles. Seuls existent les atomes et le vide infini, tout le reste est opinion de l'esprit et convention des sens.

 

Ainsi, on retrouve la notion d'univers infini associée à la théorie atomiste. Il se peut qu'une multitude d'atomes fasse surgir la perspective d'une répétition infinie: au-delà de l'horizon, l'Univers ressemble essentiellement à ce qu'il est près de soi. Les formes peuvent changer, la trame fondamentale du motif cosmique reste la même. Ces postulats impliquent le concept d'uniformité cosmique, fondement actuel de la cosmologie moderne (principe cosmologique). Le monde naturel s'étend donc sans limites et est autonome, hors du contrôle de dieux éventuels aux pouvoirs limités. Depuis vingt-cinq siècles, l'idée d'un univers infini rempli d'une multiplicité de mondes a influencé l'histoire des sciences, de la philosophie et des religions, à tel point qu'elle continue de jouer un grand rôle à l'époque actuelle.

 

Épicure (fin du IVème et début du IIIème siècle avant notre ère) adopta l'essentiel de la philosophie atomiste, en rejetant les dieux en tant que forces contrôlant le monde naturel, en invoquant autant que possible des causes physiques pour l'explication des phénomènes et en enseignant que la perception des sens était à la base de toute connaissance. Il rajouta également aux lois naturelles du monde atomiste une théorie globale de l'éthique, ce qui l'a rendu très célèbre dans le monde antique. L'épicurisme, trop tourné vers l'athéisme, fut toutefois critiqué avec acharnement par les platoniciens, puis par les stoïciens et finalement par les chrétiens.

 

Lucrèce, dans son poème épique De Rerum Natura écrit vers -55, se révèle être un fervent défenseur du système atomiste. Selon lui, les atomes, éternels, se déplacent librement dans un vide infini, s'entrechoquant, se combinant et formant la texture matérielle de mondes innombrables. Les étoiles, déjà identifiées comme étant des soleils lointains, s'illuminent, brillent durant de très longues durées, puis pâlissent et se dissolvent dans l'effervescence atomique. Là où des mondes naissent, la vie peut apparaître et s'y développer, des créatures intelligentes peuvent émerger et des civilisations peuvent prospérer. Ensuite, ces mondes se dissolvent et leurs atomes retournent au cycle. Seuls le vide et les atomes sont immuables et indestructibles. Les âmes et les dieux, s'ils existent, sont également composés d'atomes. De temps en temps, ces atomes peuvent subir des déviations imprévisibles lors de collisions mutuelles, ce qui permet de rendre compte du hasard et du libre arbitre.

 

Le modèle d'univers infini des penseurs épicuriens antiques est bien celui où va se poser l'énigme de l'obscurité. L'infinitude de cet univers peuplé uniformément d'un nombre infini d'étoiles aurait dû induire un ciel uniformément brillant au lieu du ciel obscur observé. Les penseurs épicuriens atomistes antiques ne sont pas parvenus à appréhender ce paradoxe, ce qui n'enlève toutefois rien à leur mérite.

 

En marge du système atomiste, le philosophe Empédocle d'Agrigente, qui vivait au Vème siècle avant notre ère, écrivit que: “ Dieu est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part ”. Cette sentence eut une fortune singulière au cours des âges, en particulier avec la substitution du mot Dieu par le mot Univers à la Renaissance, sous l'impulsion de Nicolas de Cues, puis de Giordano Bruno, atomistes convaincus.

 

2.2. La conception aristotélicienne.

 

Durant les Vème et IVème siècles avant notre ère et à partir des orbites célestes et des mouvements circulaires parfaits définis par les pythagoriciens, Socrate, Platon, Eudoxe et d'autres construisirent une géométrie cosmique de sphères célestes emboîtées centrées sur la Terre et toutes contenues dans une sphère extérieure appelée sphère des étoiles fixes ou, plus simplement, sphère des fixes. Cette sphère des fixes fut ainsi considérée comme la limite ultime de notre Univers, monde clos de petite taille sans extérieur ou entouré par la divinité. Ce postulat induisit la deuxième grande conception philosophique de l'antiquité.

 

Au milieu du IVème siècle avant notre ère, Aristote transforma le système de sphères géocentriques en un système physique, de taille finie, ordonné et régi par des principes éternels. Les sphères célestes, de nature cristalline, étaient composées d'un élément unique et incorruptible, qui fut appelé éther. Elles possédaient des formes impérissables et étaient dotées de mouvements circulaires parfaits. Ces sphères portaient, selon un ordre ascendant, les astres errants Lune, Soleil, Vénus, Mercure, Mars, Jupiter et Saturne (ordre pythagoricien, adopté également par Platon et Eudoxe, appelé ensuite ordre des physiciens), et tournaient avec des vitesses diverses autour d'axes inclinés. Une lumière éthérée emplissait la voûte céleste; rien n'existait au-delà de la sphère des fixes, ni espace, ni vide, ni temps. La Terre et les régions sublunaires étaient composées des quatre éléments corruptibles, le feu, l'air, l'eau et la terre, aux formes périssables et aux mouvements imparfaits. Le feu, par sa vertu de légèreté, recherchait le ciel; la terre, par sa vertu de gravité, recherchait le centre du monde; l'air et l'eau étaient suspendus entre ces deux pôles extrêmes.

 

Les astronomes Hipparque, au IIème siècle avant notre ère, et Ptolémée, au IIème siècle de notre ère, proposèrent un système astronomique géométrique assez différent du schéma aristotélicien. Ils introduisirent les cercles déférents et épicycles comme explication simple des mouvements planétaires d'approche et d'éloignement de la Terre qui concervait sa position centrale. La taille de l'Univers restait finie, toujours avec la sphère des fixes comme limite ultime. L'ordre planétaire était modifié selon la séquence Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter et Saturne (ordre des mathématiciens).

 

Durant les siècles suivants, les néoplatoniciens d'Alexandrie ajoutèrent des ornementations angéliques au système aristotélicien. A l'époque médiévale, les astronomes arabes étudièrent et perpétuèrent les idées d'Aristote et de Ptolémée. Puis les théologiens, tant musulmans que juifs et chrétiens, utilisèrent le système des sphères homocentriques et/ou l'astronomie géométrique comme fondements de leurs cosmogonies respectives.

 

Il est clair que le système aristotélicien induit en raison de sa finitude une énigme insoluble: qu'y a-t-il au-delà de la limite de l'Univers? D'en deçà, que devient un objet déplacé au-delà de cette limite? Ce problème, nommé énigme de la frontière cosmique, fut pour la première fois posé par le géomètre Archytas de Tarente, contemporain de Platon. Archytas se demanda où pourrait bien aller un javelot lancé vers la frontière cosmique par le guerrier Achille, de force légendaire. Cependant, il est non moins clair que la finitude de l'Univers dans le système aristotélicien donne une réponse immédiate à l'énigme de l'obscurité nocturne: le ciel est sombre parce que l'Univers n'est pas de taille infinie, le nombre d'étoiles y étant limité.

 

2.3. La conception stoïcienne.

 

La philosophie stoïcienne, fondée au tournant des IVème et IIIème siècles avant notre ère par Zénon de Cittium, est essentiellement une discipline de vie face à l'adversité et au Destin. Le stoïcien doit être fort et courageux. L'esprit divin est présent partout, sur Terre et dans le ciel, s'épanouissant ou déclinant au cours du temps.

 

Le système stoïcien exaltait les principes éthiques de devoir et de justice; chacun pouvait y puiser à la fois une philosophie, une religion, une morale et une science. Il influença profondément la civilisation occidentale, ses concepts, ses valeurs et son code d'honneur, en particulier durant l'époque médiévale. La conception stoïcienne du monde fut l'équivalent antique de la conception scientifique populaire de l'Univers moderne.

 

L'énigme de la limite cosmique, non résoluble dans le cadre de la conception aristotélicienne, était contournée par les philosophes stoïciens par le rejet de la frontière extérieure et par l'adhésion au concept d'espace infini. Les stoïciens proposaient un système consistant en un cosmos de taille finie rempli d'étoiles et entouré d'un vide extracosmique sans étoiles s'étendant à l'infini. Dans l'Antiquité et au Moyen Age, le système stoïcien fut plus ou moins le système aristotélicien amputé de sa frontière extérieure.

 

La conception astronomique des stoïciens se perpétua sous des formes diverses pendant plus de deux mille ans jusqu'au début du XXème siècle, lorsque Hubble établit définitivement l'existence d'objets extragalactiques. Du XVIIème siècle au début du XXème siècle, cette conception donna une explication simple à l'énigme de l'obscurité nocturne: le noir de la nuit est expliqué par l'obscurité du vide extracosmique infini que nous voyons entre les étoiles. Le système stoïcien constitua le cadre de la cosmologie du XIXème siècle lors de l'émergence de l'astrophysique et demeura assez généralement accepté jusque vers 1920.

 

Les observations modernes ont donné le coup de grâce au système stoïcien en prouvant la présence d'objets aussi loin que nous pouvons observer. Elles n'ont pas découvert de limite à l'Univers étoilé au-delà de laquelle existerait un vide extracosmique. Nous savons maintenant que nous ne vivons pas dans un cosmos stoïcien.

 

3. Les prédécesseurs.

 

3.1. Le Moyen Age.

 

Le déclin de l'Empire Romain fut accompagné par les invasions barbares et la diffusion du christianisme. En Orient, l'essentiel de la connaissance fut stocké par la bureaucratie byzantine, son développement végéta et les ténèbres intellectuelles recouvrirent l'ancien Empire. Cependant, l'évolution sociale, bien que très lente, amena de nouvelles possibilités de diffusion des connaissances, en particulier par les écoles monastiques et les bibliothèques. Le contact avec les centres intellectuels islamiques amena une nouvelle connaissance qui réveilla l'Europe. De nouvelles techniques apparurent, inconnues jusqu'alors.

 

Dans leurs travaux philosophiques, les arabes, à partir du IXème siècle, puis les juifs et les chrétiens, dans les siècles qui suivirent, adoptèrent le modèle aristotélicien des sphères homocentriques. Les premiers perfectionnèrent la notion de moteur premier, c'est-à-dire une sphère extérieure transmettant le mouvement à toutes les autres et animée elle-même par la volonté divine. Au XIème siècle, Saint Anselme introduisit l'Empyrée, sphère extérieure supplémentaire constituée d'un feu d'une pureté infinie et résidence divine. À partir de cette époque, la traduction des manuscrits arabes et grecs et la redécouverte des auteurs anciens permirent à la connaissance de quitter les monastères pour atteindre un grand nombre d'étudiants à travers les universités nouvellement fondées dans les grandes villes.

 

Malgré l'idéologie aristotélicienne dominante d'un univers borné par une sphère ultime, l'énigme de la frontière cosmique intrigua un grand nombre de penseurs entre l'Empire Romain et la Renaissance. Après Archytas et Lucrèce, Simplicius, néoplatonicien du VIème siècle de notre ère, avait déjà démontré clairement par l'absurde l'impossibilité d'une telle frontière cosmique lors d'un commentaire de l'oeuvre d'Aristote. Se référant souvent à la démonstration de Simplicius, certains théologiens, en particulier l'évêque de Paris Étienne Tempier en 1277, condamnèrent pour des raisons doctrinales la vision aristotélicienne géocentrique bornée du monde qui, prise à la lettre, limitait le pouvoir divin. Ces condamnations poussèrent les théologiens du Moyen Age à rechercher un compromis entre l'infinitude de Dieu et la finitude du modèle aristotélicien, ce qui ébranla tout l'édifice. L'Empyrée fut prolongé par un vide infini par Thomas Bradwardine, au XIVème siècle, ce qui transforma le système aristotélicien borné en système stoïcien non borné.

 

3.2. La Renaissance.

 

Au début du XVème siècle, le théologien Nicolas de Cues posa les fondements de la cosmogonie post-médiévale dans son ouvrage “ De la docte ignorance ” (1440). Utilisant toutes les potentialités d'un être omnipotent, il introduisit la notion d'un univers infini non borné et dépourvu de centre, ce qu'il résuma, en pastichant Empédocle, par la phrase “ l'Univers a son centre partout et sa circonférence nulle part ”. il fut de plus contemporain de la redécouverte de l'ouvrage “ De Rerum Natura ” de Lucrèce auquel il put avoir accès. Sa philosophie ouvrit la voie aux univers infinis décrits par les auteurs des siècles suivants.

 

Durant le XVIème siècle, plusieurs penseurs se succédèrent à un rythme de plus en plus intense. Après Nicolas Copernic qui réintroduisit l'héliocentrisme (1543), vieille hypothèse restée longtemps en sommeil, tout en conservant la finitude aristotélicienne de la sphère des fixes, Thomas Digges, dans un ouvrage où il défendait vigoureusement le système copernicien, démantela cette sphère et en éparpilla les étoiles dans l'espace infini (1576). En greffant sur le système copernicien un espace infini peuplé d'étoiles, il introduisit l'idée d'un univers rempli de rayonnements innombrables qui s'entrecroisent en tous sens. Il fut historiquement le premier à poser l'énigme de l'obscurité, à laquelle il répondait par la trop grande distance des étoiles lointaines, celles-ci étant trop faibles pour pouvoir être observées depuis la Terre. Cette réponse, très sensée pour l'époque, fut reprise ultérieurement par de nombreux astronomes.

 

Giordano Bruno, très influencé par les idées antiques et de la Renaissance sur l'infini, en particulier par celles de Lucrèce, de Nicolas de Cues et de Thomas Digges, franchit la barrière de la symétrie centrale (1591). Il supprima toute trace de symétrie géocentrique ou héliocentrique, suivant en cela la sentence de Nicolas de Cues “ l'Univers a son centre partout et sa circonférence nulle part ”. Il défendit vigoureusement la pluralité des mondes habités autour d'innombrables étoiles. Il critiqua violemment le système aristotélicien, se fondant en particulier l'énigme de la frontière cosmique et sur la démonstration de Simplicius. La plénitude divine triomphait enfin, brisant les limites du système médiéval.

 

De nombreux penseurs et poètes furent influencés par les idées de Thomas Digges et de Giordano Bruno, malgré les oppositions dogmatiques des différentes autorités religieuses. En particulier, William Gilbert défendit les notions d'héliocentrisme et de pluralité des mondes habités (1600). Selon lui, les étoiles sont comme les planètes à des distances inégales de la Terre et le Soleil dirige les planètes à l'aide de forces magnétiques. Il prouva également que la Terre se comportait comme un aimant.

 

Les innovations conceptuelles de la vision du monde à la fin du XVIème siècle peuvent ainsi se résumer par le renoncement à la sphère des fixes de taille finie, notion aristotélicienne par excellence, au profit d'un cosmos étoilé de taille finie entouré d'un vide infini (univers stoïcien) ou d'un espace infini peuplé d'étoiles (univers épicurien), par la prise de conscience de la nature des étoiles, semblables au Soleil, et par l'acceptation de la pluralité des mondes habités, aussi bien dans notre système solaire qu'autour d'autres étoiles.

 

3.3. Galilée.

 

Galileo Galilei, plus connu sous le nom de Galilée, découvrit, à l'aide d'une lunette à usage astronomique, plus de choses nouvelles en quelques mois que tout ce qui avait pu être découvert par ses prédécesseurs durant plus de vingt siècles (1610). Il observa les montagnes lunaires et les taches solaires (ce qui porta un coup fatal à la doctrine aristotélicienne de perfection des corps célestes), les quatre grosses lunes de Jupiter et les phases de Vénus (ce qui brisa le géocentrisme, le mouvement de ces lunes étant centré sur Jupiter et ce qui prouva le mouvement héliocentrique de la planète Vénus). Il observa également sans le savoir Neptune, planète alors inconnue, lors d'un rapprochement de celle-ci avec Jupiter.

 

Dirigée vers la Voie Lactée, la lunette permit à Galilée d'observer un très grand nombre d'étoiles invisibles à l'oeil nu, nombre beaucoup plus grand que le nombre total de celles visibles à l'oeil nu. Cette découverte augmenta dramatiquement la taille de l'Univers connu, à une époque où les astronomes épicuriens pensaient déjà que la distance des étoiles était directement liée à leur éclat. Galilée, bien que copernicien convaincu, n'en déduisit cependant aucune conséquence à propos de l'énigme de l'obscurité.

 

4. Johannes Kepler.

 

Ancien disciple de Tycho Brahe et utilisant les observations visuelles de celui-ci, Johannes Kepler, outre d'obscures spéculations métaphysiques, démontra les trois lois du mouvement des corps célestes qui portent son nom (1609 et 1619). Kepler, également copernicien convaincu, utilisa dans ses travaux les idées de William Gilbert sur l'existence de forces magnétiques entre le Soleil et les planètes. Il fut le fondateur de l'optique en distinguant lumière et vision, en expliquant le fonctionnement de l'oeil et en élaborant la théorie optique du microscope et de la lunette.

 

Kepler pensait que la taille de l'Univers était finie. Il affirmait que le Soleil était le centre de l'Univers et que les étoiles étaient à peu près toutes à la même distance du Soleil, les plus faibles en éclat étant tout simplement plus petites. Il s'opposa à l'idée d'infinité, en utilisant deux arguments convaincants, le premier étant lié à l'apparence des étoiles qui paraissent toutes avoir la même taille, bien qu'ayant des éclats différents, ce qui, selon lui, est la preuve qu'elles sont toutes à peu près à la même distance avec des luminosités intrinsèques différentes, et le second n'étant autre que l'énigme de l'obscurité. Cependant, la taille apparente des étoiles n'est qu'un effet combiné des actions de l'atmosphère (scintillation) et de l'oeil (diffraction en tache d'Airy) sur la lumière, aucune étoile n'ayant un diamètre apparent supérieur à quelques centièmes de seconde d'arc, ce qui invalide le premier argument de Kepler.

 

Le deuxième argument de Kepler fut formulé en 1610 après que celui-ci ait été informé par Galilée de ses nouvelles découvertes. Kepler ne put admettre que les étoiles faibles observées par myriades par Galilée puissent être plus éloignées que celles visibles à l'oeil nu. Il affirma seulement que ces étoiles faibles étaient intrinsèquement moins brillantes que les autres et donc plus petites, leur grand nombre ne prouvant selon lui que le fait que la majorité des étoiles étaient plus petite que notre Soleil, la voûte céleste étant plus lumineuse que le Soleil dans le cas contraire. Il n'a pas réalisé que la taille apparente des étoiles n'a pas d'importance mais il a formulé un argument très important: plus l'Univers étoilé est vaste, plus il doit y avoir d'étoiles parsemant le ciel. L'énigme de l'obscurité était posée.

 

Kepler pensait que le ciel nocturne était sombre seulement parce que l'Univers contenait trop peu d'étoiles pour le recouvrir, le caractère fini de l'Univers expliquant pourquoi le nombre restait insuffisant. En repoussant l'idée de l'infini, il rejeta les systèmes épicurien et stoïcien et fut l'un des derniers astronomes partisans du système d'Univers de type aristotélicien, système qui tomba rapidement en désuétude après lui.

 

5. Solutions proposées aux XVIIème et XVIIIème siècles.

 

5.1. Système cartésien.

 

René Descartes élabora un système philosophique tout à fait nouveau d'une portée considérable, système qui prônait la mathématisation des sciences physiques et la séparation du corps et de l'esprit (1637 et 1644). Selon lui, seul Dieu pouvait être infini, les étendues spatiales étant indéfinies. L'Univers s'étendait dans toutes les directions jusqu'à des distances indéfinies et était entièrement rempli d'une matière continue. Le vide ne pouvait alors exister nulle part (“ la nature a horreur du vide ”), ce qui amenait Descartes à rejeter la théorie atomiste épicurienne. Les forces ne pouvaient se transmettre que par contact et certainement pas à distance, le mouvement des corps étant rectiligne tant qu'une de ces forces ne le dévie de sa trajectoire. L'évolution du monde était considérée comme étant purement mécaniste depuis les origines, Dieu ayant uniquement agi pendant ces dernières.

 

De nombreux physiciens d'Europe continentale adoptèrent le système cartésien. Selon eux, il était absurde de penser qu'une force pouvait agir à distance, que les atomes et le vide pouvaient exister et que la lumière se propageait à vitesse finie. Ces notions n'avaient pas leur place dans leur organisation rationnelle de la nature. De même, les influences astrales se propageant à travers les grandes étendues de vide entre les astres s'avéraient contraires à la rationalité de l'Univers cartésien.

 

Evangelista Torricelli étudia cette horreur du vide prêtée à la nature par les cartésiens et montra qu'il était au contraire très facile d'obtenir un vide au-dessus d'une colonne de mercure, ce qui amena une réfutation du système cartésien avant même la mort de son fondateur (1643). Durant tout le XVIIème siècle, de nombreux cartésiens restèrent sceptiques quant à ces expériences, alors que les physiciens anglais, après une période probatoire, rejetèrent en bloc le système cartésien.

 

Depuis la ville de Magdeburg, Otto von Guericke donna le coup de grâce au système cartésien par ses expériences sur le vide (1672). Il montra que le vide transmet la lumière mais ne propage pas le son et prouva qu'un corps en chute libre dans le vide était animé d'une vitesse finie. Selon lui, seuls Dieu et l'espace pouvaient être infinis et, bien que sa taille fût immense, le cosmos étoilé possédait une dimension finie. Il fut historiquement le premier à suggérer que le cosmos stoïcien pouvait résoudre l'énigme de l'obscurité.

 

Le philosophe anglais Robert Hooke considéra que chaque point lumineux émet un rayonnement lumineux sphérique qui se déplace dans le “ milieu diaphane ” sur des distances illimitées (1664). Ainsi, selon lui, l'Univers contenait-il une infinité de points rayonnants qui diffusaient chacun une infinité de rayons. Certains de ces rayons issus d'une infinité de points traversaient la pupille et frappaient le fond de l'oeil, faisant de celui-ci un microscope de l'Univers. Comme Digges un siècle avant lui, Hooke pensait que la lumière d'une étoile lointaine était trop faible pour impressionner l'oeil. Il n'eut cependant pas l'idée de considérer l'effet cumulé d'un grand nombre de ces faibles rayons.

 

Bernard de Fontenelle, cartésien convaincu qui possédait une grande habileté de vulgarisateur, a décrit ce que verrait un observateur situé au centre de la Voie Lactée et vivant dans une clarté perpétuelle due à la proximité des étoiles voisines, c'est-à-dire ce qui se passerait dans le cas où l'énigme de l'obscurité ne serait plus un paradoxe, sans toutefois en tirer la conclusion sur l'absence de vie possible (1686).

 

En 1676, Ole Römer découvrit à l'Observatoire de Paris la valeur finie de la vitesse de la lumière par l'observation des retards des éclipses des lunes de Jupiter par rapport aux prédictions. Ce résultat, bien que peu utilisé à l'époque, fut l'un des premiers pas vers la naissance de l'astrophysique. Il fut utilisé à partir du XIXème siècle dans la recherche d'une solution à l'énigme de l'obscurité.

 

5.2. Système newtonien.

 

Isaac Newton, en opposition totale avec le système cartésien et en relation avec certaines idées médiévales, introduisit le système qui porta ensuite son nom afin d'expliquer rigoureusement les lois du mouvement des corps de l'Univers qui s'influençaient mutuellement par l'intermédiaire de forces gravitationnelles proportionnelles à leurs masses divisées par le carré de la distance les séparant, forces contrôlant le mouvement des corps célestes (1687). Il parvint alors à expliquer mathématiquement de manière irréfutable les trois lois de Kepler sur les mouvements planétaires, les orbites des planètes, des satellites et des comètes, les marées terrestres semi-diurnes, la précession des équinoxes, le renflement équatorial terrestre et tout ce qui semblait significatif dans un univers dynamique.

 

Par l'étude des propriétés de la gravitation, Newton passa progressivement d'une vision stoïcienne de l'Univers à une vision épicurienne au cours de sa vie. Selon lui, un cosmos de taille finie ne posséderait pas d'état d'équilibre et devrait forcément subir un effondrement gravitationnel vers son centre, alors qu'un cosmos infini pourrait se trouver en équilibre. Il remarqua toutefois que cet équilibre était instable, lors d'un échange épistolaire avec Richard Bentley durant les années 1680. Tout en ayant assimilé la théorie atomiste, Newton était resté foncièrement convaincu de l'existence d'un Dieu créateur qui dirigeait le monde...

 

5.3. Edmund Halley.

 

Outre son soutien sans faille à la mécanique newtonienne, Edmund Halley fut le premier à découvrir que les étoiles n'étaient pas fixes les unes par rapport aux autres, ainsi qu'à résoudre un amas globulaire en étoiles. Il explicita brièvement sa vision du problème du noir de la nuit en en donnant la première formulation mathématique. En notant qu'un univers de taille finie de type stoïcien serait instable gravitationnellement et que les perfectionnements des télescopes révélaient des étoiles de plus en plus faibles et donc de plus en plus distantes, il conclut que notre Univers ne pouvait être que de taille infinie pour pouvoir atteindre un état d'équilibre stable (instable selon Newton).

 

Remarquant comme Kepler qu'une infinité d'étoiles devrait recouvrir la voûte céleste dans son intégralité et la rendre uniformément brillante, Halley, pour expliciter l'énigme de l'obscurité cosmique, introduisit les notions de couches sphériques concentriques et de luminosité apparente des étoiles proportionnelle à l'inverse du carré de la distance pour résoudre ce problème (1721). Il admit avec raison que les étoiles lointaines étaient trop faibles pour être perçues individuellement par un observateur, mais il supposa à tort que la combinaison des lumières émises par de nombreuses étoiles faibles restait trop faible, ce qui donnait alors une solution au problème du ciel saturé.

 

5.4. Jean-Philippe Loys de Chéseaux.

 

Jean-Philippe Loys de Chéseaux examina l'énigme de l'obscurité cosmique et lui donna pour la première fois une formulation mathématique correcte, en ne faisant toutefois aucune référence aux travaux antérieurs (1744). Il évita les erreurs de ses prédécesseurs et reprit les idées de Halley. Supposant que les étoiles étaient semblables au Soleil et utilisant des sphères concentriques centrées sur celui-ci, il montra que l'accroissement du nombre d'étoiles dans chacune des couches successives compensait la diminution de l'aire apparente des étoiles individuelles. Chaque couche contribuait de manière égale à la luminosité de la voûte céleste.

 

Utilisant une méthode photométrique due à l'astronome écossais James Gregory, Chéseaux estima que les étoiles les plus brillantes devaient être à une distance d'environ quatre années-lumière du Soleil. Il établit alors qu'un hémisphère de la voûte céleste entièrement recouvert d'étoiles serait 90000 fois plus brillant que le Soleil et qu'il faudrait 760 mille milliards de couches d'une épaisseur de quatre années-lumière chacune pour recouvrir le ciel, les couches plus éloignées ne contribuant plus à la luminosité du fond de ciel, car cachées par les couches internes, ce qui induisait logiquement la notion de limite de visibilité. Le nombre d'étoiles nécessaire au recouvrement de la sphère céleste était alors de l'ordre de 10 puissance 46 étoiles.

 

Chéseaux en déduisit qu'une absorption interstellaire de la lumière devait pouvoir expliquer le paradoxe dans un univers infini en masquant les étoiles les plus lointaines et induire l'obscurité du ciel nocturne. Ce faisant, il admettait, comme nombre de cartésiens avant lui, qu'il existait un milieu matériel omniprésent baignant l'Univers et qui absorbait la lumière des objets les plus éloignés. Une brume noyait petit à petit la lumière des astres.

 

5.5. Autres solutions proposées au XVIIIème siècle.

 

En 1750, dans son ouvrage Théorie originale ou nouvelle hypothèse sur l'Univers, l'Anglais Thomas Wright, dit de Durham, reprit une idée qu'il avait déjà avancée en 1734 lors d'une conférence, idée selon laquelle les étoiles occupaient une distribution sphérique de très grand rayon. Toutes les étoiles, y compris le Soleil, étaient animées d'un lent mouvement de révolution autour du centre de cette sphère que Wright appela la Demeure de Dieu, localisée à l'un des pôles galactiques. Ainsi, l'apparence de grand anneau formé par la Voie Lactée autour de la Terre, aspect connu depuis la plus haute antiquité, n'était en fait due selon lui qu'au très grand rayon de cette sphère, ce qui rendait le centre invisible depuis la Terre.. Il supposa également que d'autres systèmes stellaires pouvaient peut-être exister à d'énormes distances de notre Voie Lactée, devenant ainsi le précurseur de la vision moderne du cosmos. La notion d'Univers-île était née.

 

Tout en reprenant certaines idées de Wright, le philosophe Emmanuel Kant proposa en 1755 dans son ouvrage Histoire générale de la nature et théorie du ciel l'idée que notre Voie Lactée était un système plan et donna un schéma évolutif pour notre Univers à partir du chaos originel par l'action des forces de gravitation, les mondes se formant dans le flux tourbillonnaire des atomes. Il introduisit également la notion de nébuleuse primitive générant le système solaire par contraction gravitationnelle. Il distingua certaines nébuleuses comme étant des Univers-îles, les autres étant des amas d'étoiles ou des nuages de gaz interstellaires. Ces idées furent reprises tout à fait indépendamment par Pierre Simon de Laplace (1796) qui les développa de manière plus mathématique.

 

Reprenant une idée déjà émise par le philosophe Emmanuel Swedenborg en 1734, Kant dota l'Univers newtonien, spatialement infini, d'une éternité vers le futur ainsi que d'une structure hiérarchique sur une échelle jamais imaginée auparavant, donnant par là même, sans le savoir, une solution implicite à l'énigme de l'obscurité. Selon lui, les étoiles en mouvement s'associaient en galaxies, celles-ci, orbitant les unes autour des autres, pouvant être regroupées en amas de galaxies lesquels pouvaient également se combiner en systèmes plus importants, et ce jusqu'à l'infini... Le mathématicien Johann Lambert imagina également un système similaire, mais de nature statique et d'extension finie (1761). La vision fractale de l'Univers était née.

 

Outre la découverte d'Uranus, William et Caroline Herschel dressèrent, à l'aide d'une instrumentation alors jamais égalée, les premières cartes de la Voie Lactée par comptage des étoiles. Postulant que l'absorption interstellaire était nulle, que les étoiles étaient semblables au Soleil et réparties uniformément, ils découvrirent que la Voie Lactée était un système aplati dont le Soleil occupait le centre (1785). Les régions obscures internes de la Voie Lactée, connues actuellement pour être des nébuleuses absorbantes, furent assimilées à des trous sans étoiles qui permettaient d'apercevoir le vide stoïcien qui, selon eux, entourait notre Univers-île. William Herschel abandonna donc sa vision épicurienne primitive d'un univers infini pour un cosmos stoïcien. La vision du monde de William Herschel influença très largement la pensée cosmologique de la fin du XIXème siècle qui bascula vers l'idée d'un univers héliocentrique d'extension finie, sous l'impulsion de Richard Proctor qui la relança vers 1870. Cette vision stoïcienne héliocentrique restait évidemment entachée d'un pseudo-géocentrisme non déclaré...

 

6. Solutions proposées au XIXème siècle.

 

6.1. Wilhelm Olbers.

 

Wilhelm Olbers reprit les arguments et la solution de Chéseaux, sans le citer, ce qui fit qu'il donna son nom à l'énigme de l'obscurité (1823). Notant que Halley n'avait pas clairement démontré pourquoi, dans un univers étoilé d'extension infinie, le ciel nocturne était sombre, il fut le premier à utiliser l'argument de la ligne de visée: une droite partant de l'oeil dans une direction quelconque finit par atteindre un point situé à la surface d'une étoile. Il remarqua également que la répartition des étoiles en amas ou en galaxies ne modifiait pas cet argument. Comme Chéseaux, il utilisa les sphères concentriques de Halley ainsi que la méthode photométrique de Gregory, estimant que les étoiles de première grandeur se trouvaient à environ 5.5 années-lumière. En 1838, avant même la mort de Wilhelm Olbers, son collaborateur Friedrich Bessel fut le premier à estimer correctement la distance d'une étoile proche à l'aide de la mesure de sa parallaxe.

 

Olbers pensait, comme Chéseaux, qu'une absorption interstellaire de la lumière expliquait le paradoxe dans un univers infini. Selon lui, un milieu matériel brumeux baignait l'Univers et absorbait la lumière des objets les plus éloignés. Il fut toutefois incapable de comprendre qu'une telle brume atteindrait au bout d'un certain laps de temps un état d'équilibre à une température voisine de celles régnant à la surface des étoiles. Elle deviendrait elle-même émissive et transmettrait l'énergie reçue, transformant le ciel entier en une fournaise ardente.

 

6.2. Edgar Allan Poe.

 

Bien qu'acceptée par tous, la découverte de Römer ne suscita que peu d'intérêt durant tout le XVIIIème siècle, malgré la découverte de l'aberration des fixes par Bradley (1729). Il fallut attendre le début du XIXème siècle pour que cet intérêt renaisse. Beaucoup de scientifiques et de philosophes prirent alors conscience des implications physiques et métaphysiques de la valeur finie de la vitesse de la lumière. Une vitesse finie de la lumière impliquait en effet qu'un objet n'était pas tel qu'il paraissait être, s'étant déplacé et ayant changé d'apparence, que la partie observable de l'Univers ne s'étendait pas au-delà de la distance parcourue par la lumière depuis le commencement et que son âge était au moins égal à l'étendue de l'Univers visible divisée par la vitesse de la lumière, en opposition flagrante avec les théologies dominantes qui donnaient un âge court à l'Univers.

 

Par utilisation des conséquences implicites de la valeur finie de la vitesse de la lumière, l'écrivain et scientifique amateur Edgar Allan Poe fut le premier à donner qualitativement la solution correcte de l'énigme de l'obscurité (1848). Dans le cas d'un univers d'extension infinie peuplé uniformément d'étoiles, l'arrière-plan céleste aurait dû apparaître, tels des “ remparts dorés ”, avec une luminosité uniforme similaire à celle déployée par la Voie Lactée, puisque qu'il n'y aurait aucun point dans tout cet arrière-plan où n'existât une étoile. La seule manière de rendre compte des vides interstitiels observés était alors de supposer cet arrière plan invisible placé à une telle distance qu'aucun rayon lumineux n'aurait eu le temps de parvenir jusqu'à nous depuis le commencement.

 

6.3. John Herschel.

 

John Herschel, fils de William Herschel, rejeta la solution de l'absorption proposée par Olbers en explicitant correctement l'argument de la brume émissive et de la conservation de l'énergie (1849). Il reprit les idées de son père et proposa un modèle stoïcien héliocentrique du cosmos. Selon lui, il n'y avait pas de différence entre les nébuleuses et les amas stellaires, seules leurs distances les rendaient résolubles en étoiles ou pas. Il pensait que la Galaxie était un système sidéral centré sur le Soleil et englobant toute la matière de l'Univers et que l'obscurité de l'espace extragalactique infini se devinait entre les étoiles. Ses idées furent reprises par la plupart des astronomes de la fin du XIXème siècle.

 

Suivant les théories de Kant et Lambert, il proposa également l'idée qu'un univers hiérarchique structuré de type fractal pouvait être une solution possible à l'énigme de l'obscurité, montrant qualitativement qu'une ligne de visée ne serait pas systématiquement interceptée par la surface d'une étoile pour peu que la densité moyenne en objets dans chaque niveau de hiérarchie soit suffisamment faible (1869). Richard Proctor donna peu de temps après un traitement semi-quantitatif d'une solution hiérarchique (1871).

 

6.4. William Thomson (Lord Kelvin).

 

Lord Kelvin résolut qualitativement et quantitativement de manière correcte l'énigme de l'obscurité de la nuit dans le cas d'un univers transparent, uniforme et statique (1901). Postulant un univers rempli uniformément d'étoiles semblables au Soleil et supposant son extension finie (Univers stoïcien), il montra que, même si les étoiles ne s'occultaient pas mutuellement, leur contribution à la lumière totale ne serait que finie et très faible devant celle du Soleil. Il démontra également que l'âge fini des étoiles interdisait la visibilité des étoiles lointaines dans le cas d'un espace épicurien infini ou stoïcien très étendu, ce qui répondait correctement à l'énigme de l'obscurité.

 

Abandonnant l'hypothèse de l'absorption et clarifiant les traitements de Halley en 1721, de Chéseaux en 1744 et d'Olbers en 1823, le traitement de Kelvin montrait que la fraction du ciel recouvert par les étoiles était égale au rapport de la dimension de l'Univers visible par la limite de visibilité, ainsi qu'au rapport de la luminosité du ciel étoilé par la luminosité du disque solaire. Ceci signifiait que si la dimension de l'Univers visible était égale à la limite de visibilité, le ciel nocturne était en tout point aussi brillant que le disque solaire. La luminosité globale du ciel nocturne devait donc donner un aperçu de la taille de l'Univers visible, soit qu'il fût de taille réellement finie, soit que la lumière n'avait pas encore eu le temps de nous parvenir des régions éloignées. Il faut cependant remarquer que le résultat donné par Kelvin ne représente qu'une approximation de la fraction du ciel recouverte par les étoiles dans le cas où cette dernière reste faible devant un.

 

6.5. Autres solutions proposées au XIXème siècle.

 

La plupart des autres solutions données au XIXème siècle consistait à admettre que notre Univers était de type stoïcien héliocentrique, entouré d'un vide plus ou moins rempli de particules obscures et plus ou moins rempli d'éther luminifère. William Huggins, pionnier de la spectroscopie stellaire avec sa femme Margaret Huggins, et Agnès Clerke, vulgarisatrice scientifique, furent avec John Herschel et Richard Proctor parmi les plus zélés défenseurs de cette hypothèse qui donnait une réponse élégante à l'énigme de l'obscurité. Selon eux, le Soleil se trouvait au centre ou presque au centre de la Galaxie unique, composée d'environ un milliard d'étoiles et d'un rayon de mille parsecs approximativement.

 

Simon Newcomb (1878) et John Gore (1888) donnèrent une solution curieuse mais erronée à l'énigme de l'obscurité nocturne en supposant que la lumière ne pouvait franchir les espaces intergalactiques, s'ils existaient, par manque d'éther, milieu matériel indéfini nécessaire à la propagation de la lumière selon les physiciens des siècles passés. Ce milieu luminifère, l'ancien éther aristotélicien, ne pouvait selon eux être présent que près des galaxies, rendant les autres invisibles depuis l'une d'entre elles qui aurait été entourée de “ parois réflectrices ”. Chaque galaxie retient sa propre lumière. Aucun des deux auteurs n'a en fait réalisé que cette explication n'en était pas une, les parois réflectrices ne faisant que déplacer le problème et rendant le fond de ciel uniformément brillant.

 

7. Solutions proposées au XXème siècle.

 

Le XXème siècle a été celui des explications cosmologiques de l'énigme de l'obscurité. Cependant, d'autres solutions ont également été proposées durant les premières décennies.

 

7.1. Edward Fournier d'Albe.

 

Edward Fournier d'Albe proposa en 1907 plusieurs solutions originales dans un ouvrage appelé “ Two New Worlds ”. Selon lui, l'énigme de l'obscurité pourrait être expliquée en supposant que l'Univers était rempli d'objets sombres et que les étoiles brillantes n'étaient que des astres exceptionnels, souvent occultés par des objets sombres. Dans ce cas, la fraction d'étoiles lumineuses serait égale à la fraction de ciel recouverte par des étoiles lumineuses. Cette solution, bien que logiquement exacte, a été ultérieurement écartée par les observations du milieu interstellaire et de la structure de notre Univers.

 

Rejetant l'idée d'un éther luminifère non uniforme dans l'Univers, donc la solution de Newcomb-Gore, Fournier d'Albe, reprenant les idées de John Herschel et de Richard Proctor, défendit le concept d'un univers hiérarchique composé de structures semblables aux différentes échelles. Cette idée fut reprise et approfondie peu de temps après par Carl Charlier.

 

Reprenant la solution de Poe-Kelvin, Fournier d'Albe proposa l'idée d'un univers jeune comme solution à l'énigme de l'obscurité en remarquant que l'horizon visible serait alors animé d'un mouvement de récession qui induirait une croissance de la taille de l'Univers visible à la vitesse de la lumière. L'Univers, en vieillissant, s'offrirait de plus en plus aux regards des observateurs. L'horizon, qui s'éloignerait de nous à la vitesse de la lumière, se situerait alors à une distance égale au produit de cette vitesse par le temps écoulé depuis l'instant zéro. Cette solution, bien que s'appliquant au cas d'univers statique, préfigura les solutions cosmologiques ultérieures décrivant un univers en expansion. La lumière issue de l'horizon nous renseignait sur les conditions régnant à l'époque de l'apparition des premières étoiles. De plus, la durée de vie finie des étoiles ne ferait que limiter le nombre d'étoiles visibles à chaque instant.

 

Fournier d'Albe proposa comme plaisanterie une solution assez loufoque consistant en des alignements d'étoiles invisibles derrière les étoiles visibles, ce qui ramènerait à un curieux géocentrisme exotique fort peu vraisemblable!

 

Pour Fournier d'Albe, l'argument selon lequel le ciel avait en tout point une luminosité uniforme égale à celle du Soleil dépendait du bien fondé des quatre hypothèses suivantes: le non-alignement des étoiles; la durée de vie infinie des étoiles; la très faible influence de l'obscurcissement par des corps sombres et l'omniprésence de l'éther luminifère.

 

7.2. Début du XXème siècle: solutions diverses.

 

Reprenant les arguments de Fournier d'Albe sur l'Univers hiérarchique, Carl Charlier déduisit une solution hiérarchique quantitative à l'énigme de l'obscurité et montra que l'Univers hiérarchique permettait de résoudre l'énigme de la gravitation de Newton-Bentley (Univers en équilibre instable) dans un univers infini contenant une matière uniformément répartie (1908 et 1922). Selon lui, un univers hiérarchique serait transparent lorsque, à tous les niveaux de hiérarchie, le carré du diamètre de l'amas est supérieur au nombre d'étoiles de l'amas multiplié par le carré du diamètre d'une étoile. Dans un tel univers, la densité moyenne diminuerait à mesure qu'elle serait calculée sur des volumes de plus en plus grands, pour tendre finalement vers zéro dans un univers d'extension infinie possédant une infinité de niveaux hiérarchiques. Il ne remarqua pas que la solution hiérarchique ignorait la vitesse de la lumière et supposait que toutes les parties de l'Univers restaient accessibles, quel que soit leur éloignement.

 

Svante Arrhenius argumenta aussi bien contre le modèle hiérarchique que contre la vision stoïcienne héliocentrique de l'Univers (1911). Selon lui, l'Univers, bien que spatialement infini, possédait un âge fini. Le ciel paraissait sombre par combinaison de cet âge fini et d'un obscurcissement provoqué par des corps non lumineux tels que les poussières cosmiques, les météorites, les planètes et les compagnons invisibles des étoiles. Il n'a pas alors réalisé qu'un âge fini était une solution suffisante à l'énigme de l'obscurité et la solution de l'absorption n'était pas recevable, du fait de l'équilibre radiatif qui finirait par s'installer en tout point de l'Univers.

 

Tandis que Jacobus Kapteyn, suivant en cela William Herschel, élaborait un modèle de la Galaxie de type stoïcien héliocentrique à grande échelle (début du XXème siècle), deux autres astronomes, Edward Barnard et Robert Trumpler, prirent au sérieux le problème de l'absorption de la lumière par la matière interstellaire. Utilisant les travaux de Henrietta Leavitt sur la relation période-luminosité des étoiles variables de type céphéide des nuages de Magellan (1908) et de Ejnar Hertzprung sur la calibration statistique de la distance des céphéides proches, Harlow Shapley utilisa cette relation période-luminosité comme un étalon de mesure pour les distances des céphéides plus éloignées, qui purent alors servir de repère pour arpenter la Galaxie et pour connaître la distance des “ nébuleuses spirales ” proches.

 

Shapley estima la distance des amas globulaires en fonction de leur dimension angulaire, de leurs étoiles les plus brillantes, des périodes et des luminosités apparentes de leurs céphéides et découvrit qu'ils étaient sphériquement distribués autour d'un point éloigné situé dans la constellation du Sagittaire. Il proposa alors ce point comme étant le centre de la Galaxie, donnant sans le vouloir un coup de couteau au coeur de l'hypothèse stoïcienne héliocentrique. Jan Oort montra ensuite que le disque de la Galaxie était en rotation autour de ce centre, lui-même situé à environ 30000 années-lumière du Soleil (1927).

 

Shapley fut l'un des derniers astronomes à penser que l'énigme de l'obscurité pouvait se résoudre dans le cadre d'un univers de type stoïcien (1917). Selon lui, ou bien l'étendue de l'espace était de taille finie, ou bien le ciel serait embrasé par une lumière resplendissante. Négligeant trop l'action de l'absorption interstellaire, il pensait que notre Univers consistait en une galaxie géante de forme disque bien plus étendue que ce qui était supposé auparavant et entourée d'amas globulaires centrés sur le centre galactique.

 

7.3. 1920: Le Grand Débat.

 

Bien que pressentie par plusieurs penseurs du XIXème siècle, la notion d'univers en évolution ne fut admise qu'après 1925, après le rejet définitif de la vision stoïcienne héliocentrique de l'Univers. Avant cette date, un débat acharné, nommé “ le Grand Débat ”, opposa les tenants d'un univers stoïcien héliocentrique ou galactocentrique, en particulier Harlow Shapley, aux tenants d'un univers épicurien d'extension infinie, en particulier Hebert Curtis (1920). Ce fut le dernier soubresaut de la vision stoïcienne de l'Univers, après plus de deux mille années de rivalité entre les deux systèmes rivaux issus de la philosophie grecque.

 

La controverse prit définitivement fin lorsque Edwin Hubble parvint à résoudre en étoiles la “ nébuleuse spirale ” d'Andromède (1924). Utilisant les travaux de Leavitt et Shapley sur les céphéides, il put montrer que cet objet était distinct et de même nature que notre Voie Lactée, devenant alors la galaxie d'Andromède. D'autres galaxies furent ultérieurement identifiées comme étant beaucoup plus éloignées du Soleil que les points extrêmes de notre Galaxie. Ces découvertes ont induit la connaissance de trois types principaux d'objets non stellaires distincts, les amas d'étoiles, les nuages de gaz et de poussières interstellaires et les galaxies, donnant naissance à la vision actuelle de l'Univers.

 

7.4. XXème siècle: solutions cosmologiques.

 

7.4.1. Solutions statiques.

 

La théorie relativiste de la gravitation, appelée relativité générale et établie par Albert Einstein en 1915, changea complètement l'orientation des solutions proposées à l'énigme de l'obscurité. La vision d'un univers en expansion avec une vitesse de la lumière constante, démontrée par les expériences de Albert Michelson et Edward Morley et confirmée par les théories des relativités restreintes et générales, devint universelle après 1925. Les géodésiques de l'espace et la perception du temps perdirent leurs caractéristiques euclidiennes et absolues pour devenir curvilignes et relatives.

 

Plusieurs solutions curieuses de l'énigme de l'obscurité furent proposées durant tout le XXème siècle par utilisation de certaines applications de la théorie de la relativité générale. Barrett Frankland (1913) et Willem de Sitter (1917) remarquèrent que, dans un espace courbe, un observateur devrait apercevoir les faces avant et arrière d'une même étoile, en particulier du Soleil, dans des directions diamétralement opposées du ciel, et de même brillance dans le cas où la lumière ne subirait pas d'atténuation dans l'espace interstellaire, toute différence entre les deux images venant de la différence des chemins optiques, un trajet court et un trajet long. Le fait de ne pas observer d'image du Soleil durant la nuit indiquait donc soit la présence d'une absorption, soit que la longueur du trajet long est supérieure au produit de la vitesse de la lumière par l'âge de l'Univers. Cette solution est tout à fait correcte dans le cas de cette variante exotique de l'énigme de l'obscurité.

 

Une autre solution proposée par Johann Zöllner (1883) et reprise par Stanley Jaki (1969) consistait à affirmer qu'un univers fini, non borné et enfermé à l'intérieur d'un espace sphérique, résolvait l'énigme de l'obscurité dans le cas où la limite de visibilité serait très supérieure au rayon d'un tel univers. Les étoiles diffuseraient leurs rayons, lesquels pourraient alors parcourir l'Univers pour revenir à leur point de départ, sans remplir l'espace de divers rayonnements. Cependant, la courbure de l'espace ne pouvait expliquer l'énigme de l'obscurité cosmique, les perturbations gravitationnelles induites par les étoiles sur les rayonnements les déviant légèrement tout au long de leurs parcours et les faisant aboutir finalement à la surface d'une étoile. De plus, comme dans un univers spatialement infini d'âge fini, le ciel serait noir dans un tel univers parce que les étoiles n'ont pas une durée de vie suffisante pour briller durant un temps égal à celui nécessaire à un rayonnement pour atteindre la surface d'une étoile. La solution de Poe-Kelvin s'appliquerait ainsi à tous les espaces non bornés, uniformes, qu'ils soient finis ou infinis. Par contre, le ciel serait brillant aussi bien pour un univers sphérique fermé borné que dans un univers borné non fermé d'extension infinie et d'âge infini.

 

Soulignant que le noir du ciel nocturne devait pouvoir être expliqué par une bonne théorie cosmologique et reprenant une idée de William MacMillan émise en 1925 sur un univers stationnaire où les étoiles se dissolvaient lentement en rayonnements, lesquels se retransformaient en atomes matériels qui pouvaient ensuite se regrouper en étoiles, Hermann Bondi et Thomas Gold proposèrent en 1948 un modèle stationnaire de l'Univers en expansion qui raviva l'intérêt pour l'énigme de l'obscurité. Ce modèle postulait la création continue de matière aux dépens du rayonnement afin d'obtenir une conservation de la valeur de la densité moyenne de l'Univers au cours du temps, ce qui donnait une autre solution à l'énigme de l'obscurité, le trop-plein de rayonnement issu du fond de ciel étant soit utilisé pour la synthèse de la matière interstellaire, soit transformé en rayonnement de longueur d'onde très longue par l'action du décalage vers le rouge des raies spectrales au cours du temps. Ce modèle, bien que très ingénieux et vigoureusement défendu par l'astronome anglais Fred Hoyle, fut définitivement abandonné en 1965, lors de la découverte du rayonnement fossile, malgré son explication correcte de l'énigme de l'obscurité.

 

7.4.2. Solutions dynamiques.

 

L'expansion de l'Univers, découverte par Vesto Slipher à partir de mesures effectuées entre 1912 et 1923 sur les galaxies extérieures qui, présentant un décalage vers le rouge de leurs raies spectrales, semblaient s'éloigner d'un observateur d'autant plus vite qu'elles étaient plus lointaines, permit de comprendre que l'Univers n'était pas statique, contrairement à ce qu'avaient postulé Albert Einstein et de Sitter. Les univers relativistes théoriquement possibles n'étaient, de fait, pas statiques dans leur grande majorité, les quelques cas d'univers statiques étant instables, comme le démontra ultérieurement Arthur Eddington, soit pour des raisons géométriques ou dynamiques, soit dès qu'une particule ou un observateur se trouvait à l'intérieur. Alexandre Friedmann, en 1922, et Georges Lemaître, en 1927, furent les premiers à étudier le cas des univers non statiques.

 

Milton Humason élargit le champ d'investigation des travaux de Slipher sur le décalage vers le rouge des raies spectrales des objets éloignés, alors que Edwin Hubble classifia les galaxies et en détermina les distances. Utilisant les travaux de divers théoriciens, ils établirent la relation entre la vitesse de récession et la distance des galaxies (VR = H d). Utilisant les modèles d'univers non statiques, les physiciens George Gamow, Ralph Alpher et Robert Herman montrèrent que l'Univers avait été dans un état plus dense et plus chaud dans le passé, ayant débuté dans un état condensé ultérieurement appelé Big Bang. D'autres astronomes soulignèrent que la récession n'était pas, en fait, composée de vitesses énormes propres aux galaxies, mais que l'expansion représentait une déformation intrinsèque de la texture du continuum espace-temps qui supportait l'Univers.

 

Une solution évidente de l'énigme de l'obscurité se dégagea alors rapidement de la relation vitesse-distance. Le fond de ciel était sombre parce que les galaxies lointaines situées à l'extérieur d'une sphère appelée sphère de Hubble étaient animées d'une vitesse de fuite supérieure à la vitesse de la lumière, à cause du mouvement d'expansion de l'Univers: même la lumière qu'elles émettaient en direction de l'observateur s'éloignait en voyageant vers lui. Seules les galaxies situées à l'intérieur de la sphère de Hubble s'éloignaient à une vitesse de fuite inférieure à celle de la lumière et étaient visibles depuis la Terre. La sphère de Hubble définissait un horizon de visibilité au-delà duquel rien n'était observable.

 

Une autre solution de l'énigme de l'obscurité fut également déduite de l'existence de l'horizon cosmologique et du Big Bang. L'Univers visible devait s'étendre jusqu'à une distance limitée par l'âge de l'Univers, avec quelques corrections dues à l'expansion, par la vitesse de la lumière et par la durée de vie des différents systèmes astronomiques. Les lignes de visées devaient au plus atteindre la frontière de la région observable autour de la Terre, c'est-à-dire l'horizon cosmologique, ou sphère de dernière diffusion, défini par la recombinaison, environ trois cent mille ans après le Big Bang, à l'époque où le ciel était brillant. Cependant la lumière issue de l'Univers primordial, qui a voyagé sans obstacles depuis l'horizon jusqu'à l'observateur durant environ quinze milliards d'années, a été refroidie, décalée vers le rouge et affaiblie par l'expansion, ce qui induirait un ciel sombre dans le visible. La découverte du rayonnement cosmologique fossile associé à un décalage spectral de 1000 en 1965 par Arno Penzias et Robert Wilson confirma cette solution.

 

Une autre solution à l'énigme de l'obscurité fut proposée par Edward Harrison en 1977. Il montra qu'en fait l'Univers ne contient pas suffisamment d'énergie par unité de volume pour engendrer un ciel brillant. Selon lui, il faudrait des milliers de milliards de fois plus d'étoiles qu'il en existe actuellement, ou bien des étoiles ayant des durées de vie beaucoup plus longues, pour obtenir les “ remparts dorés ” de Poe. Cette solution regroupait en une seule plusieurs solutions exactes proposées antérieurement. Manquant de l'énergie nécessaire, notre Univers ne pouvait en aucun cas générer un ciel illuminé par les étoiles, même s'il était d'extension infinie. Soumises à l'expansion qui augmente le déficit en énergie, les galaxies, et les étoiles qui les composent, sont devenues en fait beaucoup trop éloignées les unes des autres à l'époque actuelle. Cependant, peu après le Big Bang, la densité énergétique était encore suffisamment importante pour que le ciel ait alors été brillant.

 

Remarquant qu'il n'y a pas une cause unique à la noirceur du ciel nocturne mais qu'il y en a deux principales, André Maeder, de l'Observatoire de Genève, proposa en 1988 une solution sous forme de synthèse à l'énigme de l'obscurité en calculant les contributions intégrées des étoiles et galaxies d'un côté et de la sphère de dernière diffusion, l'horizon cosmologique, de l'autre côté et en montrant que ces deux intégrales convergeaient vers des valeurs finies. Selon lui, la contribution lointaine de la sphère d'opacité, où qu'elle se trouve et quelles que soient ses propriétés, est affaiblie par le décalage spectral dû à l'expansion de l'Univers et se retrouve dans le rayonnement thermique cosmologique à 3 K. Les étoiles sont des sources trop éphémères pour que, compte tenu de leur densité dans l'Univers, elles puissent saturer l'espace de leur rayonnement. Pour obtenir un ciel aussi brillant que le Soleil, il aurait fallu, soit que la durée de vie moyenne des étoiles, soit que la densité des étoiles dans l'espace, fût de l'ordre de 10 puissance 14 fois plus grande. De plus l'âge fini de notre Univers limite la portion de l'espace accessible, mais cet âge fini n'apparaît pas, en fin de compte, comme étant la raison principale de l'obscurité du ciel nocturne.

 

8. Conclusion.

 

Au XIXème siècle, de nombreux astronomes et autres personnes ont probablement soupçonné la solution correcte de l'énigme de l'obscurité. Certains, comme Edgar Allan Poe, évoquèrent la possibilité que la lumière des étoiles lointaines n'ait pas encore eu le temps d'atteindre la Terre. Mais ce fut Lord Kelvin qui effectua au début du XXème siècle les calculs montrant que, dans un univers tel que le nôtre, le ciel est nécessairement sombre.

 

L'idée d'un univers visible de taille finie entourant l'observateur comme un étang de lumière au-delà duquel s'étend un univers invisible de taille illimitée vit lentement le jour et fut accepté avec circonspection. Pourtant, presque toutes les estimations de la durée de vie lumineuse des étoiles avaient montré que l'Univers visible contenait bien trop peu d'étoiles pour pouvoir recouvrir le ciel entier, ce qui rendait la voûte céleste nécessairement sombre. Toute solution de l'énigme de l'obscurité qui admettait l'existence d'un horizon révélant l'instant origine devenait alors correcte, en particulier celles qui utilisaient l'âge fini de l'Univers ou le décalage vers le rouge du rayonnement fossile.

 

Confirmées par les approches mathématiques et astrophysiques du problème, les solutions cosmologiques donnent actuellement les meilleures réponses possibles à l'énigme de l'obscurité. Le ciel nocturne est noir parce que l'âge de l'univers est fini (1) et, surtout, parce qu'il ne dispose plus d'une énergie suffisante, que ce soit d'origine stellaire ou d'origine cosmologique, pour illuminer le ciel en lumière visible, cette énergie étant affaiblie et décalée vers le rouge et son reliquat se retrouvant actuellement dans le rayonnement cosmologique fossile. Ces analyses englobent maintenant toutes les autres solutions correctes de l'énigme de l'obscurité, mais ni Chéseaux ni Olbers, à leurs époques respectives, n'ont eu en leur possession les outils nécessaires à l'élaboration de telles analyses...

 

Bibliographie.

 

Allen, C. W. : 1973, “ Astrophysical quantities ”, 3rd ed., The Athone Press, University of London, UK.

Duhem, P. : 1965, “ Le système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic ”, Tomes I à X, Hermann, Paris.

Ferries, T. : 1980, “ Galaxies ”, Thames and Hudson, London, UK.

Harrison, E . : 1987, “ Darkness at Night ”, Harvard University Press, Cambridge, U.S.A. (en Français: “ Le noir de la nuit: une énigme du cosmos ”, 1990, éditions du Seuil, Paris, France).

Koyré, A. : 1961, “ La révolution astronomique: Copernic, Kepler, Borelli ”, Hermann, Paris.

Koyré, A. : 1962, “ Du monde clos à l'Univers infini ”, Presses Universitaires de France, Paris.

Maddox, J. : 1991, “ Olbers' Paradox has more to teach ”, Nature, 349, 363.

Maeder, A. : 1988, “ Un regard nouveau sur le paradoxe du ciel nocturne ”, dans “ La cosmologie moderne ”, 2nd édition, Masson, Paris, pages 191 à 203.

Nitschelm, C. : 2000, “ L'astronomie de la Préhistoire à nos jours ”, Éditions Burillier, Vannes.

Pecker, J.-C. : 1981, “ Le ciel est noir ”, Pour la Science, 44, 124.

Pecker, J.-C. : 1983, “ L'astrologie et la science ” , La Recherche, 14, 118.

Serres, M. (sous la direction de): 1989, “ Eléments d'Histoire des Sciences ”, Cultures, Bordas, Paris.

 

Pour une bibliographie complète, voir celle de l'ouvrage de E. Harrison.

 

Les différentes conceptions philosophiques antiques

importantes dans le cadre du paradoxe de Chéseaux-Olbers.

 

Epicurisme

Univers infini

Nombre d'étoiles infini

Paradoxe de Chéseaux-Olbers

Antiquité, Renaissance, du XVIème siècle au XIXème siècle (avant 1870), XXème siècle (après 1920)

Aristotélisme

Univers fini

Nombre d'étoiles fini

Enigme de la frontière cosmique (Archytas de Tarente)

Antiquité, Moyen Age (jusqu'en 1277)

Stoïcisme

Univers fini entouré d'un vide extracosmique infini

Nombre d'étoiles fini

Pas de paradoxe

Antiquité, Fin du Moyen Age (après 1277), Renaissance, du XVIIème siècle au XIXème sièce (surtout après 1870), XXème siècle (jusqu'en 1920)

Christian Nitschelm

 

Ce texte, écrit en 1991 et modifié en 1997 est extrait © du site personnel de Christian Nitschelm, docteur en astrophysique, attaché au Groupe de Recherche en Astrophysique de l'Université d'Anvers (RUCA), et collaborateur extérieur à l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP), Il a été reproduit grâce à son aimable autorisation. Vous pouvez bien sûr aller consulter la version originale sur son site. Christian Nitschelm est auteur d’une histoire de l’astronomie de la préhistoire à nos jours.

 

    

(photo : C. Nitschelm à l’occasion d’un débat dans un café philosophique)

©  Christian Nitschelm, 1999 http://www.astrosurf.com/nitschelm/index.html

 

(1) note commentaire afis44 : l'affirmation, qui pourrait sembler définitive en première lecture, suivant laquelle «le ciel nocturne est noir parce que l'âge de l'univers est fini » est bien entendu imputable au fait que l'auteur fait référence au modèle cosmologique standard, dit « Big Bang », lequel est actuellement assez largement accepté par la majorité des astronomes et des astrophysiciens, malgré certaines zones laissées dans l'ombre et une impasse au niveau philosophique en ce qui concerne la notion d'instant primordial. Effectivement, si cette hypothèse est correcte alors, comme le dit très bien Christian NITSCHELM, il n'y a plus de paradoxe d'Olbers. Cependant nous sommes bien placés, dans l'univers rationaliste, pour savoir que la question de la validité du modèle du « Big Bang » est toujours de l'ordre de la controverse scientifique puisque nos amis Evry SCHATZMAN et Jean-Claude PECKER, « pères » de l'astrophysique française, n'y apportent pas la même réponse. Contacté sur la question du paradoxe d'Olbers sur laquelle il a déjà publié, Jean-Claude PECKER, ayant notamment continué à travailler sur les pistes ouvertes par le suédois Carl CHARLIER et à reprendre des calculs contemporains ou postérieurs qui étaient erronés, considère que la seule affirmation suivant
laquelle l'univers est fractal est suffisante à rendre compte du paradoxe d'Olbers, et ce même avec l'hypothèse d'un âge infini de l'univers. 17 septembre 2003   [ Michel NAUD ]

 afis, Science et pseudo-sciences, 14 rue de l'école polytechnique, 75005 PARIS.