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DOSSIER : le clonage humain

 

sujet          : informations générales

document : conférence de Bertrand JORDAN ( 2003 )
conférence de Bertrand JORDAN

8 septembre 2003, muséum d’histoire naturelle, nantes

 

Cette conférence était co-organisée par le comité départemental de l’AFIS, la section départementale de l’Union Rationaliste et le groupe de Nantes de la Libre Pensée.

Bertrand JORDAN, biologiste moléculaire, directeur de recherches émérite du CNRS, membre des comités scientifique et de parrainage de l’AFIS, est l’auteur de nombreux ouvrages dont les derniers, publiés au Seuil, collection « science ouverte » sont « les imposteurs de la génétique » (2000), « le chant d’amour du concombre de mer » (2001) et « les marchands de clones » (2003).

 

                                       

 

 

 

L’annonce en 1997 de la naissance de la brebis DOLLY au sein du laboratoire du ROSLIN INSTITUTE a fait prendre conscience à une large fraction de la population que la réussite du clonage de ce mammifère rendait plausible qu’un jour finalement pas si éloigné un autre mammifère qui nous intéresse au plus haut point pourrait être cloné, à savoir l’homo sapiens sapiens, autrement dit : nous.

 

Cette prise de conscience a ainsi revigoré l’ensemble des craintes et des fantasmes qui ont accompagné l’histoire de la génétique et des biotechnologies.

 

Ces fantasmes vont d’une mise en œuvre à grande échelle d’une sélection des individus suivant des critères divers et variés ( sexe, couleur des yeux, taille, intelligence, etc. version Bienvenue à Gatacca pour les amateurs de science fiction ; cette sélection est d’ailleurs possible sur la base d’une procréation in vitro « conventionnelle ») à la création d’une armée de clones identiques (version Stars war) en passant par la reproduction à l’identique de tel savant fou ou de tel dictateur (par exemple Hitler comme dans Boys from Brazil).

 

La conférence a donc pour objet d’une part d’informer sur la réalité du clonage, d’en aborder les enjeux, et donc d’ouvrir le débat.

 

Etat des lieux en matière de clonage

 

La base de la reproduction à l’identique, c’est la division cellulaire : rien de nouveau là dedans et très répandue à l’échelle des bactéries par exemple.

 

Le clonage d’organismes complexes est lui aussi mis en oeuvre, de façon ancienne et courante, par les jardiniers, amateurs ou professionnels, en reproduisant les végétaux (adultes) par bouturage.

 

Pour les animaux supérieurs (les mammifères, dont nous faisons partie) et notamment les humains, le clonage accidentel par division de l’oeuf (les vrais jumeaux) est certes rare mais suffisamment fréquent pour que chacun en connaisse mais il s’agit de cellules non différenciées. Réaliser de façon volontaire des naissances gémellaires en réalisant « mécaniquement » des divisions de l’ovule est certes délicat sur le plan opératoire mais est réalisable et réalisé chez des animaux : cela marche si on ne met pas « la barre trop haut » (produire trop d’individus identiques d’un coup).

 

La question qui était controversée jusqu’aux expériences qui se concrétisées au final par la naissance de DOLLY était celle de la possibilité pratique de développer un nouvel individu complet à partir d’une cellule adulte différenciée (par exemple une cellule de peau ou une cellule de foie).

 

Ce que l’on savait c’était bien sûr que chaque cellule contient l’intégralité du patrimoine génétique d’un individu. Ce patrimoine, en reproduction sexuée, provient de l’addition des chromosomes présents dans le noyau de l’ovule à ceux présents dans le noyau du spermatozoïde. L’idée de base du clonage est donc de se dire : si « on saute une étape », si on extrait d’un ovule son noyau (en gardant « le reste » qui servira à la « mécanique » de la reproduction) et qu’on lui substitue un noyau complet, avec un peu de chance, si on sait mettre le moteur de la division cellulaire en route, on devrait pouvoir arriver à produire un nouvel individu, individu qui aurait alors un patrimoine génétique identique à celui chez lequel a été prélevé la cellule.

 

La difficulté qui était envisagée était que les cellules se différencient : pour devenir une cellule de foie , une cellule nerveuse … ou une cellule de peau certains gènes « s’activent », d’autres précédemment actifs s’ «éteignent », et d’autres enfin ne s’ « allumeront » jamais. Une cellule adulte est une cellule dont le noyau possède certes l’intégralité du patrimoine génétique mais qui a suivi toute une histoire. C’est donc la question du « Reset » qui est la question centrale : la cellule pourra-t-elle reprendre la phase de programmation à zero … ?

 

Sur la base d’expériences sérieuses la réponse a été longtemps un non catégorique ; avec le temps, et beaucoup de travail de laboratoire, ce non est devenu moins catégorique mais nous n’en sommes pas encore au « oui franc et massif » et nous ne savons même pas si il y aura ou non un « oui franc et massif ».

 

Dolly a été la première preuve vivante que le reset est suffisamment proche du point zéro pour que la division cellulaire « s’allume », que les différentiations se fassent normalement, que l’on puisse atteindre la naissance d’un animal en première approche « normal » et qui se reproduise normalement avec une descendance complètement normale. 


Le mode opératoire

 

Les individus en jeu sont :

-          une donneuse d’ovule

-          un(e) donneur(euse) de cellule avec un noyau complet

-          une mère porteuse chez qui on implantera l’embryon.

-          Le clone, copie conforme du (de la) donneuse de cellule.

 

Une illustration francophone, en noir et blanc, et avec des souris est donnée avec le document INFOSCIENCE et une illustration anglophone, en couleur et avec des brebis est donnée pour illustrer la naissance de DOLLY.

Des photos de la première phase (de l’énucléation de l’ovule au moyen d’une pipette jusqu’à la réinsertion de la cellule dans l’ovule) sont présentées au public par le ROSLIN INSTITUTE.

 

Cela a été réalisé pour des brebis, des bovins, des porcs, … etc, les derniers en date étant des équidés ( un mulet et une jument ).

 

Ceci dit, le processus n’est pas encore maîtrisé : le taux de réussite (évalué par une naissance vivante) est de l’ordre de 1 % du nombre d’ovules mises en œuvre à la naissance effective d’un individu vivant.

 

A titre d’exemple, pour le clonage du premier cheval (la jument Prométhée) 814 ovules ont été mises en œuvre à partir desquelles seulement 8 embryons mâles et 14 embryons femelles se sont développés jusqu'au stade du blastocyte après 7 jours de culture in vitro en laboratoire. Parmi les 17 embryons qui ont été transplanté chez des juments, seuls 4 ont permis une grossesse, dont une seule est arrivée a terme, donnant ainsi naissance à Prométhée.

 

De plus on peut probablement dire qu’à ce jour aucun clone n’est vraiment « normal » ; certes Dolly a vécu une vie de brebis (même si elle a été la plus médiatisée des brebis) et a eu une descendance normale (album de photos de DOLLY) mais elle a vécu 6 ans ce qui tout en n’étant pas anormal est néanmoins plutôt court pour une brebis. D’une façon générale, les autres animaux clonés rencontrent semblent-ils des difficultés de santé encore peu maîtrisées, à l’image de l’annonce récente du décès des quatre derniers porcs clonés. L'hypothèse dominante veut que l'ADN, c'est-à-dire le code génétique de l'animal, ne soit pas vraiment "reprogrammé" à zéro au moment de la fécondation.

 

Il semblerait par ailleurs, d’après les travaux réalisés chez le singe, que pour les mammifères les plus complexes (les primates et donc l’homme) ces difficultés soient encore plus grandes.

 

Les enjeux du clonage animal

 

Les deux enjeux majeurs sont relatifs à l’élevage et aux applications thérapeutiques humaines.

 

En matière d’élevage l’objectif peut être de cloner une vache laitière particulièrement productrice ou un taureau (ou étalon) reproducteur particulièrement apprécié, l’une et les autres ayant ainsi une valeur marchande importante.

 

Les enjeux thérapeutiques sont plus variés.

 

Par exemple, l’objectif sous-jacent de la recherche du ROSLIN INSTITUTE avec PPL THERAPEUTICS, recherche qui a amené à la naissance de DOLLY était en réalité un jalon pour réussir à obtenir en mariant la technique du clonage et un travail sur les gènes (en insérant des gènes humains et en réussissant à les rendre actifs pour produire des protéines intéressantes sur le plan de la thérapie humaine) des lignées d’animaux génétiquement modifiés : ainsi la brebis POLLY contient produit dans son lait le facteur IX, molécule nécessaire à ceux atteints de l’hémophilie de type B. La production de cette molécule est rendue ainsi beaucoup plus aisée que par voie de synthèse (ce qui est fondamentalement intéressant mais qui plus est, en système marchand, devient de ce fait une perspective intéressante de profit pour celui qui en est capable et a su se protéger par un brevet de ceux qui pourraient le devenir). Il suffit donc d’élever les lignées de ces animaux pour leur lait et de traiter ce lait pour en extraire les protéines qui sont recherchées. Le clonage n’est pas strictement nécessaire pour initialiser une lignée d’animaux génétiquement modifiés mais facilite considérablement le processus.

 

Une autre application est celle des xénogreffes. La greffe d’organe humains est aujourd’hui bien maîtrisée et bien accueillie par la majorité des populations. Par contre la demande d’organes à greffer est très supérieure à l’offre. Pratiquer une xénogreffe c’est greffer un organe animal (typiquement un porc) sur un homme, après avoir traité génétiquement l’animal de façon à ce qu’il n’y ait pas de rejet. Là aussi le clonage n’est pas strictement nécessaire mais permet de lever de grosses difficultés techniques. Ces xénogreffes n’ont pas encore été testées chez l’homme. Là aussi, ce qui d’un côté se traduit par un espoir thérapeutique pour de nombreux humains s’accompagne en conséquence, en système marchand, d’une perspective intéressante de profit pour celui qui en sera capable et saura se protéger par un brevet de ceux qui pourraient le devenir).

 

D’autres enjeux du clonage reproductif animal sont plus limités voire farfelus :

-          La recherche par certains humains de la possibilité de « ressusciter » par clonage leur animal de compagnie préféré. C’est dans l’optique de cette demande que la chatte CC (prononcer comme SISSY mais « lire » copie conforme) est née ; les essais de clonage sur le chien semblent plus délicats et aucun clonage de chien n’a pu à ce jour être concrétisé. Des entreprises se proposent d’ores et déjà de prélever et stocker, moyennant finance, des cellules de votre animal préféré pour être en mesure de le cloner quand les techniques seront au point.

-          La recherche de sauvetage d’animaux en voie de disparition ; cela a été essayé et presque réussi (mort à la naissance) pour le gaur (espèce de bovin sauvage dont une vache a été mère porteuse) ; cela a été réussi pour le mouflon.

-          La recherche de résurrection d’animaux disparus, par exemple en récupérant de l’ADN dans les restes congelés de mammouths sibériens et de réaliser le reste du processus avec des éléphantes. La détérioration de l’ADN mort (immense double chaîne de nucléotides complémentaires) peut faire penser que ceci est impossible, les seuls clonages sur animaux morts réussis l’ayant été en prélevant des cellules « à peine » mortes.

 

La question du clonage humain à finalité reproductive

dit « clonage reproductif »

 

Le clonage reproductif vise, comme pour ceux qui ont été abordés pour les animaux, à produire un être humain vivant. Aux difficultés évoquées précédemment près, cela ne nécessite pas de moyens bien lourds significativement différents de ceux qui existent déjà dans le monde entier dans les laboratoires de procréation assistée et de fécondation in vitro. Les annonces réalisées (à commencer par Eve, qui serait née le 26 décembre 2002, d’après la secte RAEL et sa filiale CLONAID) ne sont pas avérées et sont même très certainement fausses car la preuve de ces clonages, pourtant très facile à apporter par les tests génétiques largement répandus ( ne serait-ce qu’en criminologie ) n’a jamais été apportée.

 

Les motivations les plus couramment évoquées, si on excepte le fantasme de recherche de vie éternelle développé par Raël et ses adeptes, sont

-          la conception d’un enfant génétiquement lié à (l’un des partenaires d’ ) un couple stérile refusant les autres solutions qui lui sont proposées (adoption, etc.) : il s’agit alors de la création d’un enfant dont le patrimoine génétique serait celui de l’un de ses parents.

-          la conception d’un enfant génétiquement identique à un enfant (prématurément) disparu (ce sont de tels parents dont un bébé était décédé suite à une erreur médicale qui ont financé avec les millions de dollars touchés en indemnités les débuts du laboratoire CLONAID de la secte raélienne afin de « redonner une chance » au patrimoine génétique de leur enfant disparu)

Les revendications et argumentaires des propagandistes du clonage reproductif humain s’appuient avant tout sur la liberté de choix de l’individu en matière de procréation.

 

Bon nombre s’y opposent soit par principe même (aux premiers rangs desquels se trouvent bien sûr les religions) soit au nom des risques en matière de santé (physique ou mentale) pour l’individu issu du clonage ou de l’aliénation d’une partie de sa liberté que représenterait le caractère évidemment beaucoup plus déterminé du patrimoine génétique de l’individu par rapport à une reproduction sexuée. Ces arguments, avec des poids respectifs différents, ont conduit à ce que dans la plupart des pays le clonage humain à vocation reproductive est aujourd’hui interdit.

 

La question du clonage humain à finalité thérapeutique

dit « clonage thérapeutique »

 

Le clonage thérapeutique a pour objet de produire des cellules fonctionnelles humaines pouvant être implantées sans risque de rejet chez un patient qui en a besoin. Le début du processus est identique au clonage reproductif. Des cellules sont prélevées chez un patient (par exemple des cellules de peau) et on replace donc dans un ovule préalablement énucléé le patrimoine génétique du patient ; les divisions cellulaires commencent mais le processus est arrêté au bout de quelques jours, lorsque l’on a atteint quelques dizaines ou centaines de cellules avant que le processus de différentiation ait commencé. L’objet est donc alors de réaliser une différentiation maîtrisée pour produire suivant le besoin des cellules de foie, des cellules nerveuses, etc., de les multiplier en laboratoire puis de les implanter chez le patient qui ne les rejettera évidemment pas puisque ces cellules lui sont génétiquement semblables. Ce sont ces enjeux de progrès thérapeutiques (et donc ces perspectives de profits) qui motivent l’essentiel de la recherche en laboratoires de biotechnologie sur le clonage humain. Le principe en est illustré par ces schémas issus de ADVANCED CELL TECHNOLOGY ou du ROSLIN INSTITUTE.

 

Bien entendu, ceux qui sont opposés au principe même du clonage humain sont également opposés au clonage à vocation thérapeutique (au premier rang desquels l’église catholique mais aussi le président américain Bush) ; c’est d’ailleurs cette opposition de principe qui a conduit jusqu’à maintenant qu’aucune directive internationale n’a été prise pour encadrer la recherche en matière de clonage, l’extrémisme des opposants à tout clonage, conduits par la convergence du vatican avec l’administration américaine, ayant empêché de statuer sur quoi que ce soit.

 

Seul le Royaume Uni a adopté à ce jour des directives interdisant le clonage humain à finalité reproductive et autorisant explicitement la recherche à finalité thérapeutique. Les Etats-Unis pourraient interdire toute recherche sur leur territoire. La France, dont le président Chirac a fait état en 1997 de son opposition personnelle au clonage, a interdit la pratique de tout clonage humain mais tolère la menée de la recherche à vocation thérapeutique en utilisant des « embryons surnuméraires » autrement dit les embryons résultant de fécondation in vitro mais qui ne sont pas destinés à être réimplantés et sont donc voués à la destruction. 

Résumé réalisé par Michel NAUD, relu par Bertrand JORDAN

 

 afis, Science et pseudo-sciences, 14 rue de l'école polytechnique, 75005 PARIS.